Auteurs : Niharika Rustagi et Kaushambi Bagchi, NUS
Les droits en matière de santé sexuelle et reproductive sont cruciaux pour l’autonomie corporelle et l’autonomisation des femmes. Mais les femmes de nombreux pays ne se voient pas garantir ces droits fondamentaux. Des décisions historiques dans plusieurs pays ont ouvert la voie à l’accès aux services d’avortement, aux soins de santé maternelle et à la procréation assistée, y compris dans les pays dotés de lois restrictives sur les droits reproductifs.
En Inde, des réformes juridiques liées aux droits reproductifs sont en cours depuis un certain temps. En 2021, la loi de 1971 sur l’interruption médicale de grossesse (MTP), qui avait auparavant limité les avortements sûrs et légaux aux femmes mariées, a été modifiée pour inclure les femmes non mariées. Le 29 septembre 2022, la Cour suprême de l’Inde a rendu un jugement qui garantissait à toutes les femmes, quel que soit leur état matrimonial, le droit de se faire avorter jusqu’à 24 semaines de grossesse à partir de 21 semaines.
Pour les grossesses d’adolescentes, le jugement stipule qu’il n’est plus obligatoire pour un médecin de divulguer le nom et l’identité d’une fille mineure à la police, permettant aux filles mineures d’avorter anonymement les grossesses résultant de relations sexuelles consensuelles. Selon la Cour suprême, la décision de poursuivre ou d’interrompre une grossesse est ancrée dans le droit d’une femme à l’autonomie corporelle et à choisir le cours de sa propre vie.
Bien qu’il s’agisse d’une étape importante vers la sauvegarde de l’autonomie reproductive, il reste encore beaucoup à faire pour traduire la législation en résultats percutants. Un obstacle majeur se présente sous la forme d’un amalgame avec les lois alliées existantes. La société indienne n’est pas étrangère à la préférence pour les fils et le fœticide féminin est endémique.
Une législation a été mise en place au fil des ans pour interdire les avortements sélectifs en fonction du sexe. La loi de 1994 sur les techniques de diagnostic préconceptionnel et prénatal (PCPNDT) a été promulguée pour lutter contre les rapports de masculinité biaisés, dans le but d’interdire les avortements sélectifs en fonction du sexe et de mettre un terme aux fœticides féminins. La loi PCPNDT a été exploitée par plusieurs organisations « pro-vie » de différentes affiliations religieuses pour créer un soutien public contre les avortements. Il existe également des preuves que des médecins hésitent à pratiquer des avortements par crainte de publicité négative dans les médias, de diffamation et d’accusations criminelles. Il est ironique que la loi PCPNDT, issue des mouvements de défense des droits des femmes, soit devenue un obstacle à l’accès à des avortements sécurisés.
Une étape importante dans la réalisation des résultats des jugements juridiques consiste à éliminer les obstacles informels. Un obstacle majeur à l’accès à des avortements sûrs et légaux, en particulier pour les femmes célibataires, est la discrimination à laquelle elles sont confrontées au sein du système de santé.
Alors que le jugement exhorte les médecins à ne pas imposer de conditions extra-légales aux femmes qui demandent un avortement, les inhibitions des prestataires ont conduit au refus de ces services. Plusieurs rapports ont fait état de femmes se voyant refuser l’avortement pour des raisons morales par des médecins ou se voyant demander d’amener leurs partenaires ou leurs parents lors de l’intervention.
L’accès à des avortements sûrs et légaux est encore plus compliqué pour les femmes issues de communautés marginalisées. L’avortement dans les établissements de santé publics est souvent subordonné à une stérilisation. Des études menées dans différents États de l’Inde ont montré que les praticiens de la santé entretiennent souvent des attitudes négatives et des préjugés à l’égard de l’avortement inconditionnel, en particulier pour les femmes non accompagnées, divorcées ou veuves.
Les personnes transgenres et non binaires ont été largement exclues du discours sur l’avortement et les droits reproductifs. Par conséquent, le jugement de la Cour suprême est également important pour son inclusion des femmes non cis.
Bien que la décision de la Cour suprême soit louable, le langage de la loi utilise toujours le terme « femme », bien que d’une manière qui inclue des personnes autres que les femmes cis-genres. Cela implique que les personnes transgenres et non binaires qui pourraient avoir besoin d’avortements et de soins de santé reproductive sont toujours des « femmes », ce qui viole le droit d’une personne à l’autodétermination de son identité et de son expression de genre.
Malheureusement, le système de santé indien dans son ensemble fonctionne sous le binaire du genre. Des études ont montré que les personnes transgenres et non binaires se voient souvent refuser un traitement médical et reportent les soins médicaux pour éviter le harcèlement et le manque de respect.
Bien que la décision sur l’avortement en Inde soit un pas dans la bonne direction, il reste encore un long chemin à parcourir. L’accès à des avortements sécurisés fait partie du droit aux soins de santé tel qu’énoncé dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et doit être garanti par la loi. Les réformes juridiques doivent s’accompagner de l’éducation des prestataires de soins de santé sur les avortements sécurisés dans une perspective inclusive de genre et fondée sur les droits, en particulier les avortements pour les adolescentes, les femmes célibataires, les personnes transgenres et non binaires. La législation doit également garantir que chaque hôpital public dispose d’un médecin de garde disposé à pratiquer des avortements à tout moment.
La législation peut ouvrir…
Source : East Asia Forum