Il est, parmi tant d’autres choses, un élément particulièrement déconcertant pour les Européens qui passent un certain temps en Thaïlande – un trait qu’il faut bien sûr se garder de généraliser, mais que l’on trouve suffisamment fréquemment pour le relever.
C’est, comment dire, une certaine fadeur, une absence de caractère fortement marqué, un manque de tranchant. Les journalistes qui, comme toujours, recherchent des « personnages forts » pour leurs reportages et leurs documentaires se heurtent régulièrement à cet état de fait. Cela m’avait frappé il y a quelques années alors que nous effectuions un reportage télévisé à l’occasion d’un anniversaire du roi de Thaïlande.
Dans la palette de Thaïlandais que nous devions interroger, j’avais choisi le chanteur du groupe Modern Dog, surnommé « Pod », en estimant qu’il dirait des choses incisives, lequelles compenseraient l’inévitable conformisme de la plupart des autres interlocuteurs. En fait, Pod avait fait un dithyrambe quasi-mystique du monarque thaïlandais, expliquant notamment sa fascination devant cette fameuse photo où le roi sue sous un soleil ardent, penché au-dessus d’une carte, « sans même qu’il n’essuie les gouttes de sueur qui perlent de son visage » soulignait avec ferveur le chanteur.
Une politesse déconcertante
De même, je suis souvent déconcerté par la politesse extrême et les bonnes manières des musiciens de groupes de hard-rock thaïlandais quand ils sont invités sur les plateaux de télévision – très loin des embardées d’une Nina Hagen ou, dans un autre registre, d’un Arno Hintjens.
Rien qui n’accroche vraiment. Tout est en demi-teintes, dans le flou et l’ambiguïté. Surtout rien qui ne choque. Le système d’éducation notamment jusqu’à la fin du cycle secondaire, avec son insistance sur le conformisme et le respect de la hiérarchie et tendant à étiqueter comme négatif le sens de l’initiative et du défi expliquent probablement ce trait culturel. Un trait idéal-typique – comme on dit que les Français sont indisciplinés – qui peut-être démenti par dix mille exemples, mais qui constitue une dominante. La presque totalité des Thaïlandais qui étudient à l’étranger sortent d’ailleurs de ce cadre et présentent des profils aussi créatifs que passionnés.
Un don du ciel ?
Quelle valeur faut-il attribuer à ce trait culturel ? Tout dépend, sans doute, de la perspective à partir de laquelle on se place. Mais si l’on observe attentivement les mouvements de la société thaïlandaise, ce trait comportemental semble être un don du ciel. Voici une société de 65 millions d’individus, dont 12 millions concentrés dans le Grand Bangkok, mégapole de gratte-ciels et d’échoppes débordant des trottoirs, cité des Mercédès, des SUV et des carrioles de chiffonniers.
Un métro aérien où, à 7h30 du matin, on n’arrive même plus à regarder les messages sur son téléphone portable tant la densité humaine y est forte. Une ville où les écarts sociaux sont criants et où les classes se mélangent rarement. Et pourtant, cette onctuosité des rapports humains qui rend la cohabitation en société vivable est flagrante. Peu ou pas d’agressivité, une ambiance familiale dans les lieux de travail, des rapports quasi-amicaux qui se tissent en quelques minutes entre un taxi et son client, entre des commerçants et les acheteurs, pour peu que personne ne joue le fier.
Regardons autour. La minorité chinoise en Indonésie est régulièrement l’objet d’attaques sur l’île de Java dès que la situation économique se dégrade ou que les tensions politiques s’accentuent. Elle est le bouc émissaire tout désigné car elle joue un rôle économique disproportionné avec le pourcentage de la population qu’elle représente (environ 4 %). En Malaisie où ils représentent 25 % de la population, les Chinois sont institutionnellement considérés comme des citoyens de second rang par rapport aux Malais.
Respect et acceptation de la différence
Rien de tout cela en Thaïlande : les sino-Thaïlandais dominent l’économie et même le monde politique mais n’ont presque jamais fait l’objet de discrimination, bien au contraire. Le fonds religieux plus ou moins commun a facilité le processus et la famille royale thaïlandaise a notamment veillé à leur bonne intégration. Ce respect de la position de l’autre, cette acceptation de la différence imprègne l’ensemble de la société thaïlandaise. Les enfants métissés sont adorés. Chacun, ici, vit et affiche son identité sexuelle d’une manière qu’il ne pourrait sans doute faire dans aucun autre pays du monde. Le bouddhisme tel qu’il est vécu localement pousse à ne pas s’immiscer dans la vie d’autrui. C’est là un excellent instrument d’harmonie sociale et une garantie de stabilité.
Arnaud Dubus
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2 réponses sur « Chronique de Thaïlande : toutes les saveurs de la fadeur »
Je n’appellerais pas cela de la fadeur mais un savoir vivre différent de l’occident ou plus rien n’est respecté et ou seul le « moi » compte. Ici il n’est pas nécessaire de choquer ou de blesser l’autre pour exister . C’est un autre monde que beaucoup d’occidentaux n’arrivent pas à appréhender .
Fadeur… c’est interessant que vous parliez de chanteur de hard-rock qui soit poli…
Avez vous deja entendu un boxeur thai parler? Avez vous deja compare a son ‘collegue’ europeen/autre?
Une autre culture, en effet.