Retour sur la rencontre Yingluck Shinawatra – Prem Tinsulanonda, jeudi 26 avril. Un rendez-vous où l’improvisation n’avait pas sa place.
Le Ramakien, version siamoise du Ramayana indien, est un ballet codifié où costumes et gestuelle suivent des règles strictes et immuables. Chaque élément du costume a une signification. Chaque posture exprime une attitude. Point n’est besoin de paroles, même si les déclamations du prince Rama ou de Tosakhan, le roi des démons, emplissent la salle du théâtre Chalermkrung. La chorégraphie soutenue par la musique traditionnelle d’un orchestre de cinq instruments, dont le ranad, série de planchettes reliées entre elles et que l’on frappe à l’aide de deux baguettes, suffit, d’autant que l’audience connait à peu près l’intrigue d’avance (les scènes représentées sont expliquées dans le programme).
Le ballet auquel ont participé le président du Conseil privé du roi de Thaïlande, Prem Tinsulanonda, et la cheffe du gouvernement Yingluck Shinawatra entourée de ministres choisis a, de la même façon, suivi un script préparé à l’avance : on n’entre pas sur scène pour improviser. Les couleurs d’abord. Le rose pour l’équipe gouvernementale, avec Yingluck vêtue d’un élégant tailleur rose pastel. Les vice-Premier ministres Yongyuth Wichaidit et Kittirat na Ranong, eux aussi arborent cette couleur bénigne, mais dans un ton un peu plus vif.
Quant au ministre de la Défense Yutthasak Sasiphrapa qui avait dû perdre le programme, il s’est avancé en uniforme blanc. Le rose est une des couleurs associées au roi Bhumibol Adulyadej. Du côté du général Prem, une « chemise Prem » en soie d’un orange un peu criard : l’orange est la couleur du jeudi selon le calendrier astrologique thaï, jour où a eu lieu la rencontre. Si la rencontre avait eu lieu un dimanche ou un lundi, rouge et jaune auraient été de rigueur. Ce qui aurait fait désordre.
La gestuelle ensuite. Yingluck, redevenue la sage étudiante de Chiang Mai, mains respectueusement jointes à hauteur de la taille, paumes vers le haut, courbée légèrement vers l’avant comme une dévote devant la Vierge. Le regard est fixé sur l’hôte, empreint de soumission. Le général nonagénaire dans son costume fruité pavoise sur le seuil, le buste droit. Il dispense ses oracles et ses conseils. Son regard ne porte pas sur ses interlocuteurs mais se perd au loin, fixé, sans doute, sur l’avenir de la Nation, la grandeur de la Monarchie. Le wai de Yingluck est une splendeur, laquelle résulte d’une longue habitude des bienséances ; il fait montre d’une maîtrise corporelle parfaite.
Par contraste, cet épisode en rappelle un autre de l’interminable épopée qu’est la lutte pour le pouvoir politique en Thaïlande. C’était un peu avant l’inauguration du pont Rama VIII enjambant le fleuve Chao Phraya en mai 2002. Le roi Bhumibol visitait pour la première fois le pont accompagné du Premier ministre de l’époque Thaksin Shinawatra et de Samak Sundaravej, alors gouverneur de Bangkok. Au milieu du pont, le monarque, en costume de ville, s’adressait au gouverneur de Bangkok, héritier d’une vieille famille noble, et à ses adjoints. Derrière cette haie d’uniformes blanc, Thaksin, alors au pouvoir depuis un an et quelques mois, se haussait sur la pointe des pieds avec un sourire crispé pour être aperçu du souverain. L’image, là encore, était parlante, le commentaire superflu. Peut-on imaginer Tosakhan-Thaksin, s’humilier devant le vieil ermite Prem ? Rien n’est absolument exclu, mais le risque serait peut-être que les spectateurs perdent le fil du scénario.
«Chronique siamoise» porte un regard décalé sur l’actualité politique de la Thaïlande, mêlant des récits d’anecdotes et une lecture culturelle des événements.
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