L’incapacité des Dix de l’Asean à adopter, face à Pékin, une position commune sur la mer de Chine du Sud annonce une phase de sérieuse introspection.
Quand cinq ministres anticommunistes des affaires étrangères (Thaïlande, Malaisie, Singapour, Indonésie, Philippines) ont en 1967, en pleine intervention militaire américaine en Indochine, dessiné les contours de l’Association des nations de l’Asie du sud-est, ils avaient de relativement modestes ambitions. Empêcher une répétition de la konfrontasi quand, en 1963, Sukarno, évincé depuis lors, avait failli envahir la Malaisie naissante. S’assurer que Singapour et la Malaisie, qui venaient de divorcer, n’en viendraient pas aux mains. Tenir à distance les avant-postes du bloc soviétique.
Ils ont mis en place et géré, à la demande de fortes personnalités – Suharto, Mahathir, Lee Kuan Yew – une organisation intergouvernementale. Ce n’est qu’après la chute de Berlin en 1989 et la fin de la Guerre froide qu’ils ont amorcé une redifinition de leurs relations avec leurs voisins. Que faire, en particulier, des anciens Etats indochinois, tout à coup privés de leur point d’appui soviétique et donc en mal d’ouverture sur le reste de la planète et d’investissements étrangers ?
L’idée de transformer le Sud-est asiatique en zone de libre-échange est née à cette époque-là, au début des années 90 (et pourrait aboutir – c’est l’objectif affiché – à un marché unique en 2015). L’intégration des voisins a procédé de la même ambition : en 1999, soit au tournant du siècle, tout le monde s’est retrouvé à bord, à l’exception, encore en cours aujourd’hui, du Timor-Leste.
Mais, si le monde bouge, c’est moins le cas de l’Asean. Elle demeure une association intergouvernementale, sans Parlement, dotée d’un secrétariat aux moyens limités et d’une Charte qui n’engage guère. Surtout, l’Asean continue de s’en tenir à la gestion par consensus, ce qui ne l’a guère servie, au cours de la précédente décennie, dans le cas de la Birmanie. Et qui ne lui réussit pas davantage, aujourd’hui, dans celui des contentieux en mer de Chine du Sud. Il aura suffi que le Cambodge, président en exercice de l’Association, s’y oppose pour que – première dans l’histoire de l’Asean – une conférence se termine sans communiqué conjoint.
L’Asean a ses faiblesses : elle n’est pas une alliance politique (et encore moins militaire). C’est la règle du bénévolat ; tout est volontaire. Le Vietnam et les Philippines ne peuvent guère tabler sur une solidarité à l’intérieur de l’Asean quand leurs ressources off-shore (pêche, gaz, pétrole) et leurs zones économiques maritimes exclusives sont menacées par la cupidité et les moyens de Pékin. Jusqu’ici, seuls les Etats-Unis sont intervenus en rappelant qu’ils n’accepteraient pas que ces contentieux se règlent par la force.
L’Indonésie, qui n’est pas directement impliquée dans cette dispute, va tenter de trouver un moyen de ressouder l’Association, sans doute avec l’appui de Singapour (car la Malaisie, noyée dans des crises internes, semble prendre quelques distances). Comment définir des règles du jeu avec la Chine ? Telle semble être la seule question, même si, pour le moment, Pékin n’est pas preneur. Il en va de l’avenir de l’Association et, peut-être, de la tranquillité de la région. Ni Pékin ni Washington n’ont intérêt à ce que la situation dégénère. En partant de cette réalité, Jakarta semble la capitale la mieux placée pour mettre, enfin, l’Asean sur des rails solides. Encore faudra-t-il surmonter cette règle du consensus qui paralyse l’Association et facilite les manipulations de Pékin.
Jean-Claude Pomonti
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