Vétéran de la politique, l’actuel vice-Premier ministre Chalerm Yubamrung tient le haut du pavé malgré une réputation sulfureuse.
Un nouveau soap-opera sur la chaîne 3 de la télévision thaïlandaise captive, depuis plusieurs semaines, l’attention du grand public en Thaïlande. Il s’agit de Hong Sabad Laï (« Le Gang de la Cité », selon une traduction non littérale) qui décrit de manière hautement colorée les péripéties de la vie d’une famille dont le chef est un politicien corrompu et sans scrupules et le fils aime à manier le revolver pour régler ses comptes avec ses rivaux. Plusieurs Thaïlandais m’ont assuré que le vice-Premier ministre actuel Chalerm Yubamrung aurait inspiré en partie le personnage principal de la série, le patriarche véreux. Si cela est vrai, ce serait une consécration pour cet ancien capitaine de police âgé de 64 ans, entré en politique dans les années 1980 et qui a bien failli sombrer dans l’oubli il y a une dizaine d’années.
Chalerm Yubamrung est le prototype du politicien fort en gueule qui anime la scène politique du royaume, une « bombe à retardement ambulante » comme l’a qualifié l’analyste Chris Baker il y a peu. Aux côtés de la cheffe du gouvernement Yingluck Shinawatra, aussi élégante qu’effacée, Chalerm présente un contraste total, avec ses gesticulations et ses coups de gueule, son absence quasi-totale de retenue et ses piques assassines. Mais quels que soient ses travers, force est de reconnaître qu’il joue aujourd’hui un rôle de tout premier plan, cumulant la fonction de Monsieur anti-drogue avec la supervision des opérations de sécurité dans le Sud à majorité musulmane du pays. Sur les écrans et derrière les micros, sur les perrons et dans les salons de réception, on ne voit que lui. D’où lui vient donc cette présence au-delà d’un hyper-activisme qui n’est pas sans rappeler la bougeotte permanente de l’ancien président Sarkozy ?
Chalerm n’a jamais bien été considéré quand il faisait carrière dans la police. Lors d’un entretien en 1994, le général de police Seri Temiyavej (qui deviendra plus tard chef de la police royale) l’avait qualifié d’«officier de très basse qualité». C’est son entrée en politique en 1988 dans le gouvernement de Chatichai Choonhavan qui lui donna un profil national. Nommé ministre auprès du Premier ministre, il fut chargé de superviser le secteur des médias. Déjà, il se distinguait par ses interférences dans la couverture par les journalistes. C’est à cette époque qu’il rencontra Thaksin Shinawatra, alors un homme d’affaires sur la pente ascendante et qui souhaitait mettre un pied dans le secteur audiovisuel. Chalerm s’entendit bien avec cet homme de sa génération qui était aussi un ancien officier de police. Comme Chalerm avait autorité sur l’Autorité Thaïlandaise de Communication de Masse (MCOT), il fit en sorte que cette agence gouvernementale octroie une licence pour une chaîne de télévision câblée à Thaksin. L’amitié était scellée et ne se démentira jamais.
Mais la carrière politique de Chalerm, souvent accusé d’être propriétaire de casinos clandestins, allait connaître des tournants imprévus. Et comme il s’était fait un certain nombre d’ennemis par ses embardées – qualifiant par exemple l’épouse de l’ex-Premier ministre Chaovalit Yongchaiyud de «boîte à bijoux ambulante» -, ceux-ci ne se prièrent pas pour lui savonner la planche. En 2001, l’un des deux fils de Chalerm, Duangchalerm, jeune officier de police, est impliqué dans le meurtre d’un autre officier de police dans une discothèque. L’accusation est grave : des témoins affirment l’avoir vu tirer une balle dans la tête du policier à bout portant après une querelle. Duangchalerm s’enfuit au Cambodge et son père, alors ministre dans le gouvernement de Thaksin, essaie de temporiser. Après un an de cavale, Duangchalerm rentre au pays et, surprise !, la totalité des témoins refusent de témoigner ou reviennent sur leurs premières déclarations. La cour acquitte Duangchalerm en 2004, alors que de forts soupçons d’ingérences au sein de l’appareil judicaire pèsent sur son père. Chalerm entame une longue traversée du désert, qui ne se terminera qu’en 2011 lorsqu’il entrera au gouvernement de Yingluck Shinawatra.
On peut légitimement se demander comment un politicien qui traine autant de casseroles derrière lui puisse occuper un rôle aussi important dans le gouvernement. Peut-être parce que chaque gouvernement – et particulièrement celui de Yingluck – a besoin d’un « franc-tireur » pour faire reculer les critiques trop agressifs, mais aussi, comme le confie un analyste, simplement parce que personne n’ose s’en prendre à l’ancien capitaine de police qui «connait trop de choses sur trop de monde».
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