Voilà vingt-deux ans, sans attendre l’accord de paix, la France et la francophonie ont repris pied au Cambodge.
C’était en 1990, donc après la chute du Mur de Berlin. Le Vietnam avait fini de retirer ses troupes du Cambodge, même s’il avait laissé traîner derrière quelques généraux. A Phnom Penh, le cercle des ONG étrangères s’était déjà élargi. Tout en continuant de faire payer au Vietnam le prix de son intervention militaire au Cambodge, la Chine semblait se faire à l’idée d’un règlement cambodgien, lequel aurait lieu plus tard à Paris, en octobre 1991.
Le Quai d’Orsay avait décidé de ne pas attendre l’accord de paix pour rétablir une présence culturelle française au Cambodge. De Pékin, Norodom Sihanouk, alors consulté, n’avait pas émis d’objection pour peu que la délégation demeure culturelle et ne devienne pas diplomatique en l’absence d’un accord de paix. Un universitaire, Xavier Rose, futur ambassadeur au Laos, avait été chargé de mettre en place une Alliance française. L’opération était d’autant plus compliquée que tout manquait, y compris les banques ou les liaisons aériennes, puisqu’il fallait encore transiter par Ho Chi Minh Ville, l’ancien Saigon, pour gagner la capitale du Cambodge.
Mais le délégué Xavier Rose avait tenu le pari et, pour inaugurer cette Alliance, Paris avait décidé d’envoyer une délégation dirigée par l’écrivain Thierry de Beaucé, alors secrétaire d’Etat en charge des relations culturelles internationales. Il était accompagné de Claude Martin, directeur d’Asie au Quai d’Orsay et de quelques autres fonctionnaires, dont Brigitte Pellegrini, à l’époque membre du cabinet de Roland Dumas.
Hun Sen, premier ministre de l’Etat du Cambodge (la monarchie ne sera restaurée qu’en 1993), était l’invité d’honneur. Il n’y avait pas encore de princes à la ronde, ils ne débarqueraient qu’en novembre 1991. Un pot avait été organisé sur le toit de cette Alliance, au bout d’un escalier en colimaçon dont on se demandait pourquoi il avait été aménagé à l’extérieur en pleine Asie des moussons. C’est sur cette terrasse que Hun Sen avait accordé un long entretien aux deux journalistes qui accompagnaient la délégation française, en l’occurrence James Burnet et l’auteur de ces lignes. François Bizot, futur auteur du Portail, avait eu l’extrême gentillesse d’assurer l’interprétariat, et peu de gens auraient pu le faire aussi bien que lui.
C’est ainsi que la francophonie officielle a fait son retour au Cambodge, dont elle avait été brutalement massacrée et chassée, comme tout ce qui était étranger, par les Khmers rouges en 1975. L’Alliance est devenue un Centre culturel, puis un Institut. Ce dernier occupe désormais des bâtiments des deux côtés de la petite rue sur laquelle il donne. C’est également là que s’est installée la belle librairie francophone Carnets d’Asie, d’Olivier Jeandel, un passionné apprécié de tous.
Revenue sans fanfare dans une capitale cambodgienne dont les rues et les immeubles étaient défoncés, où 80% des gens vivaient dans la misère, la présence française, acceptée, a refait son chemin. Plutôt gentiment, à quelques dérapages près. Si elle ne s’épanouit guère depuis, c’est pour d’autres raisons : le resserrement drastique des crédits culturels et de coopération français ; le peu de cas que l’élite francophone cambodgienne, à l’exception notoire du Palais royal, a manifesté à l’égard de cette présence.
Jean-Claude Pomonti
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