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Analyse Politique Thaïlande

Chronique siamoise : une société bloquée en quête de nouveaux appuis

La décision de la Cour constitutionnelle du 13 juillet, rejetant les accusations de renversement de la monarchie absolue à l’encontre du parti Peua Thaï au pouvoir en Thaïlande, n’a fait qu’apporter un répit.

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Politique Thaïlande

Petit incident de santé pour le roi de Thaïlande

Le roi de Thaïlande Bhumibol Adulyadej a dû annuler une visite en province à cause d’un léger saignement au cerveau.

Un communiqué du Palais royal a indiqué que le roi avait été victime le 13 juillet de spasmes musculaires dans la main droite et que son rythme cardiaque s’était accéléré. Après une radiographie, les médecins ont conclu qu’un saignement mineur s’était produit dans le lobe frontal gauche. «Après l’administration de médicaments, les spasmes ont disparu et le rythme cardiaque est redevenu normal», ajoute le communiqué. Les médecins ont toutefois conseillé au souverain d’arrêter toutes ses activités publiques dans l’immédiat.

Une visite de projets royaux dans la province de Ratchaburi, prévu le 14 juillet, a donc été reportée sine die. Agé de 85 ans, le roi Bhumibol, qui est monté sur le trône en 1946, est hospitalisé depuis septembre 2009. Il a effectué récemment deux sorties, l’une en mai dernier dans la province d’Ayuthaya, à 80 km au nord de Bangkok, la seconde à Nonthaburi, dans la grande banlieue de la capitale, dans le cadre d’une croisière fluviale. Les deux fois, il était accompagné de la reine Sirikit et de sa seconde fille, la princesse Sirindhorn, populaire auprès de nombreux Thaïlandais. Le prince héritier Vajiralongkorn était absent. Monarque dont le règne est le plus long depuis le début de la dynastie Chakri en 1782, le roi Bhumibol est un ferment d’unité nationale pour de nombreux Thaïlandais, mais son image a pâti, ces dernières années, de la crise politique qui étreint la Thaïlande.

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Politique Thaïlande

Thaïlande : la Cour constitutionnelle choisit la voie moyenne

La Cour constitutionnelle a pris une décision qui satisfait le parti Peua Thai au pouvoir. Elle estime en effet que son projet de réforme de la constitution ne menace pas la monarchie.

Quelques heures avant le jugement de la Cour constitutionnelle le 13 juillet en début d’après-midi, certains évoquaient encore la possibilité d’une guerre civile. Finalement, les huit juges ont décidé de rejeter les recours déposés par l’opposition allégeant que le parti gouvernemental voulait renverser la monarchie absolue en changeant la constitution. La Cour a motivé sa décision en précisant que cette accusation était basée sur un procès d’intention. Dans la foulée, les juges ont estimé que le rejet de ces recours rendait caduque la demande de dissolution du parti Peua Thai. Ces décisions ont provoqué la joie des Chemises rouges, les partisans de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, dont la sœur cadette Yingluck est actuellement à la tête du gouvernement. Ce dernier ainsi que plusieurs leaders du parti Peua Thai se sont dits satisfaits aussi de ce verdict.

Deux des leaders des Chemises rouges, Jatuporn Prompan et Thida Thavornseth, ont toutefois exprimé un certain mécontentement, car la Cour a aussi estimé que la majorité parlementaire ne pouvait pas convoquer une assemblée constituante pour réécrire une nouvelle constitution sans un référendum préalable. Leur argument est que, comme la constitution de 2007, mise en place après le coup d’Etat de septembre 2006, a été approuvée par un référendum, seule une consultation similaire peut ouvrir la voie à un changement de constitution. Selon les juges, les articles de la constitution «qui posent problème» pourront toutefois être amendés un par un par la voie parlementaire.

Ce jugement a permis d’apaiser les tensions qui s’étaient accumulées ces dernières semaines autour de ce projet de loi d’amendement constitutionnel. La crise politique, qui voit s’affronter les élites conservatrices et les forces favorables à une plus grande égalité sociale, n’est pas réglée pour autant.

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Cambodge Histoire Politique

Sihanouk n’est pas blanc sur la question khmère rouge, selon un documentariste

Lors d’un débat au Club des correspondants de Thaïlande, un documentariste français évoque la responsabilité de l’ancien chef d’Etat dans la tragédie khmère rouge.

« La responsabilité de Sihanouk est énorme. Sans doute devrait-il être jugé. Il est responsable de l’avènement des Khmers rouges, il s’est allié à eux par deux fois (1) dans le seul but de reprendre le pouvoir après le coup d’Etat de 1970 », a estimé Bruno Carette, lors d’un débat qui suivait la projection de son documentaire « Khmers Rouges Amers » au Club des correspondants étrangers de Thaïlande (FCCT). Ce film d’une heure et demie, réalisé avec Sien Meta, témoigne de la perspective des Khmers rouges, des hauts dirigeants aux simples soldats, sur la tragédie qui a provoqué la mort de près de deux millions de Cambodgiens (un quart de la population de l’époque) entre la chute de Phnom Penh, le 17 avril 1975, et l’invasion vietnamienne qui a provoqué l’effondrement du régime totalitaire en janvier 1979.

Le documentaire inclut de nombreux extraits d’entretiens avec deux des anciens dirigeants du Kampuchea démocratique, l’ex-numéro deux du régime Nuon Chea et l’ex-chef d’Etat Khieu Samphan, actuellement en cours de jugement devant un tribunal composé de juges cambodgiens et internationaux à Phnom Penh. Il présente aussi de rares témoignages comme celui de Suong Sikoeun, un proche de l’ex-chef de la diplomatie Ieng Sary, et de son épouse française de l’époque, Laurence Picq, la seule Occidentale à avoir vécu durant toute la durée du régime khmer rouge au Cambodge.

Sceptique mais tempérant les nombreuses critiques faites à l’encontre du « procès à caractère international » en cours à Phnom Penh, Bruno Carette a souligné le fait que le premier procès, lequel a abouti en février 2012 à la condamnation de Kaing Guek Ieuv, alias Duch, l’ex-chef du centre de torture S- 21 à la prison à perpétuité, avait permis « à quelques victimes et parents des victimes de s’exprimer ». « Depuis un an des livrets retraçant l’histoire de la tragédie khmère rouge sont aussi distribués dans toutes les écoles du pays », une période de l’histoire auparavant occultée a-t-il ajouté.

(1) Le 23 mars 1970 Sihanouk, renversé par un coup d’Etat cinq jours plus tôt, appelle le petit peuple à soutenir les Khmers rouges dans leur lutte pour le pouvoir ; en 1982, Sihanouk préside à la formation d’une « coalition de résistance anti-vietnamienne » qui inclut les Sihanoukistes, les partisans de Son Sann et les Khmers rouges.

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Politique Thaïlande

Crime de lèse-majesté : un Américain libéré en Thaïlande

Joe Gordon, un Américain d’origine thaïlandaise condamné à un an de prison pour insulte envers le roi de Thaïlande a été remis en liberté le 10 juillet après avoir reçu un pardon royal.

L’ambassade américaine à Bangkok a confirmé que Joe Gordon, qui avait été condamné à deux ans et demi de prison en décembre dernier, a quitté la prison de Klong Prem, dans le nord de Bangkok, dans la soirée du 10 juillet. Il avait été jugé pour avoir traduit en Thaï et posté sur son blog des extraits de la biographie du roi Bhumibol Adulyadej «The King Never Smiles», publiée en 2006 par le journaliste américain Paul M. Handley. La thèse centrale  de ce livre, interdit en Thaïlande, est que le roi a orchestré une campagne massive de propagande pour consolider le pouvoir monarchique au détriment du développement de la démocratie.

Résidant aux Etats-Unis depuis trente ans mais d’origine thaïlandaise, Joe Gordon, âgé de 56 ans, avait été arrêté en mai 2011 alors qu’il se rendait en Thaïlande pour visiter sa ville natale. Une demande de pardon royal avait été déposée en début d’année. L’ambassade américaine s’était montrée solidaire de son ressortissant en discutant régulièrement de son cas avec les autorités thaïlandaises. Le directeur d’une ONG a confié récemment à Asie-Info que le Palais royal, inquiet du ressentiment contre la loi de lèse-majesté, cherche à favoriser le pardon royal pour la quasi-totalité des condamnés et, dans ce but, les pousse à en faire la demande.

Des milliers de personnes du monde universitaire et des milieux de la société civile ont lancé depuis environ deux ans une campagne en Thaïlande et à l’étranger pour réclamer une réforme de l’article 112 du code pénal qui punit les insultes envers le roi, la reine et le prince héritier d’une peine entre trois et quinze ans de prison. Plusieurs dizaines de personnes en attente de procès ou condamnées sont actuellement en prison pour crime de lèse-majesté.

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Birmanie Politique

Un proche de l’ex-chef de la junte nominé vice-président de Birmanie

Les députés militaires ont nominé le 10 juillet Myint Swe, un général à la retraite proche de Than Shwe, l’ancien leader de la junte, pour prendre le poste de vice-président.

L’image de Myint Swe, qui va très probablement devenir le nouveau vice-président de Birmanie, est contrastée. Il est considéré comme relativement propre, notamment quand on le compare à son prédécesseur le très corrompu Tin Aung Myint Oo, lequel avait démissionné au début mai pour raisons de santé. Mais Myint Swe, âgé de 60 ans, a aussi été l’officier en charge de la sécurité dans la région de Rangoon lors de la répression de la «révolution safran» à la fin de l’été 2007. Selon le magazine Irrawaddy, basé en Thaïlande, «il a été directement impliqué dans la répression condamnée internationalement» et «sa campagne pour pacifier les bonzes en leur offrant de l’argent a échoué».

Dans les années 2000, Myint Swe a collaboré étroitement avec les généraux Than Shwe et Maung Aye, deux des leaders du régime militaire. Il est aussi l’organisateur de deux opérations délicates : l’arrestation des membres de la famille de l’ancien dictateur Ne Win en 2002 (soupçonnés de fomenter un coup d’Etat) et l’arrestation de l’ex-chef des services de renseignements militaires Khin Nyunt en 2004. Malgré son rôle lors de la révolte des bonzes, Myint Swe passe, auprès de certains observateurs, pour un homme pragmatique, qui pourrait jouer un rôle de pont entre les partisans d’une ligne dure et les réformateurs – un profil assez proche de celui du président Thein Sein.

Un quart des sièges au Parlement de Birmanie est occupé d’office par des militaires, auxquels revient le droit de nominer le vice-président.

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Analyse Politique Thaïlande

Chronique siamoise : le pouvoir mystérieux des mots

En Thaïlande, l’emploi d’expressions alambiquées pour évoquer des réalités dangereuses est un moyen de neutraliser leur pouvoir maléfique.

Le président du Parlement de Thaïlande Somsak Kiatsuranont s’est retrouvé en position embarrassante après la mise en ligne sur internet début juillet d’une allocution qu’il a prononcée devant ses partisans politiques lors d’une rencontre privée. Dans ce clip audio de cinq minutes, il indique avoir discuté à maintes reprises des débats parlementaires sur le vote d’amendements constitutionnels avec «une personne qui se trouve au loin» (khon tang klai). Tout le monde sait, bien sûr, à qui Somsak fait allusion, mais même dans ce cadre privé, le politicien a préféré ne pas prononcer le nom de l’ancien premier ministre Thaksin, exilé à Dubai depuis 2008.

L’histoire politique thaïlandaise est émaillée de ces formules soigneusement concoctées pour évoquer une réalité mystérieuse en évitant de la cerner de trop près. Dans une région donnée, le «pouvoir de l’ombre» (amnat meut) est l’expression consacrée pour désigner le parrain mafieux local. Quand les militaires agissent dans les coulisses du monde politique pour influencer le cours des évènements, on parlera de «main invisible» (meu thi mong mai hen) ou, si le journaliste ou l’orateur est plus audacieux, «d’hommes en uniforme». Le roi Bhumibol Adulyadej sera déguisé sous l’appellation neutre «d’institution» (sathabaan), expression d’origine sanskrite que l’on accompagne volontiers d’un mouvement des yeux vers le plafond à la manière de Louis de Funès dans Les gendarmes de Saint Tropez quand il évoque le grand homme de la Ve République.

Dans ce registre, un exemple frappant d’amortissement verbal de réalités trop abruptes a été le titre d’un article du Bangkok Post, publié le 19 juin : «Military bullets killed civilians». L’article nous apprend que l’enquête de la police a conclu que cinq des six personnes tuées le 19 mai 2010 dans l’enceinte de la pagode Pathum Wanaram, durant la répression des manifestations des Chemises rouges à Bangkok, ont été tuées par des balles provenant d’armes utilisées habituellement par l’armée thaïlandaise et que ces balles avaient été tirées «d’une position en hauteur». Il se trouve qu’une section de militaires thaïlandais a été photographiée par les médias alors qu’ils faisaient feu à partir du viaduc du métro aérien de Bangkok en direction de la pagode au moment même où les six victimes ont été tuées. Mais personne, du moins du côté des médias et des officiels, ne joint les pointillés. Et donc, ce sont des «balles militaires qui ont tué des civils». Pour faire le saut et déclarer que ce sont effectivement les militaires qui ont tué ces six malheureux dans l’enceinte du temple, il aurait sans doute fallu plusieurs témoins affirmant avoir vu les balles sortir du canon des armes tenues par les militaires, les avoir suivies durant toute leur trajectoire, puis les avoir vues se ficher dans la chair des victimes. En fait, tout le monde sait depuis le début ce qui s’est passé, mais tous (sauf les familles des victimes) admettent que cela ne suffit pas pour le dire. Les mots sont dangereux.

Peut-être du fait de la culture bouddhique mais vraisemblablement pour des raisons plus pragmatiques, les Thaïlandais tendent à croire qu’évoquer trop directement des phénomènes ou des personnages importants ou controversés entraîne des périls, car les humeurs de ces derniers sont changeantes. En revanche, enrober ces réalités d’un épais tissu de mots neutralise leur pouvoir potentiellement maléfique. Dans la Thaïlande traditionnelle, prononcer le nom d’un esprit versatile était le meilleur moyen de s’en attirer les foudres. Et il est courant qu’un Thaïlandais change son prénom officiel s’il le juge trop clinquant, de peur d’offenser des puissances du passé.

Prendre ses précautions vis-à-vis des mots peut être vu comme une attitude sage. Le philosophe anglais John Locke n’écrivait-il pas dès le XVIIe siècle qu’il fallait «prendre les mots pour ce qu’ils sont, des signes de nos idées seulement, et non pour les choses elles-mêmes» ? Mais à trop enrober, on accumule aussi les malentendus. Et ces malentendus peuvent parfois déboucher sur des explosions.

Bouffée d’air salutaire dans ce monde en demi-teintes, il y a aussi les Thaïlandais qui mettent les points sur les «i», comme le politicien Chuwit Kamolwisit avec son gros marteau sur l’épaule. Ex-patron d’une chaîne de massages coquins, Chuwit tire sa force de sa réputation de mauvais garçon. Il n’a donc pas à faire attention à son langage. Début juillet, lors d’un raid organisé par ses soins sur un casino clandestin protégé par la police, il a déclaré devant la presse : «Les casinos clandestins représentent la forme la plus visible de la corruption de la police.Vous les voyez partout». Ceux qui ont l’audace d’appeler un chat un chat, fût-il siamois, vivent dangereusement, mais ils acquièrent un certain respect notamment de la part des petites gens. Car l’emploi des circonvolutions et des euphémismes est le plus souvent le signe de la peur imposée par les puissants à ceux qui sont en bas de l’échelle.

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Politique Thaïlande

En Thaïlande, les victimes de l’ultra-royalisme se serrent les coudes

Un réseau d’entraide a été établi pour apporter un soutien aux parents des personnes accusées ou condamnées pour crimes de lèse-majesté en Thaïlande.

«Nous sommes un groupe d’entraide. N’ayez pas peur, joignez-vous à nous». C’est en ces termes que Sukanya Pruksakasemsuk, l’épouse du militant politique Somyot actuellement détenu et en cours de jugement pour crime de lèse-majesté a annoncé, lors d’une conférence de presse le 5 juillet à Bangkok, la création de ce Réseau des personnes affectées par l’article 112. Ce groupe qui comprend pour l’instant dix membres, tous parents de détenus pour crime de lèse-majesté, s’est fixé pour objectif de faire pression sur les autorités pour que les prisonniers, en cours de jugement, puissent bénéficier d’une libération sous caution, ainsi que de soutenir matériellement les familles de ces détenus. Il finance par exemple les visites de parents de détenus résidant en province.

Plusieurs dizaines de personnes, en grande majorité de nationalité thaïlandaise (mais on compte aussi un Américain et un Singapourien), ont été condamnés à des peines de prison allant de quelques années à vingt ans de prison pour avoir critiqué le roi, la reine ou le prince héritier. En Thaïlande, la famille royale est protégée des critiques et des insultes par l’article 112 du code pénal, lequel prévoit des peines cumulables allant de trois à quinze ans de prison. Le réseau souhaite aussi que les détenus pour crime de lèse-majesté soient considérés comme des prisonniers politiques ou des prisonniers de conscience, car ce qui leur est reproché est d’avoir exprimé publiquement leur opinion. Les détenus pour crimes de lèse-majesté sont parfois ciblés par le personnel pénitentiaire pour des brimades spéciales. Ainsi, Sukanya Pruksakasemsuk a indiqué que Da Torpedo, condamnée à vingt ans de prison, était obligée par les gardiens à deviner le nom de ses visiteurs. En cas d’erreur, le visiteur se voit interdire de la rencontrer.