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Birmanie Culture Histoire

Le patrimoine architectural de Rangoon menacé par l’ouverture

En Birmanie, une organisation non gouvernementale tente de sensibiliser le gouvernement à la préservation des bâtiments historiques de l’ancienne capitale.

Fondée au début de 2012 par des architectes et des historiens birmans et occidentaux, l’ONG Yangon Heritage Trust a établi une liste de 189 bâtiments historiques de Rangoon, pour la plupart des édifices gouvernementaux construits entre les années 1880 et la première guerre mondiale. Ces experts ont entamé des discussions avec des membres du gouvernement birman pour les inciter à adopter une stratégie de préservation du patrimoine. «Dans mes conversations avec des officiels birmans, j’ai essayé de souligner le fait que s’ils voulaient encourager le tourisme, préserver Yangon [nom officiel de Rangoon] et en faire une des villes asiatiques les plus attractives d’ici quinze ans serait un atout considérable. J’ai aussi avancé l’argument selon lequel le paysage urbain de la ville est très important pour comprendre l’histoire birmane», a indiqué l’historien birman Thant Myint-U, lors du lancement du livre «30 Heritage Buildings of Yangon» au Club des correspondants de Bangkok.

Des architectes ont déploré le fait que des «centaines de bâtiments anciens ont été détruits au cours des dernières années». La déliquescence des immeubles et les effets du climat sont l’une des principales menaces, mais l’amorce d’une ouverture politique et économique depuis le début de 2011 a aussi poussé les autorités à vouloir «moderniser» la ville et les promoteurs immobiliers à investir dans de nouveaux complexes commerciaux ou immeubles de bureaux. Ces mêmes experts soulignent toutefois qu’il est nécessaire de trouver un compromis entre préservation et développement économique. «Nous ne vivons pas 52 semaines par an dans ces immeubles. Et la rénovation peut parfois s’avérer très, très chère. Il doit y avoir une forme de compromis», a indiqué Ian Morley, historien de l’urbanisme à l’université de Hong Kong. «Yangon est un exemple unique d’une ville qui a encore l’essentiel de sa structure historique dans un environnement moderne. Cette esthétique de la fin de la période victorienne, où la beauté se voyait assigner un rôle éducatif, a été perdue en Grande-Bretagne», a-t-il ajouté. Selon Thant Myint-U, les discussions avec le gouvernement de la Birmanie ont commencé à porter fruit depuis le début de l’année.

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Birmanie Politique

Aung San Suu Kyi sommée d’opter pour Myanmar

Les autorités du Myanmar ont demandé à la parlementaire Aung San Suu Kyi de ne plus utiliser le terme Birmanie, ancienne appellation du pays.

Birmanie ou Myanmar ? Depuis que l’appellation du pays a été changée par la junte militaire en 1989, le choix entre les deux termes n’a jamais été une simple question de sémantique mais bien plus l’affirmation de convictions politiques. Aung San Suu Kyi a toujours milité pour le maintien du terme Birmanie, indiquant dans les années 1990 que Myanmar «sonnait horriblement». Lors de sa récente tournée européenne, elle a constamment utilisé le mot Birmanie pour parler de son pays, ce qui a agacé le gouvernement civil du président Thein Sein. Le 29 juin, la Commission électorale s’est donc plainte de cette attitude dans le quotidien gouvernemental New Light of Myanmar. Mme Suu Kyi a été sommée de «respecter la Constitution» et d’utiliser le «mot approprié».

Le mot Myanmar reflète mieux la diversité ethnique du pays (composé à 65 % de Birmans ou Bamars et à 35 % de minorités ethniques) que Birmanie, terme à connotation ethnique qui semble affirmer que le pays appartient aux Bamars. Cette querelle de mots est peut-être unique sur la planète, car contrairement aux autres pays, l’emploi d’un terme ou de l’autre est considéré comme porteur d’une signification politique. Les organisations birmanes (ou myanma) en exil ainsi qu’une bonne partie des gouvernements occidentaux utilisent Birmanie pour signifier leur rejet du régime militaire (devenu gouvernement civil depuis novembre 2011), mais les natifs qui résident à l’intérieur du pays utilisent Myanmar. Parmi les médias, les agences de presse ont relativement rapidement opté pour Myanmar, mais les quotidiens de presse écrite ont conservé leur préférence pour Birmanie. Dans des situations similaires, la pratique a été d’utiliser le terme officiel quel que soit le régime l’ayant imposé. Ainsi, quand le capitaine Thomas Sankara – arrivé au pouvoir par un coup d’Etat – a substitué Burkina-Faso à Haute-Volta, tout le monde a suivi le bouillant militaire. Interrogé, lors de son passage  au Myanmar en janvier 2012, sur la position de la France quant à cette querelle de mots, Alain Juppé, alors ministre français des Affaires étrangères, avait répondu que la France utilisait «l’un ou l’autre terme suivant la situation».

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Analyse Thaïlande

Chronique siamoise : la Nasa jette l’éponge en Thaïlande

L’agence spatiale américaine a décidé le 28 juin d’annuler une série d’études scientifiques sur le climat en Thaïlande devant les controverses politiques provoquées par son programme.

En Thaïlande, le mot Nasa renvoie un écho familier. Le terme évoque dans les esprits une célèbre discothèque de la rue Ramkhamhaeng, rendue sulfureuse par une rumeur selon laquelle le propriétaire en serait un membre de la famille royale thaïlandaise. Mais ces dernières semaines, une autre Nasa, moins délurée, plus austère, a envahi les discours des politiciens et la Une des journaux. La vraie, l’Agence spatiale américaine, celle des navettes et des cosmonautes. Au départ, la situation est simple.

La Nasa souhaite mettre en place un projet d’études climatiques sur la région qui serait basé à l’aéroport militaire d’U-Tapao, à 140 kilomètres au sud-est de Bangkok. Plus spécifiquement l’agence spatiale américaine souhaite étudier l’influence des émissions de gaz sur les nuages, le climat et la qualité de l’air en Asie – un projet baptisé de l’acronyme un peu barbare SEAC4RS. La Thaïlande a été choisie du fait de sa localisation centrale en Asie du Sud-Est. SEAC4RS est un projet scientifique qui doit apporter des données précieuses pour la communauté des climatologues thaïlandais, et, bien sûr, un peu d’argent pour les militaires. La demande a été faite il y a un an par l’agence américaine.

Comment ce projet sain a-t-il pu provoquer une tempête telle qu’elle a abouti à l’annulation pure et simple par la Nasa du SEAC4RS ? Il y a fallu tout le savoir-faire du monde politique thaïlandais combiné à la grande compétence des hommes en uniforme dans la création et l’entretien de rideaux de fumée. Les premiers signes étaient apparus début juin : le chef de l’armée de terre, le général Prayuth Chan-Ocha avait marmonné que ce projet risquait d’inquiéter «les pays voisins» ; pire, il risquait d’affecter la «souveraineté thaïlandaise».

Quels pays voisins ? La Chine prendrait-elle ombrage de quelques avions mesurant le taux d’humidité des nuages au-dessus de Pattaya ? Quelle souveraineté ?

La Nasa aurait-elle trouvé le moyen de prendre des clichés du précieux territoire thaïlandais avec une meilleure définition que celle de Google Earth ? Quelles sombres manœuvres avaient germé dans ces cerveaux d’outre-Pacifique ? Ne seraient-ils pas en train de projeter l’établissement de relevés du temple controversé de Preah Vihear avec quelque noir dessein en tête ?

En «bons politiques», les dirigeants du Parti démocrate d’opposition ont sauté à pieds joints sur l’occasion, en en rajoutant sur le thème, toujours porteur, de la souveraineté menacée. Oubliez les hordes birmanes et les guerriers Khmers, la Nasa est à nos portes, prêtes à avaler notre territoire ! Après avoir observé pendant trois semaines ces enfantillages, la Nasa a décidé d’annuler le projet, alors même que le gouvernement a prévu en août un débat au parlement pour «discuter la requête (de l’agence américaine) dans l’intérêt du pays».

Amateurisme, manque de fiabilité, opportunisme déconcertant sont les mots qui viennent à l’esprit pour qualifier ce fiasco. On ne peut être que frappé par une sorte de déconnection entre les propos échangés sur la scène politique et la réalité, un peu comme si l’on écoutait des enfants qui se glissent par jeu dans des rôles d’adulte. Cette déconnection n’est pas flagrante si on la voit à partir d’un environnement thaïlandais, mais elle le devient dès qu’il y a confrontation avec le monde extérieur.

Une étude climatique ne nécessite pas habituellement d’être approuvée par une session conjointe des deux chambres du Parlement, sauf, peut-être, s’il s’agit de simuler un tsunami qui pourrait engloutir le sous-continent. La cheffe du gouvernement Yingluck Shinawatra a insisté sur le fait qu’il fallait «tout expliquer à la société».

L’armée craint une «mauvaise compréhension du public». Le Conseil national de sécurité évoque la période de la guerre du Vietnam et le possible retour en force des Etats-Unis dans la région. D’une étude scientifique sur les effets des émissions sur le climat, on est passé à la réémergence d’un ogre américain avide de reconquête. Le communiqué de la Nasa, laquelle justifie l’annulation par «l’absence des approbations nécessaires de la part des autorités régionales dans le cadre du calendrier nécessaire pour soutenir la mission de déploiement prévu et la fenêtre d’observation scientifique» est comme la claque sèche d’une maman fâchée qui ramène son bambin à la dure réalité.

Une autre leçon à tirer pourrait être celle portant sur les limites de l’opportunisme politique. Le cynisme des politiciens du Parti démocrate à cet égard vaut son pesant de riz gluant. Tout ce qui alimente le feu est bon à brûler et advienne que pourra. La grande perdante de ces petits calculs politiciens est la Thaïlande et notamment la communauté scientifique. On peut gager que la Nasa va désormais se tourner vers d’autres pays de la région jugés plus fiables. Les Thaïlandais paient, une nouvelle fois, pour l’immaturité de leurs «élites».

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Birmanie Chine

Les Kachins de Birmanie réfugiés en Chine en péril

L’organisation de protection des droits de l’Homme Human Rights Watch met en garde contre une grave crise humanitaire menaçant plusieurs milliers de Kachins réfugiés au Yunnan chinois.

«C’est une population oubliée; beaucoup d’observateurs en ignoraient jusqu’à l’existence», a indiqué le 26 juin Philip Robertson, directeur-adjoint de Human Rights Watch (HRW) pour l’Asie en présentant le rapport « Isolés au Yunnan. Réfugiés kachin de Birmanie dans la province chinoise du Yunnan ». Sur les 75.000 civils kachins qui ont fui depuis juin 2011 les combats entre l’Armée indépendante kachine (KIA) et l’armée birmane, entre 7.000 et 10.000 d’entre eux se sont réfugiés dans cette province chinoise «dans une douzaine de camps improvisés» ou parfois «en louant des espaces dans des blocs d’appartements abandonnés». Si ces réfugiés ont pu, au départ, subvenir grâce aux réserves qu’ils avaient emportées, ils font désormais face à une pénurie de nourriture et de médicaments. «Nous voyons s’annoncer une crise humanitaire majeure», a indiqué Philip Robertson lors d’une conférence de presse à Bangkok.

Sollicitées à plusieurs reprises par le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) et des ONG internationales, les autorités chinoises leur ont refusé l’accès aux réfugiés kachins, affirmant qu’elles leur «apportaient l’aide humanitaire nécessaire». «Mais d’après nos entretiens avec les réfugiés kachins, pas un seul d’entre eux n’a reçu une assistance quelconque», a affirmé Philip Robertson. Evoquant la situation sanitaire, le représentant de HRW a précisé qu’il y avait «un seul WC pour 300 réfugiés» et mis en garde contre les maladies contagieuses. «Les enfants ont la diarrhée et toussent constamment», a-t-il dit. Il a en revanche reconnu l’attitude positive de Pékin, qui, après avoir repoussé à deux reprises durant l’été 2011 les Kachins fuyant les combats, les a ensuite autorisés à s’installer au Yunnan. Le rapport recommande, entre autres, au gouvernement chinois d’accorder un statut susceptible de  permettre aux réfugiés de travailler légalement sur le sol chinois et de leur fournir une assistance humanitaire. L’enquête de Human Rights Watch a été effectuée entre juillet 2011 et mai 2012.

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Cambodge Politique

Le procès des Khmers rouges s’enlise au Cambodge

Problèmes de financement, changements de personnel, santé déficiente des accusés… le procès des leaders Khmers rouges pourrait connaître une fin prématurée.

L’idée d’un «grand procès» qui permettrait à la fois de rendre la justice et de faire la lumière sur la période khmère rouge s’est évanouie dans bien des esprits. Changements incessants d’avocats, de procureurs et de juges, vieillissement des trois ex-leaders khmers rouges en train d’être jugés (l’ex-numéro deux du régime Nuon Chea a 86 ans, l’ancien chef de la diplomatie Ieng Sary également et l’ex-chef d’Etat Khieu Samphan 81 ans), lassitude des pays donateurs, ingérences du gouvernement du Cambodge: la crise qui menaçait depuis longtemps se fait de plus en plus précise, à tel point que nombreux sont les observateurs estimant que la procédure n’ira pas plus loin que le procès actuellement en cours. Le «cas numéro deux» qui concerne les trois anciens leaders cités plus haut a été scindé par les juges en une série de mini-procès dont le premier, en cours, porte sur l’évacuation forcée de Phnom Penh ordonnée par les Khmers rouges le 17 avril 1975. Si le procès s’en tient à cet événement, cela signifie que les innombrables exécutions, séances de tortures et autres crimes commis au cours ou immédiatement après l’évacuation ne seront jamais jugés.

L’hospitalisation durant cinq jours d’Ieng Sary en mai pour cause de bronchite a souligné l’état de santé déclinant des accusés, parmi lesquels Khieu Samphan paraît être le plus vaillant. L’administration du tribunal est aussi frappée par une pénurie de fonds, due aux réticences de plus en plus fortes des pays donateurs à financer un procès dont la crédibilité semble sujette à caution à cause des nombreuses ingérences du gouvernement cambodgien. Il manque 22 millions de dollars (17,6 millions d’euros) pour l’année 2012. Le 21 juin, le procès sur l’évacuation de Phnom Penh, qui en était à sa 78ème journée, a été ajourné pour un mois. Un seul accusé a été jugé jusqu’à présent, l’ancien chef du centre de torture S-21 Kang Khek Ieu alias Duch, condamné en février dernier à la prison à perpétuité.

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Histoire Politique Thaïlande

La Thaïlande en révolutionnaire nostalgique

Les Thaïlandais ont commémoré le 24 juin le 80e anniversaire du renversement de la monarchie absolue avec des conférences et un rassemblement.

«Après 80 ans, toujours pas de démocratie». Cette inscription sur la pancarte qui surplombe l’estrade centrale des Chemises rouges face au monument de la démocratie résume l’humeur du rassemblement du 24 juin. Plusieurs dizaines de milliers de ces partisans d’une réforme sociale et politique radicale ont occupé l’avenue Rajdamnoen Klang, dans le quartier historique de Bangkok, sur toute sa longueur, avec leur habituel cortège d’échoppes de souvenirs. Comme toujours la mobilisation est impressionnante, organisée par districts et s’appuyant sur le réseau des radios locales rouges. Red Pattaya, Buriram 555, Chiang Mai 51… on se retrouve et on se salue l’un l’autre, c’est une grande famille qui se réunit.

Bandana rouge autour de la tête, collier d’amulettes bouddhiques pendant au cou, Samart Thiwongchai, un commerçant de Bangkok âgé de 50 ans, établit un rapport direct entre l’anniversaire du coup d’Etat des Promoteurs, il y a huit décennies, et le mouvement des Chemises rouges. «Nous avons les élections, mais nous n’avons pas une administration démocratique, car nous sommes soumis au pouvoir de l’ombre», dit-il sur un ton courroucé. Sur une estrade près de là, une femme qui a pris le micro s’épanche : «Ce n’est pas juste que certains gagnent cinq millions de bahts par mois et que d’autres n’aient rien à manger. Ce que nous demandons, c’est juste l’égalité».

Parallèlement, une conférence se tient dans un auditorium de l’université Thammasat toute proche sur le thème : «100 ans après la révolte de 1912 – 80 ans après la révolution de 1932». En 1912, une première tentative de renversement de la monarchie absolue par des roturiers avait été éventée par le roi Rama VI. Les présentations et l’ambiance lors de la conférence attestent de manière frappante que les choses changent très rapidement en Thaïlande. Lorsque l’image du roi actuel Bhumibol Adulyadej apparaît sur l’écran, des exclamations de dépit et des gloussements ironiques fusent de l’assistance composée en grande majorité de Chemises rouges. C’est la présentation de Pavin Chachavalpongpun, intitulée «Une monarchie dure à cuire», qui, de loin, attire le plus d’applaudissements. Pavin Chachavalpongpun, un politologue enseignant à l’université de Kyoto, au Japon, a reçu récemment des menaces le mettant en garde s’il persistait à demander une réforme de la loi contre le crime de lèse-majesté.

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Analyse Société Thaïlande

Chronique siamoise : un bouddhisme en petite forme

Des bonzes occidentaux apportent une nouvelle jeunesse à un bouddhisme thaïlandais en voie d’essoufflement.

Dans ce monastère établi sur 50 hectares de forêt dans la province d’Ubon Ratchathani, dans le nord-est de la Thaïlande, les règles sont strictes : pas d’appareils photos, pas de téléphones portables, pas d’animaux domestiques en liberté. Les femmes doivent être habillées en blanc et se tenir à «deux bras de distance» des bonzes quand elles leur parlent. Toute une partie du monastère est interdite d’accès à ceux qui n’ont pas été ordonnés bonzes, y compris aux novices, c’est-à-dire ceux qui sont en phase d’apprentissage avant d’endosser le froc.

Autour du bot, la chapelle du monastère, des femmes et des hommes vêtus de blanc, méditent les yeux fermés, assis en tailleur. D’autres s’exercent à la «méditation en marchant» allant et venant lentement le long du sala, la salle où se tiennent les cérémonies. Dans la forêt où les kutis (cabanes) des bonzes sont disséminés, des moines marchent en long et en large, eux aussi méditant.

L’un d’eux astique une magnifique statue de Bouddha marchant en bronze. L’endroit respire la discipline et la sérénité. Tout est empreint de silence. On n’entend guère que le crissement des ailes des insectes, des hululements de chouette ou parfois des écureuils qui crapahutent de branche en branche. Un monastère bouddhique selon la tradition, tel qu’on l’imagine.

C’est le Temple international de la forêt (en thaï : Wat Pah Nanachat), établi en 1974 par un bonze de la tradition de la forêt, Ajahn Cha, et un de ses disciples d’origine américaine, Ajahn Sumedho. N’y résident que des bonzes occidentaux qui ont suivi dix-huit mois d’apprentissage avant de pouvoir être ordonnés, et, quelquefois, un bonze sri-lankais ou laotien de passage.

Cet endroit peut être comparé à de nombreuses pagodes de Bangkok ou de province. Des pagodes transformées en parking, où des vendeurs de brochettes côtoient des pick-up pétaradants, où les marchands du temple ont élu domicile, et qui vantent leurs mérites – un abbé aux capacités de guérison hors du commun, un temple qui fabrique des poignards ensorcelés, un autre dont les amulettes sont parées d’innombrables vertus… – sur des panneaux publicitaires criards plantés le long des routes.

Des pagodes envahies par la confusion bruyante du monde extérieur, rongées par le commercialisme. Bien sûr, il existe des temples thaïlandais où la discipline reste stricte et qui essaient de préserver une certaine pureté, mais force est de constater qu’ils sont bien rares. Comment expliquer que ce sont des Occidentaux qui parviennent le mieux à perpétuer l’idéal originel du Bouddha, à cheminer sans trop s’écarter de l’étroite voie du juste milieu ?

Peut-être, parce que justement, leur engagement dans cette religion d’apparence exotique est un choix, une décision mûrie de s’arracher à leur environnement culturel pour s’immerger dans une autre tradition. Les hommes thaïs, eux, deviennent presque tous bonzes au seuil de leur vie adulte, pour quelques jours, quelques semaines ou quelques mois. Rien de spécial à cela. C’est souvent seulement un rite de passage. Très peu resteront durablement dans les ordres.

Les statistiques l’attestent : entre 2000 et 2010, le nombre d’hommes thaïlandais qui sont devenus bonzes a chuté de 70 %. La contamination de la vie religieuse par la cacophonie profane a érodé le prestige et l’attrait de la pagode bouddhique. La liste des moines thaïs de grand renom est longue – Phra Buddhadasa, Phra Payutto, Ajahn Man, Ajahn Cha, Ajahn Panya…-, mais presque tous sont nés avant la seconde guerre mondiale. Ce qui constitue les fondements de la moralité des Thaïs de confession bouddhiste (95 % de la population) s’évapore lentement devant les assauts des nouvelles formes de consumérisme, du matérialisme à tout va, de la quête du prestige et de la richesse. L’essentiel de l’activité des bonzes est orienté vers une sorte d’échange social : cérémonies de bénédiction contre offrandes, parrainage religieux contre soutien financier. On entend parfois des bonzes lors de cérémonies annoncer par haut-parleur les sommes offertes et le nom des donateurs, comme s’il s’agissait d’une vente aux enchères.

Il ne serait pas si ironique que cela que le cœur de l’enseignement du bouddhisme theravada soit entretenu dans des monastères occupés par des moines étrangers. Après tout, le bouddhisme a presque totalement disparu de son pays d’origine, l’Inde, et n’a dû sa survie qu’à son développement dans des pays où il s’est implanté ultérieurement : Tibet, Chine, Japon, Corée, pays d’Asie du Sud-Est. Et les forces nouvelles du catholicisme se situent bien plus dans les pays en voie de développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud que parmi les vieilles nations où il a fleuri des siècles durant.

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Histoire Politique Thaïlande

Thaïlande : le coup d’Etat de 1932 sous les feux de l’actualité

Le contexte politique thaïlandais donne au 80ème anniversaire du renversement de la monarchie absolue le 24 juin 1932 un relief exceptionnel.

Habituellement, l’anniversaire du coup d’Etat des Promoteurs, ces jeunes civils et militaires qui ont mis à bas, sans violences, la monarchie absolue dans la matinée du 24 juin 1932, est à peine commémoré, comme s’il s’agissait d’un reliquat d’une maladie honteuse. Cette année, les choses sont différentes, en grande partie à cause des fortes tensions politiques entre partisans de l’establishment traditionnel et tenants d’une réforme sociale et politique. Les Chemises rouges, qui appartiennent au second groupe, organisent le 24 juin un rassemblement autour du monument de la Démocratie, lequel a été construit en 1939 pour symboliser la souveraineté de la Constitution. Le 15 juin, des étudiants déguisés en uniformes des années trente se sont rassemblés face au quartier général des forces armées, sur l’avenue Rajdamoen Nok à Bangkok, pour exprimer leur opposition aux coups d’Etat. Le 24 juin, un colloque se tient toute la journée à l’université Thammasat sur la thématique du 80ème anniversaire du renversement de la monarchie absolue.

Selon l’historien Suthachai Yimprasert, cité par le Nation, le regain d’intérêt pour la signification du 24 juin, dont les acteurs clés ont été Pridi Banomyong, Plaek Phibunsongkhram et Phraya Phahon Pholpayuhasena (tous futurs premiers ministres), a été provoqué par le coup d’Etat du 19 septembre 2006, lequel a renversé le gouvernement de Thaksin Shinawatra. «Après le coup, les gens ont estimé que la Démocratie était en état de siège. Ils ont recherché la signification et l’origine de la Démocratie en Thaïlande», dit-il. Durant les manifestations des Chemises rouges en 2009 et 2010, la figure de Pridi Banomyong, le principal civil du groupe de Promoteurs, est très peu apparue ; c’est plutôt le roi Taksin (renversé en 1782 par le général putschiste Chakri qui deviendra ensuite le roi Rama I et instaurera la dynastie actuelle) qui a été à l’honneur. Certains analystes mettent en garde contre une monopolisation du 24 juin 1932 par les Chemises rouges. «Les autres groupes doivent aussi avoir le droit d’invoquer le 24 juin», estime le politologue Trakoon Mechai.