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Analyse Politique Thaïlande

Chronique siamoise : où sont les arbitres ?

L’absence de médiateurs respectés en Thaïlande laisse libre cours à des déchirements politiques qui frisent l’absurde.

Dans les années 60, des anthropologues anglo-saxons avaient identifié l’évitement des conflits comme étant une caractéristique fondamentale de la «société faiblement structurée» qu’était, à leurs yeux, la Thaïlande. Revers de ce trait sympathique relevé par les mêmes observateurs : la perte de tout contrôle de soi, de toute mesure, de tout sens du justifié et de l’injustifié quand un conflit est déclaré malgré les efforts pour l’étouffer dans l’œuf. Outre la question de la perte de face qui ne peut se compenser que par une destruction absolue du fautif, il faut y ajouter la difficulté à distinguer entre acteurs du conflit, simples observateurs et ceux qui essaient d’apaiser les tensions. Le désordre politique actuel autour de la question de la réforme constitutionnelle illustre cette propension à qualifier toutes les parties impliquées comme étant partiales (khao khrang).

Traditionnellement, les deux parties à un conflit étant incapables d’agir raisonnablement, on fait appel à un médiateur (khon klang), une personne reconnue pour sa séniorité et son caractère impartial. Dans le passé, l’abbé de la pagode, parfois un chef de village particulièrement respecté ou un oncle vénérable remplissaient souvent ce rôle. Dans le contexte de la politique nationale, cette fonction est essentiellement dévolue au roi, garant de l’unité du pays et donc de l’harmonie entre tous les Thaïlandais. Depuis 2006, le roi Bhumibol, âgé alors de 79 ans et dont la santé est déclinante, a paru dépassé par les événements ou à tout le moins réticent à jouer un rôle d’arbitre et a clairement poussé les tribunaux à s’en saisir. Ce volontarisme de l’appareil judiciaire a été désastreux. Il a plus abouti à une politisation de la justice qu’à une judiciarisation du monde politique. Protégé par des lois proches de celles réprimant le crime de lèse-majesté, les juges ont multiplié les décisions partiales sans pouvoir être critiqués. Quelques juridictions professionnelles ont émergé avec les honneurs de ce marasme, notamment les Cours administratives de création relativement récente, mais beaucoup d’autres ont perdu tout crédit aux yeux de la population.

A cet égard, l’attitude de la Cour constitutionnelle, qui a décrété le 1er juin une injonction pour suspendre le débat parlementaire sur la réécriture d’un article de la constitution, laquelle aurait permis la réforme de cette même constitution, est parlante. Interprétant l’article 68 de la charte en dépit du bon sens, la Cour constitutionnelle s’est arrogé le pouvoir de suspendre un débat parlementaire sur la simple présomption d’un futur complot pour renverser la monarchie constitutionnelle. La torsion des alinéas pour en retirer ce que l’on recherche n’est pas nouvelle. Les codes de lois écrites ont à peine un siècle en Thaïlande et, sauf pour les lois sur la famille, ils ont été une importation directe de l’Occident. L’esprit de la loi n’a pas encore beaucoup de poids dans un pays où d’innombrables esprits, bien plus malicieux, ont leur logis dans les jardins, au bord des virages dangereux et au fin fond des forêts. Quelles sont les «mains invisibles» qui agissent derrière la Cour ? L’argument du renversement de la monarchie est celui de tous les faiseurs de coup d’Etat. Qu’un expert juridique tel que Meechai Ruchupan, scribe des putschistes depuis des décennies, insiste sur la justesse de l’attitude de la Cour ne peut qu’éveiller des soupçons. Au royaume du clientélisme, il n’existe pas – ou du moins très peu – d’experts, pas plus en matière de droit que de mesures anti-inondations ; il n’existe que des aboyeurs qui défendent leur maître respectif.

La réaction des Chemises rouges après l’injonction de la Cour constitutionnelle confirme la faillite du système. Elles ont demandé le limogeage des sept juges qui ont voté pour l’injonction, c’est-à-dire des sept juges qui ont statué contre leurs intérêts. Elles menacent de mobiliser leurs troupes pour faire prévaloir la force sur le droit. Mais quel droit ? Ou plutôt : le droit de qui ? A tort ou à raison, il n’y a plus de respect de l’appareil judiciaire, plus de médiateurs, plus de croyance dans des principes supérieurs, mais simplement une lutte implacable, becs et ongles, pour vaincre et dominer. Et, passé un certain niveau de progression, il risque d’être difficile de stopper cette tumeur malsaine.

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Société Sports Thaïlande

Les abonnés au cable privés d’euro-foot en Thaïlande

L’absence d’accord entre la chaîne cablée TrueVisions et la firme GMM Grammy, détenteurs des droits de rediffusion de l’Euro 2012, bloque la retransmission des matches.

Les deux millions d’abonnés de TrueVisions ont été frustrés des premiers matches de l’Euro 2012 de football alors que la firme de télévision cablée continue à négocier avec GMM Grammy pour pouvoir retransmettre les matches qui sont diffusés sur les chaînes hertziennes gratuites de Thaïlande, la 3, la 5 et la 9. Ces trois chaînes figurent dans le bouquet des chaînes retransmises par TrueVisions, mais à cause du piétinement des pourparlers, un simple panneau d’excuse apparaît sur l’écran durant les matches au grand désespoir des adeptes du ballon rond sur l’écran rectangle. Saree Ongsamwang, la directrice de la Fondation des droits des consommateurs a vivement critiqué True Visions pour sa mauvaise gestion de la situation. «Les abonnés à TrueVisions paient déjà des mensualités élevées. On ne doit pas leur demander de payer encore plus pour acquérir un autre décodeur GMM pour voir les matches», a-t-elle dit au quotidien Bangkok Post. «La firme doit maintenir une diffusion sans interruption, selon les termes de l’accord de service et de ses propres brochures publicitaires», a ajouté la militante des droits du consommateur.

Les abonnés, eux, reprochent surtout à la TrueVisions de ne pas les avoir prévenu à l’avance, ce qui les a empêché de chercher une solution de rechange. Il semble que TrueVisions s’imaginait qu’elle bénéficierait gratuitement des matches grâce aux chaînes hertziennes qui figurent dans son bouquet. En attendant qu’un accord intervienne, certains fans de foot ont imaginé leur propre solution en remettant en service leur vieille antenne hertzienne ou en s’en fabriquant une avec les moyens du bord.

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Birmanie Politique

Chaos et loi martiale dans l’ouest de la Birmanie

Le gouvernement birman a décrété la loi martiale dans un district de l’Etat Rakhine après une flambée de violences entre musulmans et bouddhistes.

Un couvre-feu est imposé depuis le 9 juin dans le district de Maungdaw, à 230 km à l’ouest de Rangoon après que, selon les autorités, des centaines de musulmans eurent saccagé et brûlé des maisons et des commerces appartenant à des bouddhistes. Ces violences ont fait au moins cinq morts et une centaine de blessés. « Dix-neuf magasins, 386 maisons et un hôtel ont été brûlés. Quatre hommes et une femme ont été poignardés à mort », dit un communiqué sur le site internet officiel du président Thein Sein. L’armée a été déployée dans le secteur et des soldats explorent les montagnes autour du chef-lieu de district pour soigner les villageois qui s’y sont réfugiés.

Les tensions entre bouddhistes et musulmans de l’Etat Rakhine existent depuis des décennies, mais elles ont brutalement explosé fin mai après le viol et le meurtre d’une jeune Arakanaise bouddhiste. Des suspects musulmans ont été arrêtés, mais le 2 juin des centaines de bouddhistes, disant avoir repéré les coupables, ont stoppé un autocar et tué dix pèlerins musulmans. Le 8 juin, des violences, apparemment exercées par des musulmans en représailles, ont éclaté dans la ville de Maungdaw après la prière du vendredi. Les musulmans de l’Etat Rakhine, appelés Rohingyas, ont été amenés dans cette région comme ouvriers par les Britanniques durant la période coloniale. Après l’indépendance, ils se sont vus privés de nombreux droits et n’ont jamais pu obtenir la nationalité birmane.

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Thaïlande

Thaïlande : dix ans de prison pour un financier véreux

Rakesh Saxena, l’ancien conseiller financier de la Bangkok Bank of Commerce, dont l’effondrement avait été l’une des causes de la crise Tom Yam Kung, a été condamné le 8 juin.

A son échelle la Bangkok Bank of Commerce a été le Merrill Lynch asiatique, et à son niveau Rakesh Saxena, le conseiller auprès du président de la banque, le Bernard Madoff thaïlandais. Rakesh Saxena, qui s’était enfui au Canada en 1996 et en a été extradé en 2009, a été condamné le 8 juin à dix ans de prison et à 24.400 euros d’amende, pour avoir «causé des dommages à l’économie thaïlandaise». De nationalité indienne, il était arrivé au tribunal pénal de Bangkok Sud poussé par des aide-soignants dans un fauteuil roulant.

De concert avec le directeur de la banque, Krikkiat Jalichandra, Rakesh Saxena avait emprunté pour le compte d’une société sous leur contrôle 40 millions d’euros de leur propre banque sur la base de collatéraux faussement évalués à cent fois leur valeur réelle. La supercherie avait été découverte en 1996 et les ondes de choc avaient déstabilisé le système financier thaïlandais, entrainant par ricochet le pays dans une profonde crise financière et économique en 1997-1998 – une crise retenue par l’histoire sous le nom de crise Tom Yam Kung d’après l’appellation d’une soupe épicée thaïlandaise.

Krikkiat avait été condamné, après une série de procès entre 2006 et 2009, à 130 ans de prison et à 268 millions d’euros d’amende. Le tribunal a aussi demandé à Rakesh Saxena de restituer 27 millions d’euros qui ont disparu des caisses de la banque. Jusqu’à présent, le bureau du procureur général et la banque de Thaïlande ont réussi à récupérer environ un million d’euros appartenant à la défunte Bangkok Bank of Commerce, qui étaient cachés sur des comptes dans des banques suisses.

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Birmanie Politique

Un an de combats entre les Kachin et l’armée de Birmanie

Les membres de la minorité Kachin de Birmanie commémorent le premier anniversaire de la reprise des hostilités contre l’armée birmane dans le nord-est du pays.

Le 9 juin 2011, le cessez-le-feu en place depuis 17 ans entre la Kachin Independence Army (KIA, la guérilla kachin) et l’armée birmane avait volé en éclats du fait de tensions autour de projets hydroélectriques dans le nord-est de la Birmanie. De multiples heurts armés ont eu lieu depuis, entrainant la fuite de dizaine de milliers de civils. Pour marquer le premier anniversaire de cette reprise des combats et sonner l’alerte sur la crise humanitaire qui s’en est suivie, des militants kachin ont organisé les 5 et 8 juin des manifestations devant les ambassades de Birmanie à Bangkok et à Canberra. D’autres doivent se tenir dans d’autres grandes villes où vivent des communautés kachin.

Naw San, le secrétaire-général de l’Union des étudiants et de la jeunesse kachin, laquelle a organisé la manifestation à Bangkok, a déclaré dans un entretien avec le magazine Irrawaddy que les combats avaient forcé 70.000 Kachin à fuir leur village et que la plupart d’entre eux s’étaient réfugiés sur le sol chinois. Il a aussi indiqué que les villageois ne recevaient pas suffisamment d’assistance humanitaire. Des agences humanitaires des Nations unies se sont plaintes d’avoir été empêchées par les autorités birmanes d’accéder aux zones où se trouvent les villageois déplacés. Un convoi onusien de cinq camions est toutefois arrivé le 5 juin près de la frontière chinoise et a pu délivrer de la nourriture à 3.000 réfugiés. Plusieurs rounds de pourparlers de cessez-le-feu ont eu lieu ces derniers mois entre représentants de la Kachin Independence Organisation (KIO, le bras politique de la guérilla) et émissaires du gouvernement birman, mais ceux-ci n’ont pas abouti, les leaders kachin demandant «la reconnaissance des droits du peuple Kachin».

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Politique Thaïlande

Thaïlande : galimatias juridique autour de la réforme constitutionnelle

Le Bureau du procureur général a contredit le 7 juin la Cour constitutionnelle, laquelle avait ordonné la suspension d’un débat parlementaire.

La guerre de tranchées engagée, en Thaïlande, entre le Bureau du procureur général et la Cour constitutionnelle devrait passionner les étudiants en droit public. Le bureau du procureur général a indiqué qu’il ne donnait pas suite aux pétitions déposées par des députés du Parti démocrate d’opposition, lesquelles demandaient de suspendre le débat parlementaire sur un projet de loi d’amendement de la Constitution. Cette déclaration a pris le contre-pied de la position adoptée depuis une semaine par la Cour constitutionnelle, laquelle a examiné ces mêmes pétitions et ordonné la suspension du débat parlementaire. Pour bien montrer qu’elle persistait dans sa position, la Cour constitutionnelle a immédiatement réagi à la déclaration du bureau du procureur général, indiquant que cette dernière n’avait «aucun rapport» avec la décision de la Cour d’engager un examen juridique du projet de loi.

Ce bras de fer entre les deux organes juridiques se joue sur fond de forte tension entre le Peua Thai, principal parti de la coalition gouvernementale, et le Parti démocrate d’opposition. Ce dernier veut bloquer toute tentative de réforme de la Constitution instaurée en 2007 après un coup d’Etat un an auparavant. La confusion sur les pouvoirs respectifs de la Cour constitutionnelle et du Bureau du procureur général repose sur l’interprétation d’un passage de l’article 68 de la Constitution, lequel stipule : la personne qui a connaissance d’actes (visant à renverser la monarchie constitutionnelle) «a le droit de demander au procureur général d’enquêter sur les faits et de soumettre une motion à la Cour constitutionnelle pour qu’elle ordonne la cessation de tels actes». C’est la question de savoir qui peut «soumettre la motion» à la Cour qui donne lieu à différents avis.

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Birmanie Politique

Tensions inter-religieuses en Birmanie

Après des violences meurtrières contre des musulmans dans le nord-ouest de la Birmanie, le gouvernement tente d’apaiser les tensions.

Le gouvernement birman a mis en garde contre tous «débordements anarchiques» après des incidents violents le 3 juin qui ont causé la mort de dix musulmans dans l’Etat Rakhine, où les relations entre bouddhistes et musulmans sont traditionnellement mauvaises. La télévision d’Etat a averti que ceux qui enfreignent la loi seraient sévèrement punis. Le 3 juin, 300 bouddhistes, enflammés par un cas de viol et de meurtre d’une des leurs, ont stoppé un autocar transportant des pèlerins musulmans près de la ville de Taunggoke, à 300 km au nord de Rangoon, puis ont battu à mort neuf passagers ainsi qu’un dixième qui accompagnait l’autocar en voiture.

Parallèlement, une douzaine de bouddhistes parmi plusieurs centaines qui encerclaient un poste de police ont été blessés le même jour, à Sittwe, la capitale de l’Etat Rakhine, après que les forces de l’ordre eurent lancé des grenades lacrymogènes et tiré en l’air. Les tensions entre les Arakanais bouddhistes et les musulmans locaux, appelés les Rohingyas, existent depuis des décennies. Les Rohingyas, descendants d’Indiens musulmans amenés en Birmanie par les Britanniques à l’époque coloniale, sont dépourvus de nombreux droits et se voient refuser la nationalité birmane. Selon un militant des droits de l’Homme dans l’Etat Rakhine, aucun des musulmans tués le 3 juin n’était un Rohingya. Ces confrontations sont les premières à avoir lieu depuis que le gouvernement du président Thein Sein a autorisé sous certaines conditions – notamment l’obtention d’une autorisation cinq jours à l’avance – les manifestations publiques.

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Cambodge Politique

Procès khmer rouge : un juge visait Chea Sim et Heng Samrin

Un juge d’instruction, depuis démissionnaire, voulait requérir la participation des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale du Cambodge au procès khmer rouge.

Quatre dirigeants cambodgiens, parmi lesquels le président du Sénat Chea Sim et le président de l’Assemblée nationale Heng Samrin, avaient été cités comme «personnes d’intérêt» par un juge d’instruction, selon un document confidentiel du Tribunal pour juger les crimes khmers rouges obtenu par le quotidien australien The Age. Selon ce document, Chea Sim, Heng Samrin, ainsi que l’actuel chef de l’armée cambodgienne et un autre sénateur, occupaient des positions importantes au sein de l’armée khmère rouge au moment où celle-ci lançait des incursions meurtrières contre des villages vietnamiens dans le delta du Mékong en 1977 et 1978 et devraient détenir «des informations cruciales» sur ces opérations. Heng Samrin, qui était commandant en chef adjoint des troupes concernées, est considéré comme le mieux informé des quatre. Le document estimait que leur témoignage contribuerait grandement au dossier numéro trois, dans le cadre duquel l’ancien chef de l’armée de l’air khmère rouge Sou Meth et l’ancien chef de la marine khmère rouge Meas Muth, soupçonné entre autres d’avoir fait exécuter deux yachtsmen néo-zélandais, devaient être jugés.

Le gouvernement cambodgien a finalement «interdit» toute poursuite judiciaire au-delà du dossier numéro deux, c’est-à-dire du procès des trois ex-leaders khmers rouges actuellement en cours à Phnom Penh : l’ex-chef d’Etat Khieu Samphan, l’ex-chef de la diplomatie Ieng Sary et l’ex-numéro deux du régime Nuon Chea.

Heng Samrin et Chea Sim avaient déjà été convoqués comme témoins lors d’audiences concernant le rôle de Nuon Chea. Ils avaient refusé de répondre à la convocation. Le juge d’instruction auteur de ce document confidentiel, le Suisse Laurent Kasper-Ansermet, a démissionné de ses fonctions début mai car il estimait être «complétement bloqué dans son travail par le personnel cambodgien». Son prédécesseur avait lui-même démissionné en octobre 2011 à cause de ce qu’il avait qualifié «d’ingérences gouvernementales» dans l’instruction.