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Analyse Politique Thaïlande

Chronique siamoise : la Thaïlande vit une transition périlleuse

Chris Baker et Thitinan Pongsudhirak, deux des meilleurs experts de la politique thaïlandaise estiment que le pays va traverser de sérieuses turbulences à moyen terme avant d’être radicalement restructuré.

Le thème du débat, qui s’est tenu le 9 août au Club des correspondants étrangers de Thaïlande (FCCT), portait sur le premier anniversaire de l’arrivée de Yingluck Shinawatra à la tête du pays. Mais le nom de l’élégante première ministre n’a presque pas été prononcé de la soirée, animée par deux des plus brillants analystes de la politique thaïlandaise, l’historien et économiste Chris Baker, qui enseigne à l’université de Kyoto, au Japon, et Thitinan Pongsudhirak, directeur de l’Institut des études internationales et stratégiques (ISIS) de l’université Chulalongkorn à Bangkok. L’essentiel de leur présentation a tourné autour du changement drastique que subit depuis plusieurs années la société thaïlandaise, une transition peut-être comparable à la seconde moitié du XIXème siècle quand le « Vieux Siam » s’effondrait et le jeune roi Rama V tentait de mettre sur pied un nouveau modèle pour le pays.

La crise de transition se déroule, selon Chris Baker, à un double niveau : celui des élites, où Thaksin et ses détracteurs s’affrontent, et celui de la masse du peuple, dont une partie importante « a pris conscience de la possibilité de changer son destin ». Pour l’historien, ce dernier élément est nouveau en Thaïlande, mais suit un phénomène qui s’est produit dans nombre de pays, comme par exemple parmi les nations arabes ces deux dernières années. La Thaïlande présente toutefois un trait spécifique : la classe moyenne « au lieu de voir dans ce changement une opportunité pour renverser le vieil ordre aristocratique » s’est opposée de toutes ses forces à la « poussée d’en bas ». Comme élément d’explication, Chris Baker se réfère à l’origine chinoise de la plupart des membres de la classe moyenne urbaine. « Ces Chinois de Thaïlande estiment être des self-made men, avec en corollaire la pensée selon laquelle ceux qui ne réussissaient pas aussi bien qu’eux ne devaient s’en prendre qu’à eux-mêmes, à leur paresse et à leur stupidité », dit-il. L’historien estime aussi que les Sino-Thaïlandais conservent encore le souvenir d’une certaine discrimination qu’ils ont subie jusqu’à la Seconde guerre mondiale.

Thitinan a renforcé cet argument, montrant, par des anecdotes, combien les Chinois de Thaïlande estiment être redevables à la famille royale pour leur intégration très profonde dans la société thaïlandaise. De plus, ajoute Chris Baker, « ces Sino-Thaïlandais se voient surtout comme faisant partie d’une Chine-Asie montante. Ils visiteront plus volontiers Singapour, Hong Kong ou même Boston et Los Angeles qu’un village de la province thaïlandaise ». L’historien a toutefois insisté sur le fait qu’un des traits les plus sains de la Thaïlande était que le ressentiment social ne s’exprimait presque jamais en termes ethniques.

Le triplement du revenu par tête des petites gens de province et des banlieues urbaines en l’espace d’une génération a transformé leur vision du monde. « Ils ont voyagé, en Asie, au Moyen-Orient. C’est l’éducation avec un grand E. En dix ans, ils ont perdu la mentalité du village. Et avec cela, l’attitude de déférence est morte », a expliqué Chris Baker. Parallèlement, la décentralisation politique avec l’organisation d’élections au niveau des sous-districts et des provinces à partir de 1997 a permis aux provinciaux à faibles revenus de se rendre compte que les élections pouvaient être efficaces au niveau local. Thaksin Shinawatra a superbement chevauché cette vague en multipliant les promesses puis, une fois élu en 2001, en les tenant. Lui ou ses représentants ont remporté les élections cinq fois de suite.

Le tableau brossé par les deux analystes est celui d’un changement rapide, animé par de nombreux mouvements souterrains, et qui provoque « une peur qui confine à la paranoïa » et « un niveau très élevé d’anxiété ». L’avantage est, selon eux, du côté des Chemises rouges, les partisans du changement social, auxquels ne font face que des forces relativement disparates : un mouvement conservateur des Chemises jaunes en pleine déconfiture, une armée angoissée qui se concentre sur la protection de ses intérêts et des Démocrates qui paraissent incapables de se regrouper pour remporter une élection. Tous deux aussi estiment que l’opportunité récente d’un compromis n’a pas été saisie et est désormais perdue, la classe moyenne souhaitant le retour « à une situation pré-1997 où chacun connaissait sa place ». Enfin en termes voilés, le Britannique et le Thaïlandais ont évoqué le « crépuscule du système », qui, selon Thitinan, ne peut être que « sens dessus dessous » et « déplaisant ».

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Le taisez-vous des Chinois aux Américains

Le ministre chinois des affaires étrangères est en Asie du sud-est jusqu’au 13 août. Au menu : la défense des intérêts de Pékin en mer de Chine du Sud.

Evitant soigneusement le Vietnam et les Philippines, qui contestent le plus vigoureusement la souveraineté chinoise sur les eaux de la mer de Chine du Sud, Yang Jiechi s’est d’abord rendu à Jakarta, où il a été reçu le 10 août par le président Susilo Bambang Yudhoyono, avant de gagner le petit sultanat de Brunei et la Malaisie. L’objectif de cette tournée éclair, qui prend fin le 13 août : solliciter la compréhension de trois membres de l’Asean, surtout celle de l’influente Indonésie, afin de calmer un peu le jeu et de s’assurer que l’Association des nations de l’Asie du sud-est ne se ressoude pas dans une attitude antichinoise.

L’Indonésie joue les médiateurs depuis que neuf Etats membres de l’Asean ont été incapables d’imposer au dixième, le Cambodge, qui assure la présidence annuelle de l’Association et qui est un allié de Pékin, une position commune à l’issue de leur conférence ministérielle de juillet à Phnom Penh. Fin juillet, une médiation de Marty Natalegawa, ministre indonésien des affaires étrangères, a permis la publication d’une déclaration sur le Code de conduite en mer de Chine du Sud, adopté en 2002 en accord avec Pékin mais qui n’a jamais été appliqué, la Chine expliquant qu’il le serait «au moment opportun».

Entre-temps, l’annonce par Pékin de la création d’une garnison chinoise basée dans l’archipel des Paracels a provoqué une réaction de Washington, un porte-parole du Département d’Etat américain estimant, le 3 août, que cette initiative chinoise et la création, au préalable, de la «ville» chinoise de Shansha couvrant les archipels du secteur contribuait à renforcer les tensions en mer de Chine du Sud. La Chine a rétorqué que les Etats-Unis n’avaient pas le droit de se mêler de cette affaire. Le Quotidien du peuple, organe du PC chinois, a même déclaré que la Chine était en droit de demander de « crier aux Etats-Unis ‘taisez-vous’». La mission confiée à Yang Jiechi est donc de s’assurer que le courant continue de passer entre Pékin et certaines capitales de l’Asean tout en réitérant que la souveraineté chinoise sur les eaux concernées demeure «indiscutable».

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Analyse Indonésie Politique

Prabowo, l’Indonésien qui entend rafler la mise en 2014

Un outsider se prépare à l’élection présidentielle de 2014 en Indonésie : Prabowo Subianto, personnage fort controversé, qui mise sur un vide politique.

Voilà quatorze ans, au lendemain de la chute de Suharto en Indonésie, Prabowo semblait fini. Ses quatre étoiles lui avaient été officiellement et publiquement arrachées après son intrusion, à la tête d’hommes armés, dans le palais présidentiel de Jakarta alors occupé par B. J. Habibie, éphémère successeur du dictateur. Rayé, de façon humiliante, des cadres de l’armée à l’âge de 46 ans. Il était également en instance de divorce (son épouse était l’une des filles de Suharto). Il s’apprêtait à s’exiler en Jordanie, où il résidera six années.

Aujourd’hui, il caracole en tête des sondages en vue de l’élection de 2014. Un sondage réalisé en juillet par le respecté CSIS (Centre for Strategic and International Studies) et publié par le Jakarta Post le 9 août, accorde à Prabowo 44% des suffrages contre 18% au président sortant Susilo Bambang Yudhoyono (SBY) en cas de duel électoral. L’exercice est théorique car SBY, qui effectue son deuxième mandat, ne peut pas se représenter en 2014. Il offre, toutefois, l’avantage de souligner à quel point la chute de popularité de l’actuel président (réélu avec 61% des suffrages en 2009) est récupérée par l’ancien officier rebelle.

Le même sondage indique que Prabowo est le favori face aux autres candidats potentiels en 2014 : il obtient 17,9% des voix contre 15,3% à Megawati Sukarnoputri, 11,5% à Jusuf Kalla et 10% à Aburizal Bakrie. Le précédent sondage du CSIS, en février 2012, plaçait Megawati en tête avec 10% des suffrages contre 6,7% seulement à Prabowo.

En ce qui concerne les partis, la palme revient, avec 18% des suffrages, au Golkar, le mouvement qui a servi de relais sous le régime de Suharto. Le Golkar a déjà choisi on candidat à la présidence, l’homme d’affaires Aburizal Bakrie, qui a fait fortune sous Suharto avant de devenir un partenaire de SBY. Mais si Bakrie dispose de la meilleure machine électorale, il est fort peu populaire. C’est la formule inverse avec Prabowo, dont le parti Gerindra ne recueille que 5,2% des suffrages.

Prabowo, qui s’est enrichi ces dernières années, est partisan d’un régime plus autoritaire, nationaliste. Il est sur la lancée. Mais les militants des droits de l’homme vont lui mener la vie dure. Il a une réputation de brutalité, notamment quand il a été chargé de la répression des dissidents dans les années 1990 alors qu’il était le patron de Kopassus, les forces spéciales à la réputation sulfureuse. Il demeure interdit de séjour aux Etats-Unis. Le rôle qu’il aurait pu jouer également dans les émeutes de 1998 reste à déterminer, y compris dans les exactions commises contre la minorité d’origine chinoise. L’affaire, pour lui, est loin d’être conclue.

Jean-Claude Pomonti

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Analyse Politique Thaïlande

Chronique siamoise : au bonheur des militaires

Le budget de l’armée thaïlandaise a fortement augmenté depuis le coup d’Etat de 2006 alors même que les menaces extérieures sont presque inexistantes. C’est en partie pour préserver ce trésor de guerre que les militaires veulent être partie prenante du jeu politique.

Face à l’intensification des violences dans l’extrême Sud à majorité musulmane de la Thaïlande, le gouvernement a décidé de renforcer le dispositif de sécurité et l’armée a déployé des hélicoptères de combat pour protéger les patrouilles. Comme souvent depuis la résurgence de l’insurrection séparatiste en janvier 2004, l’augmentation du nombre de victimes se traduit par une augmentation du budget des militaires pour faire face à la situation dans les trois provinces, Pattani, Yala et Narathiwat. Depuis 2004, l’armée a reçu 180 milliards de bahts (4,7 milliards d’euros) à ce titre. Mais en termes de sécurité, aucune amélioration n’est visible. Au contraire, les insurgés sont mieux organisés, font des attentats plus ciblés et plus efficaces et semblent toujours avoir un temps d’avance sur les « forces de sécurité » – militaires, rangers et policiers.

Le général Prayuth Chan-ocha, chef de l’armée de terre, a piqué récemment une colère contre les journalistes qui insinuent que les militaires ont intérêt à faire durer l’insécurité dans le Sud pour des raisons budgétaires. Il n’a de cesse de souligner qu’en pourcentage du PIB, le budget militaire est parmi les plus bas de la région. Peut-être serait-ce, de fait, outrancier d’accuser l’armée de faire perdurer l’insurrection, mais il est clair que les demandes de rallonge budgétaire doivent être justifiées. Et l’intensification de la menace est la meilleure des justifications. On a rarement entendu des chefs militaires demander une réduction de leur quote-part parce qu’ils avaient réussi à pacifier une région en proie à la violence. La difficulté d’extirper l’armée indonésienne d’Atjeh après les accords de paix de 2005 l’a illustré.

Où sont partis ces dizaines de milliards de bahts versés à l’armée pour reprendre en main le contrôle du « Sud profond » ? Il est légitime de se poser la question au moment où le FBI thaïlandais indique que des centaines de détecteurs de bombes inefficaces ont été achetés dans des conditions non transparentes et à des prix exorbitants. On se rappelle aussi la campagne extensive du général Pichet Wisaijorn, commandant jusqu’en 2010 de la 4ème armée basée dans le Sud, pour exalter les vertus d’un engrais organique qui résoudrait le « problème du Sud ». On pourrait ajouter à la liste le dirigeable à 350 millions de bahts (9 millions d’euros) qui n’a volé qu’une fois ainsi que bien d’autres exemples.

Il y a de bonne raisons pour les militaires de s’agacer de la surveillance plus étroite de leurs dépenses. Depuis le coup d’Etat de 2006, le budget militaire a rapidement augmenté, même lorsque l’économie s’est ralentie du fait du contexte mondial dépressif en 2008 : 3,2 milliards de dollars en 2006, 3,6 en 2007, 4,1 en 2008, 4,5 en 2009 et 5,1 en 2010. Le graphique ci-dessous montre cette escalade des dépenses, qui fait écho à une augmentation similaire après le coup d’Etat de 1991 (et une forte chute après le renversement du général Suchinda Kraprayoon en mai 1992). En termes de pourcentage du PIB, la Thaïlande, avec 1,44 % en 2011, se trouve derrière Singapour (4 %), mais bien au-dessus de l’Indonésie (1 %). Toutefois si la cité-Etat, dont l’armée bien entraînée a la responsabilité de protéger le détroit de Malacca et de contrer les éventuelles menaces d’une Malaisie hostile, peut justifier son important budget par les menaces extérieures, il n’en est pas de même pour l’armée thaïlandaise.

La seule menace extérieure de ces dernières années, liée aux tensions avec le Cambodge sur la zone contestée autour du temple de Preah Vihear, semble plus une menace inventée qu’un danger réel : la crise aurait pu être calmée de manière diplomatique si les politiciens thaïlandais, au premier rang desquels les membres du parti Démocrate (au pouvoir entre décembre 2008 et juillet 2011), n’avaient pas constamment jeté de l’huile sur le feu. En proportion du PIB, le budget militaire thaïlandais converge vers le niveau de la très aguerrie armée vietnamienne, forte d’environ un million d’hommes dans les années 1990, et qui est passée d’un niveau budgétaire de 8 % du PIB en 2001 à 2,1 % en 2011 (à titre de comparaison, l’armée thaïlandaise comprend 190.000 hommes). Il est vrai que cette augmentation budgétaire en Thaïlande s’explique en partie par la nécessité de remettre à neuf des équipements usagés, tels que les hélicoptères UH-1 Huey.

La corruption est présente au sein de l’appareil militaire thaïlandais comme au sein de nombreuses administrations du pays. En revanche, si l’on sait en gros comment les pots-de-vin circulent et sont redistribués au sein de la police, les circuits financiers sont beaucoup plus opaques au sein de l’armée. Un élément ne fait guère de doute : ces pots-de-vin sont surtout versés à très haut niveau et consistent avant tout en commissions lors des achats d’armements, selon une pratique répandue dans de nombreux pays, ce qui explique que l’armée thaïlandaise se retrouve avec un porte-avions qui reste en rade, des dirigeables qui ne volent pas et des chars d’assaut dont les tourelles se fissurent après quelques coups de canon.

Ces combines s’expliquent en partie par les faibles salaires des officiers supérieurs – des salaires totalement en inadéquation avec le prestige social de leur fonction. Un général de brigade thaïlandais gagne 62.000 bahts par mois (1.600 euros), mais il lui faudra au moins dépenser le double pour mener un train de vie qui lui permettra de « conserver la face ». Outre les possibilités d’arrondir les fins de mois avec des commissions, un autre avantage des officiers thaïlandais est d’appartenir à un sous-ensemble social bénéficiant de multiples privilèges, des clubs de golf militaires aux stations balnéaires réservées en passant par une quasi-immunité juridique. L’armée en Thaïlande demeure un Etat dans l’Etat et est bien décidée à se battre bec et ongles pour que cela reste ainsi.

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Analyse Politique Thaïlande

Chronique siamoise : tout glisse sur la carapace de Crabe

Sous son air candide, la cheffe du gouvernement thaïlandais Yingluck Shinawatra tire son épingle du complexe jeu politique thaïlandais.

A la fin d’un récent séminaire de sciences politiques à l’université Thammasat de Bangkok, l’historien thaïlandais Charnvit Kasetsiri évoquait cette singulière capacité des femmes asiatiques au pouvoir à tromper leur monde. L’universitaire rappelait que beaucoup d’observateurs se moquaient de Megawati Sukarnoputri en Indonésie ou de Corazon Aquino aux Philippines quand elles avaient pris leurs fonctions présidentielles. «Elles ont toutefois toutes deux mené leur mandat présidentiel à terme. Ne sous-estimez pas Yingluck», concluait-il. Ne vendons pas, donc, la carapace de «Crabe» trop tôt.

Comme tous les enfants de Thaïlande, Yingluck Shinawatra a en effet reçu dès son plus jeune âge un surnom d’une syllabe, qui correspond à certaines caractéristiques physiques ou de comportement. «Crabe» (Pou en thaï) est attribué aux enfants qui donnent l’impression de rester dans leur carapace, d’être sur la réserve. Dans la Yingluck première ministre de Thaïlande de 2012, il reste un peu de la timide étudiante de Chiang Mai, à la fois sérieuse et respectueuse, une jeune femme qui veut bien faire et ne pas décevoir. A la tête de l’exécutif thaïlandais, elle prête certainement le flanc à la critique. Ses réponses habituelles aux questions épineuses sont de dire qu’il faut en référer au ministre ou au chef de département directement concerné. Ses injonctions de cheffe du gouvernement sont le plus souvent de dire aux ministères et aux diverses agences de «se coordonner».

Interrogée récemment par la presse thaïlandaise sur une possible visite dans le sud à majorité musulmane du royaume, en proie à une violente insurrection séparatiste depuis janvier 2004, elle répond que les «technologies de communications sont suffisamment bonnes» pour qu’elle transmette ses ordres aux autorités sans se déplacer, tout en ajoutant qu’elle n’exclut pas d’y descendre «si cela est utile». Dans un récent entretien publié par Le Monde, elle avoue sans fard qu’elle aura hâte de «faire du shopping» à Paris, une fois les rencontres officielles terminées. Et, interrogée sur ses goûts musicaux lors de sa conférence de presse devant le Club des correspondants étrangers en Thaïlande, elle dit sa faiblesse pour les «chansons faciles» qui l’aident à se relaxer.

On est loin, certes, du brio d’un Abhisit Vejjajiva, de la hauteur de vues d’un Anand Panyarachun ou du propos incisif d’un Chuan Leekpai. Mais une majorité des Thaïlandais préfèrent sans doute cette femme élégante, pleine de charme et qui fait bonne figure aux côtés des chefs de gouvernement et chefs d’Etat de la planète à un politicien verbeux qui leur semblerait hors de portée. D’ailleurs, Yingluck Shinawatra ne laisse rien au hasard. Elle a fortement insisté, lors de son voyage en France à la fin de juillet, sur les détails du protocole, sachant qu’une équipe de télévision thaïlandaise la suivrait et que son image serait regardée dans les foyers du royaume. Un autre entretien avec la presse française, paru dans Le Figaro, révèle une certaine finesse de Yingluck, qui répond sans répondre, esquive et botte en touche. Au final, on ne peut pas lui reprocher grand-chose.

Il reste bien sûr la principale équivoque, celle de sa relation avec son frère ainé de 20 ans, l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, enfui de Thaïlande en 2008 peu avant d’être condamné à deux ans de prison pour abus de pouvoir. Le grand frère tire-t-il les ficelles de Crabe ? Bien malin qui peut répondre, sauf à être une petite souris qui puisse assister aux conversations entre Méo, tel qu’est surnommé Thaksin selon une minorité ethnique du nord, et le candide crustacé.

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Analyse Histoire Indonésie

L’Indonésie sort d’un long sommeil et trouve sa voie

Selon A. Lin Neumann, l’un des fondateurs du Jakarta Globe, les Indonésiens sortent d’«un long sommeil» et «trouvent, finalement, leur chemin».

Au lendemain de la chute de Suharto, en mai 1998, le cinéaste Garin Nugroho jugeait ses compatriotes «déboussolés». Ses gouvernants avaient menti à l’Indonésie sur toute la ligne pendant trois décennies, y compris sur la genèse du régime de Suharto. Le «coup», l’assassinat de cinq généraux le 30 septembre 1965, était la responsabilité des communistes, massacrés dans la foulée par l’armée et quelques milices musulmanes (un demi-million de victimes). Il n’y avait pas d’autre vérité.

Avaient suivi, expliquait Garin, « trois décennies de bourrage de crâne», à l’école, dans les médias, s’appuyant sur une censure sans faille. » Les Indonésiens étaient incapables de comprendre ce qui s’était passé et ce qui se passait. Par exemple, ils sont tombés des nues – officiels en tête – quand plus de 80% des Timorais de l’Est ont choisi l’indépendance en 1999.

Toutefois, les effets de ce bourrage de crânes commencent à se dissiper. «Une part de la grandeur de toute nation est sa capacité à faire face à sa propre histoire. Sur ce plan-là, l’aveuglement officiel de l’Indonésie à propos des évènements de 1965 et d’autres sombres chapitres faits d’abus sont inacceptables», écrit Neumann. Mais il ajoute aussitôt : «Cela, désormais, a changé».

A l’issue de quatre ans d’enquête, Kommas HAM, la Commision nationale des droits de l’homme a récemment estimé que la persécution et les meurtres des membres présumés du PKI (PC indonésien) en 1965-1966 représentent «une grossière violation des droits de l’homme et qu’au nom de la lutte contre le communisme, de nombreux crimes ont été commis par les militaires : meurtres, expulsions, torture, viols et autres abus.

Le voile est donc officiellement levé sur les exactions, les horreurs, les brutalités commises par Kopkamtib, un Commandement opérationnel pour la restauration de la sécurité et de l’ordre, que Suharto a dirigé de 1965 à 1967 et dont il s’est servi pour asseoir son pouvoir. En 1978, rappelle Neumann, un rapport interne de la CIA avait conclu que les massacres de 1965-1966 en Indonésie ont été parmi les pires du XX° siècle, à ranger aux côtés des «purges soviétiques des années 1930, des crimes nazis pendant la Deuxième guerre mondiale, et du bain de sang maoïste au début des années 1950».

D’habitude circonspect et prudent, le président Susilo Bambang Yudhoyono, officier à la retraite et qui a fait sa carrière à l’ombre de Suharto, a ordonné à son Attorney general de s’occuper du suivi à donner au rapport de Kommas Ham. Prônant la réconciliation, le chef de l’Etat souhaite engager un processus légal. Les conditions semblent, peu à peu, se réunir : bonne santé économique, changements de gouvernement par le biais d’élections acceptées, débats ouverts dans les médias. Le rétablissement de la vérité historique semble suivre.

Jean-Claude Pomonti


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Analyse Asie Politique Viêtnam

Vietnam : relance de la coopération militaire avec Moscou

Le Vietnam a annoncé que la Russie sera autorisée à créer un «point d’approvisionnement matériel et technique» à Cam Ranh.

Le président du Vietnam, Truong Tan Sang, a également déclaré à la Voix de la Russie que cette décision «devrait aider à promouvoir la coopération militaire» entre les deux pays tout en précisant  que les installations aéroportuaires de la baie de Cam Ranh ne pourraient pas être utilisées à des fins militaires. Il a tenu ces propos en Russie, où il se trouve en visite officielle du 26 au 30 juillet et où il rencontre le président Vladimir Poutine à Sotchi, sur la Mer Noire.

Cam Ranh avait été l’une des grandes bases militaires américaines au Vietnam du Sud entre 1965 et 1973. Fin 1978, peu avant l’intervention militaire du Vietnam au Cambodge, Hanoï avait assuré ses arrières en signant avec l’Union soviétique un traité de coopération et d’amitié de vingt-cinq ans dont l’une des clauses secrètes aurait été l’utilisation de Cam Ranh par l’Union soviétique. Les derniers éléments militaires russes ont, effectivement, évacué Cam Ranh entre 2001 et 2003, soit une douzaine d’années après la dissolution de l’URSS.

La coopération militaire avec la Russie s’est poursuivie ces deux dernières décennies, mais de façon moins régulière. Toutefois, le Vietnam continue d’acheter des armes russes. Entre 2013 et 2018, la Russie doit livrer six sous-marins – un par an – au Vietnam. Il s’agit de submersibles du Projet 636M Kilo, qui seraient équipés de missiles Club-S. La coopération entre les chantiers navals des deux pays se poursuit également. Zvezdotchka – les chantiers navals russes – étudient la possibilité de participer à la reconstruction des chantiers navals de Cam Ranh. En outre, deux corvettes destinées à la marine de guerre vietnamienne ont été récemment mises à l’eau en Russie.

De son côté, la marine russe, qui ne dispose plus que d’une base à l’étranger (Tartous, en Syrie), cherche des points d’appui à l’extérieur du territoire russe, notamment à Cuba, aux Seychelles et au Vietnam. Mais, au moment où la tension monte en Mer de Chine du Sud avec un déploiement d’activités militaires et civiles de Pékin dans cette zone contestée, Hanoi semble avoir l’intention de garder les mains libres sans pour autant se priver de renforcer ses liens militaires, avec Moscou comme avec Washington.

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Analyse Chine Philippines Politique Viêtnam

Mer de Chine du Sud : nouveaux bruits de bottes chinoises

L’escalade se poursuit en Mer de Chine du Sud. Pékin a annoncé l’installation formelle d’une garnison aux Paracels et  aux Spratleys.

La toute puissante Commission militaire centrale a «autorisé» l’Armée populaire de libération chinoise à installer une garnison en Mer de Chine du Sud. Son commandement dépendra de la province de Guangzhou et sera situé dans la «ville de Sansha», une unité administrative formée en juin et dont le siège se trouve sur la principale île des Paracels, occupée en 1974 par l’armée chinoise (qui en avait alors chassé une petite garnison sud-vietnamienne)  et qui est dotée d’une piste aérienne réaménagée.

La poussée chinoise en Mer de Chine méridionale se poursuit rapidement. La grande île de Haïnan, au nord, est dotée d’une base de sous-marins et d’un aéroport militaire. Les flotilles de pêche chinoises sont sous la protection de leurs propres bâtiments armés. La marine de guerre chinoise chasse les bateaux de pêche du Vietnam et des Philippines. Pékin exerce de fortes pressions sur les sociétés pétrolières occidentales pour freiner l’exploration (gaz et pétrole)  dans les zones économiques exclusives des autres Etats riverains. Les troupes chinoises qui seront stationnées dans les archipels des Paracels et des Spratleys seront «responsables de la gestion de la mobilisation, des réserves militaires et des opérations militaires» nécessaires à a protection de la «ville de Sansha».

En 1988, dans la partie méridionale de l’archipel des Spratleys, soit à mille km au sud de l’île de Haïnan, Pékin avait établi de force une station d’observation marine et les affrontements entre les marines chinoise et vietnamienne avaient alors fait 64 morts chez les Vietnamiens. Cette fois-ci, dans le même secteur, Pékin a dépêché le 14 juillet trente chalutiers sous la protection d’un bâtiment armé de trois mille tonnes de l’administration chinoise des pêches.

La Chine poursuit la mise en place d’un dispositif de contrôle de la Mer de Chine du Sud dont elle revendique plus de 80% des eaux. Un poids croissant est accordé aux militaires chinois, au nationalisme pariculièrement agressif. Les risques d’incidents ne sont donc plus à écarter car il s’agit, de la part de la Chine, d’une poussée délibérée. Ces trois derniers week-ends, le Vietnam a toléré de petits rassemblements anti-chinois à Hanoi. La Mer de Chine du Sud est en passe de devenir la zone la plus sensible en Asie.

Jean-Claude Pomonti