Catégories
Analyse Histoire Philippines

Symbole d’une époque dite révolue, Luisita n’existe plus

La Cour suprême des Philippines a ordonné, le 24 avril, la distribution aux fermiers de la moitié de l’Hacienda Luisita, propriété de parents du président Aquino.

Le verdict a été voté à l’unanimité. Comme c’est souvent le cas aux Philippines, la décision populaire a été suivie d’une messe de grâces dite par Mgr Carlito Cenzon, évêque de Baguio, où siège la Cour suprême. Cenzon s’est empressé de conseiller aux fermiers de continuer de cultiver la terre. Quant à l’archevêque José Palma, président de la très influente Conférence des évêques des Philippines, il s’est félicité d’une distribution de cinq mille hectares de terres, soit la moitié de la superficie de Luisita, à 6 300 fermiers. Un conflit de trente ans a donc pris fin. Il a parfois été sanglant, comme le 6 novembre 2004, quand douze paysans et deux enfants ont été tués – et des centaines de gens blessés – lors de la répression d’une manifestation par la police et l’armée.

Cette plantation de cannes à sucre est de la taille d’une ville moyenne dans le centre de l’île de Luçon, à proximité du chef-lieu de Tarlac. Dans cette région, une insurrection avait été matée – celle des Huks communistes – au début des années 50 par Ramon Magsaysay, avec l’aide du futur général Edward Lansdale. Ce dernier, spécialiste américain de la contre-guérilla émigrera ensuite, après la chute de Diên Biên Phu, à Saigon où il dirige de la mission militaire américaine et propulse Ngô Dinh Diêm au pouvoir (Graham Greene en a fait le héros malheureux de son fameux roman, Un Américain bien tranquille).

Luisita est alors en vente et Ramon Magsaysay, élu président en 1953, veut éviter son achat par un de ses adversaires politiques. Peu avant d’être tué dans un accident d’avion en 1957, Magsaysay propose donc au riche José Cogjuanco de lui en faciliter l’achat à l’aide d’un crédit de l’Etat. José est le beau-père de Ninoy Aquino, l’adversaire le plus dangereux de Ferdinand Marcos (Ninoy sera assassiné en 1983). José est donc le père de Cory Aquino, la dame en jaune (présidente de 1986 à 1992) et le grand-père de l’actuel président Noynoy, élu en 2010. Après avoir été un brillant reporter de guerre en Corée, Ninoy a plongé dans la politique sous la protection de Magsaysay, ce qui explique pourquoi le président de l’époque a proposé à José Cogjuanco de l’aider à acheter Luisita. L’opération s’est finalement réalisée en 1958.

Les deux cents familles et la réforme agraire

En 1969, soit onze ans plus tard, lors de la réélection de Ferdinand Marcos, Ninoy Aquino, alors jeune sénateur, m’a emmené à Luisita. A l’aube, il est venu me chercher à mon hôtel à Manille à bord d’une grosse limousine américaine. Sur la banquette avant, deux gardes du corps étaient assis à côté du chauffeur, mitraillette sur les genoux. Pendant les quatre heures de trajet, Ninoy s’est expliqué. Les deux cents familles qui dominent alors les Philippines sont, pour la plupart, de grands propriétaires terriens. Les rejetons de ces familles, dont lui-même, peuplent les deux chambres. Aucune réforme n’est concevable sans leur accord (ce qui est encore en grande partie le cas de nos jours). Luisita était, par sa superficie, la deuxième propriété foncière privée de l’archipel. Que José Cogjuanco ait sorti les fermiers de l’esclavage dans lequel ils se trouvaient, en améliorant leurs conditions de vie, ne changeait rien à l’équation : pour développer les Philippines, il fallait commencer par une réforme agraire.

Elle n’a pas eu lieu. Ninoy Aquino a été en prison, puis en exil, pour être assassiné à sa descente d’avion le jour de son retour (et, de toute façon, faute d’un passage au pouvoir, il demeure une énigme). A l’aide d’une loi martiale (1973-1983), Marcos est resté 21 ans au pouvoir (1965-1986). L’un de ses proches amis a été Danding Cojuangco, fils de José, ce qui a permis de mettre Luisita à l’abri de toute réforme. Quand elle a succédé à Marcos, Cory Aquino a distribué ses parts de propriété. Son fils Noynoy en fait autant lorsqu’il a été élu. Du coup, faute d’un démembrement, Luisita est devenue le symbole de ce qui ne devrait plus se faire car les autres membres de la famille Cogjuanco se sont accrochés à leur bien. Comme son père et sa mère autrefois, Noynoy se dit partisan d’une réforme agraire. Il reste à voir si son gouvernement peut et veut appliquer rapidement le verdict encourageant de la Cour suprême.

Jean-Claude Pomonti

Catégories
Analyse Asie

En Asie du sud-est, un premier tour sans grande surprise

Les premiers résultats collectés (Cambodge, Malaisie, Singapour, Thaïlande) laissent prévoir des tendances assez traditionnelles en Asie du Sud-Est.

Les Français de l’étranger votent généralement  plus à droite que la moyenne des Français ; ils se méfient davantage des extrêmes et leur taux de participation est moins élevé. Les résultats au Cambodge, en Malaisie, à Singapour et en Thaïlande, semblent confirmer ces tendances.

En Thaïlande (2 416 suffrages exprimés, 5 942 inscrits, soit 40% de votants), Nicolas Sarkozy arrive nettement en tête (38,53%) devant François Hollande (19,41%) et Marine Le Pen (17,14%), selon le Petit Journal Bangkok. A Singapour, l’autre communauté française la plus nombreuse d’Asie du sud-est (3 426 suffrages exprimés, 5 471 inscrits, 62% de votants), Sarkozy fait encore mieux (52,28%). Hollande est écrasé (19,91%) tout en ayant gagné cinq points par rapport à Ségolène Royal en 2007 (14,9%).

Au Cambodge, au sein d’une communauté plus réduite (2 137 inscrits), Sarkozy l’emporte encore (32,65%) mais de peu sur Hollande (31,58%) et Marine Le Pen est assez loin (8,16%), juste derrière Jean-Luc Mélenchon (9,04%) et François Bayrou (8,81%). Dans la petite communauté de Malaisie (1512 inscrits), la tendance est identique : sur 780 suffrages exprimés (51,5% de taux de participation), Sarkozy en obtient 375, Hollande 181 et Bayrou 101, selon les résultats définitifs communiqués par l’ambassade de France à Kuala Lumpur. Enfin, les Français de Singapour ne manifestent pas de goût poussé pour les extrêmes : Le Pen et Mélenchon récoltent, l’une comme l’autre, moins de 4% des voix.

Catégories
Analyse Thaïlande

Chronique siamoise : unité, solidarité ou uniformité

La récente censure dont a fait l’objet un film thaïlandais peut être interprétée de différentes façons.

Pour justifier sa décision début avril d’interdire la projection du film « Shakespeare doit mourir » d’Ing Kanjanavanit en Thaïlande, le bureau thaïlandais de la censure a estimé que la diffusion de cette œuvre, un remake de MacBeth à la sauce siamoise, accroitrait les divisions entre Thaïlandais et saperait l’unité du pays. Cette notion d’unité a été maintes fois invoquée par les autorités depuis le coup d’Etat de septembre 2006, et même avant, pour expliquer la nécessité de mesures répressives contre la liberté d’expression. Ce concept d’unité s’exprime par le mot sammaki, dont une traduction plus exacte est « solidarité » ; il est présenté comme une donnée évidente et intangible du pays.

Pourtant quand on se tourne vers l’histoire, cette notion d’unité paraît absente. Regardez le film « Suriyothai » de M. C. Chatrichalerm et vous y verrez, six heures durant, des princes et des courtisanes des principautés du Siam s’entredéchirer dans des luttes sanglantes, se repaître d’assassinats vicieux et porter la trahison au sommet du génie politique. L’une des scènes les plus frappantes est celle d’un prince-enfant, enfoui dans un sac de velours rouge, dont la tête est cérémonieusement tranchée sur les ordres d’un de ses oncles. La vingtaine de coup d’Etats qui ont ponctué l’histoire de la Thaïlande depuis le renversement de la monarchie absolue en 1932 suggère aussi une fracturation extrême du paysage politique. Et si l’on se penche sur l’aspect social du pays, il est clair que le développement économique depuis les années 1970 a été beaucoup moins bien réparti qu’en Corée du Sud ou à Taiwan ; les classes moyennes urbaines ont grandement bénéficié, les ruraux des provinces ont stagné.

S’il est un ferment d’unité, c’est sans conteste la personne du roi Bhumibol Adulyadej. Le monarque est un lien entre toutes les classes, toutes les ethnies, le miroir qui reflète l’image de tout un chacun et rassure : «Nous sommes donc bien solidaires». D’où l’angoisse de l’après-Rama IX : que restera-t-il comme ciment de la nation ? La Thainess signifie différentes choses selon les milieux. Le consumérisme effréné, le culte de l’argent, le commercialisme envahissant qui dissout les vieilles valeurs communautaires ne peuvent servir de piliers à la nation. Et cette notion d’unité agitée par les autorités et l’establishment ne fait-elle pas plutôt référence à l’uniformité ? Les divisions dénoncées comme le mal menaçant ne sont-elles pas simplement la diversité de cultures, d’opinions et d’idées qui remuent la société thaïe ? Des esprits chagrins iront jusqu’à affirmer que ce repli constant sur une unité insaisissable est une manière d’imposer un « consensus », tolérable pour la majorité mais qui profite surtout à une minorité. Les idées, incontestablement, divisent la société, mais elles constituent aussi les matériaux qui servent à l’édification de valeurs communes.

Nouvelle chronique du site infoasie, «Chronique siamoise» porte un regard décalé sur l’actualité politique de la Thaïlande, mêlant des récits d’anecdotes et une lecture culturelle des événements.

Catégories
Analyse Asie Indonésie

La saga d’Umar Patek, terroriste et démolisseur

Depuis le 13 février, au tribunal de Jakarta ouest, se déroule le procès de celui qui a fabriqué les bombes de l’attentat qui a fait 202 morts à Bali en 2002.

Umar Patek, 42 ans, javanais, est le fils d’un modeste commerçant de viande de chèvre. Il n’a sûrement pas suivi l’exemple de son père. Jeune, il a quitté l’Indonésie pour se rendre en Afghanistan dans des camps d’entrainement d’Al Qaïdah. Devenu expert en explosifs, il a été apparemment impliqué dans une série d’attentats en Indonésie, le soir du réveillon de Noël 2000. Il a admis avoir  fabriqué les deux bombes qui ont explosé dans un bar et une boîte de nuit à Kuta (Bali) le 12 octobre 2002, faisant 202 victimes, dont 88 Australiens, et des douzaines d’invalides à vie.

Ses empreintes digitales ont été retrouvées dans la maison où les bombes ont été assemblées, à Denpasar, chef-lieu de Bali. Toutefois, celui que la presse appelle «Demolition Man»  affirme qu’il n’a pas participé à la pose des bombes. Il a également déclaré n’avoir aucun lien avec Al Qaïdah. Il n’avait, dit-il, aucune ambition de rencontrer Oussama Bin Laden lorsqu’il a été arrêté à Abbottabad (Pakistan) en mars 2011, soit deux mois avant le raid américain contre le domicile du leader d’Al Qaïdah, non loin de là.

Les démentis et les affirmations d’Umar Patek ont été mis à mal, le 19 avril, par la déposition d’un agent de FBI américain, Frank Pellegrino, lequel a affirmé que Patek, lors d’un séjour aux Philippines, avait déclaré à des compagnons qu’il souhaitait retourner en Afghanistan et au Pakistan pour y travailler avec Bin Laden. Patek a été un proche de deux hommes aujourd’hui prisonniers des Américains : Khalid Sheikh Mohammed, l’ancien chef de la propagande d’Al Qaïdah, et Hambali, arrêté en Thaïlande en 2003 et auparavant principal opérateur de la Jemaah Islamiyah, réseau terroriste en Asie du sud-est.

Spécialiste de l’assemblage de bombes, qu’il a enseigné au gré de ses pérégrinations, Patek a séjourné à plusieurs reprises dans le sud des Philippines. Entre 1996 et 1998, il a été un compagnon du Front moro islamique de libération (Fmil) à Mindanao. Après l’attentat de Bali, il y est retourné pour se placer sous la protection du Fmil ou d’Abou Sayyaf. Beaucoup plus tard, en 2009, en compagnie de son beau-frère Dulmatin, il a participé aux attentats contre deux grands hôtels de Jakarta.

A la suite de ces attentats, Dulmatin s’est réfugié dans un camp clandestin d’entrainement à Atjeh, détruit par la police en février 2010. Dulmatin lui-même a été abattu le mois suivant à Jakarta par une unité anti-terroriste indonésiene. De son côté, Umar Patek a réussi à s’enfuir vers le Pakistan, où il a été arrêté et d’où il a été extradé en août 2011. Son procès reprend le 23 avril à Jakarta.

Jean-Claude Pomonti

 

Catégories
Analyse Asie Philippines Viêtnam

Loi du plus fort en mer de Chine du Sud

La Chine poursuit son grignotage en mer de Chine du Sud, quelles que soient les objections avancées par les autres pays riverains, beaucoup plus faibles.

Voilà quelques jours, à proximité de Scaborough, petit ensemble de bancs de sable et de récifs situé à proximité de Luçon, donc largement à l’intérieur de la zone économique exclusive des Philippines, un face-à-face s’est terminé de façon édifiante. Huit bateaux de pêche chinois ont pu repartir, leurs soutes pleines de poissons et coquillages, sous la protection de trois bâtiments chinois armés, dépendant officiellement d’un service chinois chargé de l’«application de la loi sur la pêche.» Manille ne fait pas le poids.

La position officielle de Pékin : plus de 80% des eaux de la mer de Chine du Sud nous appartiennent et nos bateaux ont le droit de pêcher où bon leur semble. Résultat : les eaux poissonneuses des Philippines sont pillées ; faute de moyens, un petit voisin de la grande Chine est contraint à une retraite qui n’est pas la première. Ironie de l’affaire : les manœuvres conjointes auxquelles participent ces jours-ci, sur la grande île philippine de Palawan, six mille soldats, dont quatre mille américains, n’ont pas empêché Pékin de poursuivre ses provocations.

Forte d’un budget militaire officiellement, cette année, de plus de 70 milliards d’€, la Chine continue son grignotage en mer de Chine du Sud. Le Vietnam est exaspéré : les bâtiments armés du service chinois de la pêche saisissent ses bateaux, avec leurs équipages, et les hommes arrêtés ne sont rendus que «contre rançon». Le 3 mars, la Chine a arraisonné deux bateaux de pêche vietnamiens dans les eaux de l’archipel des Paracels, à la hauteur du port de Da-Nang (Vietnam central), avec 21 hommes à bord, originaires du district de Ly Son, province de Quang Ngai. Les prisonniers ont rejoint dans les geôles chinoises 170 autres pêcheurs, originaires du même district, arrêtés en 2011 à bord de leurs onze bateaux.

Hydrocarbures

La Chine a fait objection à la signature, le 5 avril, d’un contrat entre le géant russe Gazprom et PetroVietnam concernant l’exploration conjointe de deux blocs qui se trouvent dans le bassin de Nam Con Son (Poulo Condore), soit au large du delta du Mékong et entièrement dans la zone économique exclusive du Vietnam. En 2009,  en dépit d’un accord avec Hanoi, British Petroleum avait renoncé à explorer ces deux blocs. Des câbles diplomatiques américains, diffusés par Wikileaks, ont révélé que les compagnies pétrolières occidentales présentes en Chine faisaient l’objet de fortes pressions chinoises pour ne pas intervenir en mer de Chine du Sud à la suite d’un contrat avec le Vietnam. En revanche, l’ONGC, compagnie d’Etat indienne, n’a pas renoncé à l’accord de coopération avec PetroVietnam signé en novembre 2011 et aussitôt dénoncé par Pékin.

La Chine continue de pousser ses pions en mer de Chine du Sud en se contentant de références historiques controversées. En 1974, donc avant la victoire communiste vietnamienne de 1975, l’armée chinoise avait chassé manu militari de l’archipel des Paracels une garnison sud-vietnamienne. Depuis ce raid accueilli par les Vietnamiens comme un coup de poignard dans le dos, Pékin a aménagé les Paracels et, plus récemment, intégré cet archipel dans son administration.

Dans l’archipel des Spratleys, plus au sud, sont présents cinq Etats : Chine, Vietnam, Philippines, Malaisie et Taïwan. Aucun règlement négocié ne se profile à l’horizon : comme l’Asean s’avère incapable d’adopter une position commune sur le différend, notamment en raison des pressions exercées par la Chine sur quelques membres, Pékin poursuit son grignotage. Jusqu’au jour où un incident plus grave que les autres incitera les Etats-Unis, qui ont déjà manifesté leur préoccupation en 2010, à s’intéresser de plus près à ce qui est déjà le plus grave contentieux maritime en Asie du sud-est.

Jean-Claude Pomonti

 

Catégories
Analyse Asie Timor Leste

Ceux qui ont porté le poids de l’espérance

Qu’y a-t-il de commun entre l’Etat du Timor Leste, indépendant depuis 2002, et la province indonésienne d’Atjeh, autonome depuis 2005 ? Beaucoup.

Des élections viennent d’avoir lieu dans les deux territoires. Au Timor Leste ou Timor Oriental, un troisième président a été élu le 16 avril, de son nom de guerre Taur Matan Rauk, un ancien chef de guérilla. A Atjeh, c’est un ancien ministre des affaires étrangères d’un gouvernement en exil, Zaini Abdullah, qui a été élu gouverneur le 16 avril. Il appartenait au GAM, une guérilla indépendantiste.

Colonisés par le Portugal, les Timorais de l’est, 1,2 million d’individus aujourd’hui, ont été victimes d’une occupation militaire brutale de l’Indonésie de 1975 à 1999 (200.000 morts à la fin des années 70 ; aucun moyen de s’en débarrasser tant que Suharto était au pouvoir en dépit du fait que l’ONU n’a jamais reconnu cette annexion).

Les relations entre Atjeh, près de cinq millions d’habitants en 2012, et l’Indonésie sont plus ambigües. Si le GAM, créé en 1979, a été une guérilla indépendantiste, les Atjehnais ont surtout lutté contre «l’impérialisme javanais» (les Javanais forment près des deux tiers de la population indonésienne) et ont finalement accepté, après la catastrophe du tsunami de 2004, un compromis avec Jakarta qui leur accordait une large autonomie, laquelle n’est pas entièrement respectée.

Que les premières autorités élues des deux territoires soient issues des mouvements de résistance est dans la logique des choses, qu’il s’agisse d’anciens guérilleros ou d’anciens exilés. Ils ont été porteurs de l’espérance. José Ramos-Horta (président de 2007 à 2012, réfugié en Australie) a été la voix du Timor Oriental lors de l’occupation indonésienne. Zaini Abdullah a été, de son côté, le ministre des affaires étrangères d’un gouvernement atjehnais en exil et, à ce titre, a négocié l’accord d’Helsinki du 15 août 2005 avec le gouvernement indonésien. Depuis, le premier gouverneur d’Atjeh, Irwandi Yusuf, élu en 2006, a également été un membre du GAM (jeté en prison en 2003, il a pu s’en échapper lors du tsunami).

Toutefois, comme l’a dit et répété Xanana Gusmao, héros de la résistance timoraise, les anciens résistants font rarement de bons gestionnaires. Ainsi expliquait-il, voilà plus de dix ans, ses réticences à l’égard de toute fonction publique, ce qui ne l’a pas empêché d’être président (2002-2007) et d’être encore aujourd’hui chef du gouvernement. Mais, quand une élite est si restreinte, comment faire autrement ?

Les deux territoires regorgent de richesses. Dans le cas d’Atjeh, les bénéfices de leur exploitation ont abouti, jusqu’en 2005 au moins, dans les poches de Jakartanais et de multinationales. Au Timor Oriental, les gens n’ont rien vu venir jusqu’aux premiers deniers rapportés par les hydrocarbures après l’indépendance. Les populations sont pauvres – et même très pauvres dans le cas des Timorais. En outre, des décennies de sacrifices n’empêchent pas, la paix revenue, les divisions de refleurir et la corruption officielle de reprendre ses aises et les silhouettes des porteurs d’espérance de s’estomper.

Jean-Claude Pomonti      

Catégories
Analyse Thaïlande

Chronique siamoise : Thaksin cherche la brèche

Regard sur la tactique employée par l’ancien Premier ministre thaïlandais pour revenir au pays…

Les Thaïs de la plaine centrale utilisent deux expressions pour parler d’un fils renvoyé par son père. La première, ko rua, évoque le fils honni « agrippé à la barrière » de l’enceinte familiale et quémandant au père sa réintégration. La seconde, ro rua, décrit le chenapan en train de « tourner autour de la propriété » dans l’intention apparente de préparer un mauvais coup. Les escapades de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra au Laos et au Cambodge relèvent plus de cette dernière tactique d’intimidation. Thaksin ne veut plus implorer, mais s’imposer.

A Vientiane et à Siem Reap, cet homme vieilli, au bilan si controversé, condamné en 2008 à deux ans de prison pour abus de pouvoir, a péroré plus qu’il n’a parlé. Evoquant la volonté supposée de ses partisans de le ramener en Thaïlande à l’occasion de son anniversaire le 26 juillet prochain (Thaksin s’est exilé pour fuir la justice depuis 2008), il a estimé à Vientiane que ceux-ci voulaient lui faire ce « cadeau », parce qu’ils savaient « combien il avait bénéficié au pays ». Les épaules voutées, le regard plus fatigué que par le passé, son habituel sourire satisfait aux lèvres mais avec un je ne sais quoi d’artificiel, Thaksin ne semble pas avoir fondamentalement changé. Jamais depuis son éviction du pouvoir en 2006, il n’a prononcé une parole pour dire s’être trompé, ne serait-ce qu’une fois, par le passé. On devine sa soif de vengeance.

Cet encerclement de la Thaïlande par Thaksin est une injonction. Il s’agit de faire pression sur ses alliés pour que ceux-ci activent le processus de réforme constitutionnelle qui permettrait de lever sa condamnation. Il montre aussi sa ténacité, qu’il faut reconnaître hors du commun. Sa sœur cadette, Yingluck, à la tête du gouvernement, a parfaitement joué son rôle d’innocente, parcourant Bangkok à l’arrière d’un pick-up pour participer aux festivités du Nouvel an Thaï : «Mon frère, à Siem Reap ? Vraiment ?». Placée à la tête du pays avec pour seul but de faire rentrer son frère au bercail, elle ne peut que vouloir hâter le processus : l’exercice du pouvoir l’épuise. Son sourire désarmant, un peu bébête, s’est depuis peu crispé. Même la solidarité familiale a ses limites.

D’autant plus que la réaction du père reste la grande inconnue. Si, comme il le semble, lui ou ceux qui disent parler en son nom n’acceptent pas la rentrée du « mauvais fils » – c’est-à-dire s’ils ne permettent pas la levée de la condamnation de Thaksin -, un « retour élégant » de ce dernier ne sera pas possible. En tout état de cause, qu’il revienne en vengeur masqué en franchissant le pont entre Vientiane et Nongkhai, comme le lui a suggéré un de ses lieutenants Kwanchai Praipana , ou par la grande porte de Suvarnahbumi, son retour fera exploser le calme latent qui prévaut depuis les élections de juillet 2011 et pulvérisera le verbiage inconsistant sur la «réconciliation».

Nouvelle chronique du site infoasie, «Chronique siamoise» porte un regard décalé sur l’actualité politique de la Thaïlande, mêlant des récits d’anecdotes et une lecture culturelle des événements.

Catégories
Analyse Thaïlande

L’étrange fonctionnement du gouvernement thaïlandais

Curieux jeu politique en Thaïlande. La scène est actuellement, et de nouveau, dominée par les gesticulations de Thaksin Shinawatra, aux frontières du royaume.

Depuis le tournant du siècle, sous une dénomination ou une autre, les partisans, alliés, serviteurs et fanatiques du premier ministre limogé lors du coup d’Etat de septembre 2006 emportent toutes les élections. La dernière fois, en juillet 2011, ils l’ont fait avec, pour tête d’affiche Yingluck, la jolie et souriante sœur cadette de Thaksin, lequel reste sous le coup d’une condamnation à deux ans de prison pour abus de pouvoir (et ne peut donc, pour l’instant, regagner la Thaïlande que pour se rendre, d’abord, en prison).

Un peu à la manière populiste de Juan et Evita Peron dans les années 1950 en Argentine, la popularité de Thaskin ne se dément pas, tant s’en faut, même au bout de douze ans. Comme le soulignent les manifestations du week-end, celui du Nouvel an au Laos, au Cambodge et en Thaïlande, les «chemises rouges» continuent d’être au rendez-vous.

Il s’en suit un étrange fonctionnement du gouvernement. Au lendemain du dernier succès électoral et malgré les démentis, l’avis de Thaksin a été déterminant dans le choix des ministres. Il prodigue conseils et instructions pendant les réunions de cabinet auxquelles il est associé par vidéo. Thaksin intervient sur écran géant lors des meetings des «rouges» en province. Et, ces derniers jours, il est passé à une vitesse supérieure, dans ses pressions sur Bangkok, en profitant des appuis officiels dont il dispose dans deux pays voisins, le Laos et le Cambodge, pour y organiser des meetings de politique intérieure thaïlandaise au cours desquels il a rencontré des membres du gouvernement et des députés thaïlandais.

Tout se passe comme si le frère et la sœur s’étaient entendus sur une répartition des tâches. Yingluck est le gant de velours, Thaksin la main de fer. Elle ne manque aucune occasion de manifester son respect pour la monarchie. Lui place ses pions, peu à peu, avec l’espoir d’écarter progressivement le leadership militaire actuel, lequel a bénéficié d’un relatif regain de popularité à la suite de l’intervention des soldats lors des catastrophiques inondations de 2011. Mais les conditions d’un accord sur une amnistie générale – dont Thaksin pourrait également bénéficier – ne semblent pas réunies.

Thaksin est riche et se déplace à bord d’un avion privé. Le gouvernement de Yingluck lui a rendu son passeport thaïlandais. Son réseau d’influence s’élargit : la condamnation à la privation de droits civiques de 111 politiciens (ses alliés) prend fin en mai. Thaksin veut obtenir sa réhabilitation et, dans la foulée, récupérer les avoirs financiers confisqués en Thaïlande, l’équivalent de centaines de millions d’€. Mais il ne paraît pas avoir un tempérament à forcer le destin. Il ne rentrera pas en Thaïlande pour se retrouver en prison. Il veut, également, des garanties sérieuses concernant sa sécurité personnelle. En attendant que ces conditions se réalisent, ce qui peut prendre du temps, l’étrange fonctionnement du gouvernement thaïlandais risque de se poursuivre.

Jean-Claude Pomonti