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Mer de Chine du Sud : la phase dépassée du Code de conduite

En 2002, la Chine et l’Asean s’étaient mises d’accord sur le principe d’un Code de conduite en mer de Chine du Sud. Rien n’a été fait. Y aurait-il une solution ?

Voilà dix ans, face aux conflits de souveraineté en mer de Chine du Sud, la Chine et l’Asean ont admis le principe d’un Code de conduite commun. Depuis, Pékin a fait marche arrière : le Code de conduite interviendra au «moment opportun», disent les Chinois, et seules des négociations bilatérales sont concevables. Entre-temps, la Chine a profité de sa supériorité militaire pour faire la police maritime, y compris dans les zones économiques exclusives des Philippines et du Vietnam. De leur côté, les Etats-Unis sont entrés dans la danse en affirmant, depuis 2010, que des négociations globales doivent avoir lieu entre la Chine et l’Asean. Aujourd’hui, plus rien ne bouge et l’impasse semble totale. Mais l’est-elle vraiment?

L’une des raisons de la paralysie est la désunion au sein de l’Asean, dont la moitié des dix membres n’est pas directement concernée par la volonté chinoise de contrôler 80% des eaux de la mer de Chine du Sud. Les altercations de 2012, au sein de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, laissent penser qu’aucun consensus ne peut se dégager. La Birmanie, même si elle a pris ses distances à l’égard de la Chine, croule sous ses propres problèmes. Le Cambodge privilégie ses relations avec Pékin. Ni le Laos ni la Thaïlande ni même Singapour ne monteront au créneau pour inviter la Chine à davantage de souplesse en mer de Chine du Sud.

Les pays directement concernés sont le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et Brunei, auxquels peut s’ajouter l’Indonésie, dont les gisements de gaz off-shore de Natuna se trouvent à la limite des eaux revendiquées par Pékin. Ancien directeur de la Far Eastern Economic Review et observateur averti de la région, Philip Bowring suggère que ces cinq Etats, au lieu de tenter en vain de rallier à leur cause d’autre Etats indifférents de l’Asean, forment un groupe de travail «lié de façon informelle à l’Asean» et susceptible de proposer «un consensus sur la négociation avec la Chine». La présence de l’Indonésie, estime-t-il dans les colonnes du Wall Street Journal, serait indispensable pour renforcer la présence du monde malais et donner plus d’autorité au groupe aux yeux des Chinois.

La première tâche de ce groupe serait de s’entendre sur l’histoire de la région antérieure à l’arrivée des Occidentaux et à l’expansion chinoise (les Chinois n’ont, par exemple, colonisé Taïwan qu’en 1650 ; ils ont été chassés du Vietnam en l’an 969). Dans une deuxième phase, poursuit Bowring, les cinq pays devraient régler les contentieux maritimes qui les opposent entre eux (notamment en ce qui concerne la zone très disputée de l’archipel des Spratleys), quitte à s’en remettre à une juridiction internationale pour régler le sort de zones qui se chevauchent.

Bowring estime que la formation de ce nouveau groupe, qui représenterait les deux tiers des côtes de la mer de Chine du Sud, renforcerait la main des pays qui le forment dans une négociation avec Pékin et ramènerait un peu de sérénité dans les rangs de l’Asean où la question de la mer de Chine du Sud a suscité quelques amertumes, encore plus prononcées que celles, autrefois, à propos de la Birmanie. De toute manière, écrit-il, ce développement contribuerait à remettre sur les rails une Asean «qui paraît de plus en plus sans prise sur une agression chinoise».

Que Brunei ait pris la relève du Cambodge à la présidence de l’Asean, jusqu’à la fin 2013, pourrait faciliter les choses. Les Philippines ont déjà annoncé une réunion, le 12 décembre à Manille, des vice-ministres de la Défense des quatre Etats directement impliqués en mer de Chine du Sud. On verra alors ce qu’ils comptent faire et comment réagit Jakarta.

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Barack Obama en Asie du Sud-Est : le coup de maître birman

Le point fort de la tournée du chef de l’Etat américain demeurera sa visite à Rangoon, où il a ancré l’espérance, sentiment rare par les temps qui courent.

Six heures seulement à Rangoon, capitale déchue depuis 2005 par la volonté mégalomaniaque d’un ancien tyran qui avait choisi d’extraire de la jungle Naypyidaw, nouvelle capitale isolée, ville surréaliste pour dieux-rois, bunker-retraite pour généraux apeurés par la nouvelle planète, ces mêmes généraux qui avaient refusé en 2008, aux populations du delta de l’Irrawaddy dévasté, l’aide internationale acheminée par bateaux.

Une demie heure à l’Université de Rangoon, fermée près d’une année sur deux pendant deux décennies, fermée comme un refus du savoir, de l’avenir, de l’ouverture sur une jeunesse et sur le monde. Une génération délibérément sacrifiée. Barack Obama a fait rêver les étudiants non en leur promettant la lune mais en leur rappelant que le chemin serait long, plein d’obstacles, et en affirmant qu’il continuerait de se tenir à leurs côtés comme il l’a fait au cours des quatre dernières années.

La grâce ? Thein Sein n’en est plus un officier déguisé en civil mais un gouvernant fréquentable, qui bénéficie d’un préjugé favorable et qui fait face à une tâche surhumaine. Mme Suu Kyi n’en est plus l’assignée permanente à résidence, muselée. Elle rebondit sur terre, met en garde contre les défis à venir et s’apprête à mettre les mains dans le cambouis.

Après avoir recherché une solution avec l’aide de Hillary Clinton, Barack Obama a enfin trouvé la brèche et l’a exploitée dès la première opportunité. Etat-voyou hier, attiré par le nucléaire nord-coréen, la Birmanie n’est plus le même pays aujourd’hui. Ses conflits ethniques, les retards de ses campagnes, son déficit de structures, son sous-développement ne sont plus statiques. Elle part de très loin, mais elle bouge.

Du coup, le Cambodge qui se modernise, ouvert à tous, les bons comme les mauvais, a vu ses gouvernants tancés comme de mauvais élèves, enfoncés à s’en cacher dans les profondeurs de leurs fauteuils de nouveaux riches. Ils ont pris un coup de vieux. Certes, ils se rattrapent en se disant que les leçons de morale américaine ne durent qu’un temps et que ce qui compte le plus est de conserver quelques bons amis aux poches pleines. Mais, dans ce genre de panorama très large, il y a les habitudes d’hier et celles de demain, avec une Thaïlande égale à elle-même, plantée en plein milieu du décor, qui ne dit jamais non mais se contente, souvent, d’observer.

Barack Obama le réélu, qui n’a même pas pris le temps de sabrer le champagne de la victoire, s’est précipité à l’est. Dès le premier voyage à l’étranger et en Asie de son second  mandat, il a su trouver un souffle en dépit de l’environnement dans lequel il s’est retrouvé. Vladimir Poutine a fait faux bond, Wen Jiabao est un premier ministre sur le départ, le chef du gouvernement japonais Yoshhiko Noda ne survivra pas aux élections qu’il vient d’annoncer, le premier ministre du Vietnam est controversé et le président sud-coréen s’apprête à prendre sa retraite.

En outre, l’année qui vient n’annonce pas de bouleversements. L’Asean a beau s’être entendue sur le refus d’une «internationalisation» des contentieux en mer de Chine du sud, ce consensus a été exprimé du bout des lèvres et ne satisfait déjà pas le président Aquino des Philippines (et si les Vietnamiens ne disent encore rien, ils n’en pensent pas moins). Ce contentieux se résorbe d’autant moins qu’en 2013, Chinois et Américains auront d’autres priorités : les premiers, avec l’écart croissant entre riches et pauvres ou la dégradation de leur environnement ; les seconds avec leur économie.

Visant le long terme, Obama aborde déjà un rééquilibrage de son pivotement vers l’Asie en insistant désormais davantage sur les aspects économiques, non les militaires. Personne, pour le moment, ne semble avoir envie d’en découdre et c’est une partie complexe qui se réamorce. Les points marqués à Rangoon par Obama font déjà réfléchir Pékin.

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L’escale d’Obama en Thaïlande : renforcer les points de repère

Barack Obama a entamé en Thaïlande le premier voyage à l’étranger de son deuxième mandat. Américains et Thaïlandais sont de vieilles connaissances.

Peu après la Deuxième guerre mondiale, il y a eu le repli sur le Triangle d’or, donc aux frontières entre la Birmanie, le Laos et la Thaïlande, des divisions vaincues du Kuomintang. Cette zone a alors été une sorte de no man’s land sillonné par les agents de Taïwan et des Etats-Unis. Cette époque a coïncidé, dans l’Amérique des années 1950, avec la chasse aux sorcières du McCarthysme et le soutien aveugle à des galonnés thaïlandais anti-communistes.

Pendant la décennie suivante, la Thaïlande s’est transformée en un porte-avions de la deuxième guerre du Vietnam, l’américaine. Une base arrière pour les avions chargés de déverser des tapis de bombes sur le Laos et le Vietnam. En outre, les Gis venaient en Thaïlande en «rest & recreation», de courtes vacances débridées qui ont ancré les quartiers rouges de Bangkok et ceux de Pattaya. Ces présences ont contribué à lancer le tourisme et, surtout, à accélérer le développement du royaume.

Une division thaïlandaise a fait ses classes au Vietnam du Sud, aux côtés de soldats américains mais aussi australiens et sud-coréens. Des générations d’officiers thaïlandais ont fréquenté les écoles militaires américaines. Enfin, depuis le désengagement militaire d’Indochine, soit au cours des quatre dernières décennies, les relations sont demeurées étroites : la Thaïlande a servi de relais quand le président Bush (le père, 1988-1992) a monté une vaste opération militaire pour chasser les troupes de Saddam Hussein du Koweït, ou quand il a fallu organiser les secours lors du tsunami de décembre 2004, qui a fait 230.000 victimes sur les côtes de l’Océan indien.

Les Américains sont assez familiarisés avec le terrain pour savoir qu’en Thaïlande, le pouvoir est souvent fractionné et que la main gauche ignore parfois ce que fait la main droite ; et enfin, qu’il ne sert à rien de bousculer les gens car les certitudes du jour ne sont pas forcément un gage sur le futur.

C’est en tenant compte de ce contexte que Barack Obama a visité un temple avant d’aller présenter ses respects à un roi qui ne circule plus qu’en chaise roulante. Venu en éclaireur, le secrétaire à la Défense américain s’était assuré, au préalable, que l’alliance stratégique bilatérale demeure une base relativement solide. Et Obama s’est contenté d’avancer quelques pions dans la perspective du «Partenariat trans-Pacifique», sachant que cette initiative américaine, en vue de l’établissement d’une vaste zone de libre-échange, est accueillie avec tiédeur à Bangkok. Yingluck Shinawatra, premier ministre et qui ne représente qu’une part de pouvoir, lui a fait comprendre que, dans cette affaire, mieux valait ne pas la bousculer. Le 18 novembre au soir, Yingluck s’est envolée pour Phnom Penh. De son côté, après avoir rencontré des compatriotes autour d’un verre, Obama s’est préparé pour l’étape cruciale de son voyage, la Birmanie.

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Chronique de Thaïlande : coup de chapeau aux technocrates !

Dans un pays souvent tiré en tous sens en fonction des intérêts politiques, les technocrates impriment envers et contre tout une direction générale rationnelle.

A observer les agitations quasi-épileptiques des politiciens (et des militaires) thaïlandais, on se demande parfois comment le royaume de Thaïlande reste sur ses pieds. Coups d’Etat, pillage du trésor public, gabegie financière, défense désastreuse du baht en 1997, répression contre le peuple, compétition sur la répartition des prébendes, croisades nationalistes irraisonnées… l’irresponsabilité des politiciens du pays rappelle les plus beaux épisodes de ce que l’on appelle sous d’autres cieux les républiques bananières. Et il faudrait y ajouter les catastrophes naturelles occasionnelles, du tsunami de 2004 aux inondations de 2011. Et pourtant,  la Thaïlande semble passer au travers des gouttes, même sous les plus gros orages. Sans remonter jusqu’à sa légendaire habileté qui lui a permis d’éviter les sanctions à la fin de la Deuxième guerre mondiale, on ne peut qu’admirer le fait que les épreuves traversées n’ont que peu influé sur des variables aussi vitales pour le pays que le nombre d’arrivées des touristes, le niveau des investissements étrangers et le dynamisme, en général, de l’activité économique.

Le secret, murmurent des étrangers sur place de longue date, réside dans un corpus réduit mais influent de hauts fonctionnaires et de technocrates, bien formés, peu sensibles aux sirènes du pouvoir politique ou des puissances d’argent et passionnés avant tout par le travail bien fait. Ce n’est pas la « mafia de Berkeley » qu’avait pu connaître l’Indonésie de Suharto, mais une « mafia » venue de divers horizons, d’Harvard à Assas en passant par les universités de Melbourne et de Chulalongkorn. Ces technocrates ont posé dans les années 1970 et 1980 les bases du développement économique thaïlandais – un développement fortement axé sur l’industrialisation à partir d’investissements japonais et américains et tournant le dos à l’agriculture. A la tête des grandes institutions du royaume, comme la Chambre de commerce, la Banque Centrale, le Bureau national de développement économique (devenu ensuite Bureau national de développement économique et social) et le Bureau des investissements, ils ont maintenu le cap envers et contre tout, résistant aux menaces ou aux avances des politiciens. Pisit Pakasem, Amaret Sila-On, Pridiyathorn Devakul ou Staporn Kavitanon sont autant de noms sur ces tablettes rarement évoquées des serviteurs de l’Etat thaïlandais.

Certes, certains d’entre eux ont failli, sont tombés dans l’ornière politique ou, comme les infortunés dirigeants de la Banque centrale de 1997-1998, Reungchai Marakanond en tête,  se sont laissés embobiner par les politiciens. Mais qu’un Vissanou Krua-Ngarm ou qu’un Bovornsak Uwanno s’engagent dans les pas de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra n’a finalement été qu’une péripétie dans une longue lignée empreinte de dignité et de sens du devoir. Après tout, combien de nos énarques versent dans la politique, oubliant les leçons de la Grande école ? Des exemples récents, en Thaïlande, ont montré comment les tenants de la Banque Centrale ont lutté pied à pied contre les pressions politiciennes afin de maintenir la rigueur fiscale, la stabilité monétaire et la bonne santé économique du pays. Peut-être que certains observateurs classeront ces hommes de devoir, souvent monarchistes, au sein de l’establishment conservateur. Mais quelle que soit la couleur dont on les peint, ces technocrates et hauts fonctionnaires constituent depuis des décennies la colonne vertébrale d’un pays qui fait souvent preuve d’une souplesse déconcertante.

Max Constant

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Obama en Birmanie : le double signal de l’Amérique

Le dessin de Stephff

Selon le Washington Post, la visite d’Obama en Birmanie illustre sa détermination à continuer de pivoter vers l’Asie et adresse un message aux Etats-voyous.

La Maison blanche établit «avec une rapidité étonnante» des liens avec un pays qui a été longtemps un «paria international» et «vient juste d’entreprendre des réformes», relève le quotidien de Washington. Sans précédent. Entre le moment où le gouvernement de Pretoria a tourné le dos à l’apartheid (1990) et la première visite d’un président américain (Bill Clinton, 1998), huit années se sont écoulées. Depuis le renversement du président Slobodan Milosevic, aucun président américain n’a visité la Serbie. Depuis la décision de la Libye d’abandonner son programme nucléaire (2003), aucun chef d’Etat américain ne s’est rendu sur place.

Dans le cas de la Birmanie (Myanmar), vingt mois seulement se seront écoulés entre le premier signal fort annonçant la fin du régime militaire (mars 2011) et la visite attendue de Barack Obama le 19 novembre. Les sanctions les plus accablantes ont été levées entre-temps. A titre de comparaison régionale, après la défaite de 1975 au Vietnam, Washington a attendu dix-neuf ans pour mettre fin à son embargo économique et vingt ans pour établir des relations diplomatiques avec Hanoï.

Toutefois, de nos jours, donc à une époque où l’Amérique «pivote» vers l’Asie, Washington aurait probablement reconnu le régime communiste vietnamien beaucoup plus vite. En tout cas, le Washington Post estime que le renforcement rapide de la collaboration avec le nouveau régime birman est «largement» lié au «pivot» américain vers l’Asie, lui-même l’expression de la gestion américaine de la montée en puissance de la Chine. La Birmanie a fait un geste décisif en prenant, dès 2011, des distances à l’égard de son ancien protecteur chinois. Le Washington Post évoque l’«effort» américain «pour intégrer les pays de l’Asie du sud-est, qui ne sont pas enthousiasmés par l’influence croissante de la Chine mais ont besoin d’un peu d’aide pour s’unir contre le géant qui est leur voisin».

Le Washington Post ajoute que le gouvernement de Barack Obama «voit peut-être aujourd’hui une ouverture pour affirmer son leadership régional, à un moment où les approches diplomatiques de la Chine demeurent peu convaincantes». Le quotidien de Washington estime qu’en précipitant la détente avec la Birmanie, la Maison Blanche adresse «un autre message» aux Etats «voyous» : «ceux qui s’ouvriront pourraient s’attendre à des récompenses de la part des Américains, et promptement».  Certes, les relations de l’Amérique avec, par exemple, l’Iran sont beaucoup plus difficiles à gérer. «Vous pouvez tout de même vous demander, conclut le Washington Post, comment tout cela est vu de Caracas, de Riad et même de Téhéran».

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Un tourbillon américain en Asie du sud-est

Le patron du Pentagone est venu en éclaireur. Accompagné de Hillary Clinton, Barack Obama passe le weekend à Bangkok, le lundi en Birmanie et le mardi au Cambodge.

Curieux marathon pour la première tournée à l’étranger d’un président réélu voilà deux semaines seulement à la suite d’une épuisante campagne électorale. Leon Panetta, le secrétaire américain à la défense, a donné le ton en signant, peu après avoir débarqué en Thaïlande le 15 novembre, une «alliance de défense» dont le label est éloquent : «un partenariat de sécurité pour le XXIème siècle».

La Thaïlande et les Etats-Unis ne se seraient donc apparemment jamais quittés au cours du dernier demi-siècle malgré les mouvements divers observés à Bangkok au lendemain de l’humiliation américaine du 30 avril 1975 au Vietnam. Et, comme en Australie, où un premier contingent de fusiliers-marins américains s’installe, Washington n’aurait pas abandonné l’idée d’essayer de stationner un peu de monde dans le royaume qui fut la base arrière de la guerre au Vietnam.

Barack Obama semble s’être engagé, tête baissée, dans une série de premières qui doivent ancrer un mouvement auquel il tient : l’Amérique accentue son «pivot» en direction de l’Asie-Pacifique même si deux des artisans de cette réorientation, Léon Panetta et Hillary Clinton, s’apprêtent à quitter l’équipe présidentielle. Obama sera le premier président américain à se rendre au Myanmar (Birmanie), le 19 novembre, et au Cambodge, le 20 novembre. Au passage, il aura été reçu, audience fort rare, par le roi de Thaïlande, âgé de 84 ans, qui vit dans un hôpital et ne se déplace plus qu’en chaise roulante.

A Phnom Penh, où il passera une nuit avant de participer, le 20 novembre, au septième sommet de l’Asie de l’est, il aura des entretiens bilatéraux avec  le premier ministre Wen Jiabao (un Chinois sur le départ) et le premier ministre Yoshihiko Noda (le Japonais de service). Il sera, surtout, contraint d’engager son autorité dans les querelles maritimes qui empoisonnent les relations de la Chine avec ses voisins. Ce sommet, lui aussi, sera dominé par les relations entre Pékin et Washington.

En effet, le changement intervient rapidement. La Birmanie passait encore, voilà deux ans, pour une chasse gardée chinoise. Aujourd’hui, la concurrence entre les deux Grands de l’Asie-Pacifique s’y annonce rude. Au Cambodge, partenaire de la Chine, il sera intéressant de jauger l’influence de Washington. Obama souhaite emballer la machine et, surtout, qu’on n’oublie pas dans quelques semaines ce premier voyage à l’étranger de son deuxième mandat. Dès novembre 2011, dans un discours à Melbourne devant le Parlement australien, il avait annoncé la couleur : «en tant que nation du Pacifique, les Etats-Unis joueront un rôle plus large et de long terme dans le façonnement de la région et de son futur».

Nous y voilà donc. L’Amérique renforce ses liens militaires avec les voisins de la Chine – comme les Philippines, la Corée du Sud, le Vietnam, dont les relations avec Pékin sont plus difficiles. Elle conforte ses liens avec Singapour, la Thaïlande ou l’Indonésie. Les Chinois se disent encerclés. Aux yeux de Washingon, l’Asie orientale est désormais la priorité et, pour peu que des dérapages soient limités au Proche Orient ou en Afghanistan, le deuxième mandat d’Obama est lancé.

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Chronique de Thaïlande : le confort de la distance

L’existence d’une certaine insularité de l’univers thaïlandais déroute les étrangers et parfois les Thaïlandais eux-mêmes.

Evoquer la teneur des relations entre Thaïlandais et étrangers est toujours délicat car, outre le danger d’une généralisation outrancière, l’observateur occidental ne peut qu’écrire selon la position d’où il observe ; son analyse est forcément teintée. Cette observation ne vaut donc que pour ce qu’elle est : une perception parmi de nombreuses autres possibles. Nombre d’Occidentaux résidant depuis des années en Thaïlande diront qu’ils ont peu ou pas d’amis thaïlandais véritables, qu’il est très difficile d’aller au-delà de rapports courtois mais sans profondeur. L’image évoquée est celle d’un demi-globe de verre à l’intérieur duquel s’agite le monde thaï. Au prix de certains efforts, on peut s’en approcher jusqu’à se coller le nez contre la paroi translucide et scruter l’intérieur. Mais on ne peut jamais le pénétrer. Rien n’est plus risible qu’un Occidental qui pense y «être parvenu», «être devenu comme eux». Après un certain temps d’illusion, des Thaïlandais le lui feront gentiment sentir.

J’ai souvent entendu les farang évoquer ce sujet, mais jamais les Thaïlandais en parler d’eux-mêmes ou même rebondir une fois lancé sur le thème. Le jeu de relations se déroulant à l’intérieur est harmonieux, cohérent avec ses propres règles. Rares sont ceux qui les remettent en cause. L’importance des figures paternelles ou paternalistes y est grande, d’où le sentiment qu’il pourrait y avoir une stratégie d’infantilisation venue d’en haut pour un meilleur contrôle politique et social. Toutefois, déplacé dans un contexte non thaïlandais, mis en perspective dans le cadre d’une comparaison avec le monde extérieur, ce jeu inter-relationnel révèle soudainement son décalage avec le « monde réel » et peut même alors paraître absurde.

Il semble y avoir une conscience parmi les Thaïlandais de ce phénomène et donc la mise en place de stratégies pour y remédier préventivement. En Thaïlande, de nombreux Thaïlandais, une fois dépassées les premières civilités, placeront une distance entre eux et leurs hôtes – une distance qui est un mécanisme de protection. Quand on croise des groupes de Thaïlandais voyageant à l’étranger, il est parfois frappant de constater leur désintérêt pour établir des contacts avec les autochtones, ou même avec les autres groupes d’Asiatiques qu’ils pourraient croiser : cette attitude est très différente de celle des Philippins, toujours conviviaux et enclins à converser, ou des Indonésiens. Beaucoup de Thaïlandais semblent transporter autour d’eux leur «bulle de protection».

Inversement, il est réconfortant de voir que de nombreux Thaïlandais qui ont fait le choix de s’établir à l’étranger ou d’y résider un certain temps pour raison d’études, de mariage ou professionnelle, brisent souvent ce cocon d’insularité, s’ouvrent et révèlent un éclectisme, une curiosité vis-à-vis du monde extérieur rafraîchissante. Parfois même, ces Thaïlandais réinterpréteront leur milieu d’origine et lâcheront : «En Thaïlande, les gens se toisent, manquent de simplicité». L’importance de la pose, de la distance sociale et du jeu des apparences sont autant de facteurs qui contribuent à façonner l’univers thaïlandais avec ses particularités. Et, il ne se passera pas beaucoup de temps pour que ces Thaïlandais un peu transformés par leur expérience à l’étranger se verront reprocher leur relations de tam khon farang, c’est-à-dire leur «imitation des étrangers».

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Asie du Sud-Est : semi-paralysie dans les deux camps

Le dessin de Stephff

Le Congrès du PC chinois prend fin le 14 novembre. Alors que la partie d’échecs se poursuit avec l’Amérique, aucun changement radical ne semble se profiler.

Dans son discours d’adieu, le 8 novembre, le président chinois sortant, Hu Jintao a lancé un sévère avertissement à son successeur présumé, Xi Jinping : la corruption à l’intérieur du parti communiste est une gangrène. « Si nous ne parvenons pas à bien résoudre ce problème, le coup pourrait être fatal pour le parti et pourrait provoquer l’effondrement du parti et la chute de l’Etat», a-t-il dit devant 2.200 délégués du PC chinois et sous le regard attentif de l’influent patriarche Jiang Zemin, aujourd’hui âgé de 86 ans.

Il serait difficile d’en dire davantage dans le genre bord du précipice. C’est un discours que l’on entend également au Vietnam. Des propos d’urgence : il faut corriger le tir le plus vite possible, sinon… Et puis ? Hu Jintao n’en a pas dit long sur ce qu’il faudrait entreprendre pour corriger le tir. Il n’a pas suggéré une ébauche de programme à suivre. Et personne ne peut se faire d’illusions, surtout pas le réélu américain, Barack Obama, sur le rythme des réformes en Chine et sur la possibilité d’un dialogue plus harmonieux entre Pékin et Washington.

La mise en place de l’équipe de Xi Jinping va prendre du temps. Aucun membre de cette nouvelle direction chinoise ne sera présent à Phnom Penh, du 18 au 20 novembre, lorsque le chef de l’Etat américain se rendra au Cambodge pour assister à un sommet de l’Asie de l’est avant d’effectuer des sauts en Birmanie et probablement en Thaïlande. La réélection d’un Démocrate à la Maison blanche, pour la première fois depuis Franklin Roosevelt, soit depuis 68 ans, peut difficilement être prise comme  le symbole souhaité du changement. L’accession au pouvoir d’une nouvelle direction chinoise ne précipite rien non plus. Et si une semi-paralysie semble prévaloir dans un camp comme dans l’autre, la partie d’échecs risque de prendre son temps.