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L’Indonésie ou l’émergence d’une puissance moyenne

Un universitaire américain estime que l’Indonésie est devenue une puissance moyenne et qu’elle en joue désormais le rôle. Le jugement ne fait pas l’unanimité.

Bruce Gilley, enseignant à l’université d’Etat de Portland, écrit dans les colonnes du New York Times que l’évènement le plus important de la dernière tournée asiatique de Hillary Clinton a eu lieu à Jakarta, le 3 septembre, quand la secrétaire d’Etat américaine a reconnu que Washington acceptait «le leadership» de l’Indonésie dans la recherche de solutions aux «disputes territoriales» en mer de Chine du Sud, «disputes qui ont été la source de propos belliqueux, ces derniers mois, de la Chine, du Vietnam et des Philippines

Auteur d’un essai récent sur la légitimité des Etats (The Right to Rule : How States Win and Lose legitimacy), Gilley fait valoir que Washington accorde un rôle prédominant à Jakarta dans la négociation en mer de Chine du Sud parce que l’Indonésie ne se range pas dans le camp américain. Au cours de la conférence de presse conjointe avec Mme Clinton, le ministre indonésien des affaires étrangères, Marty Natalegawa, a été clair : le leadership indonésien dans cette affaire «ne signifie pas qu’il se manifeste aux dépens de tout autre parti.»

En observant une stricte neutralité dans le conflit de la mer de Chine du Sud, l’Indonésie peut avoir une influence sur la négociation et se range donc, selon Gilley, dans la catégorie des «puissances moyennes» : de 10 à 20 Etats qui, comme l’Afrique du Sud ou l’Australie, ne sont pas des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, ne sont pas des géants comme le Japon, l’Inde ou l’Allemagne. L’appel à l’Indonésie est, de la part des Etats-Unis, l’aveu d’une incapacité à trouver «une réponse stratégique efficace à l’influence croissante de la Chine.»

Promouvoir le rôle de l’Indonésie contraint sans doute Washington à accepter «quelques compromis.» Mais cette attitude devrait encourager des solutions acceptables par Pékin. Il reste que résoudre ce genre de conflit prend beaucoup de temps et que le statut de «puissance moyenne» n’est pas un acquis définitif. «L’Indonésie est une puissance moyenne classique ; c’est un pays devenu récemment démocratique et qui se développe rapidement avec un potentiel militaire et diplomatique notable», estime Gilley. Mais la stabilité politique de l’archipel n’est pas garantie avec une présidence dont la popularité s’est essoufflée et une succession, en 2014, qui s’annonce pleine d’incertitudes.

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Chronique de Thaïlande : le retour de Super-Chalerm

Vétéran de la politique, l’actuel vice-Premier ministre Chalerm Yubamrung tient le haut du pavé malgré une réputation sulfureuse.

Un nouveau soap-opera sur la chaîne 3 de la télévision thaïlandaise captive, depuis plusieurs semaines, l’attention du grand public en Thaïlande. Il s’agit de Hong Sabad Laï (« Le Gang de la Cité », selon une traduction non littérale) qui décrit de manière hautement colorée les péripéties de la vie d’une famille dont le chef est un politicien corrompu et sans scrupules et le fils aime à manier le revolver pour régler ses comptes avec ses rivaux. Plusieurs Thaïlandais m’ont assuré que le vice-Premier ministre actuel Chalerm Yubamrung aurait inspiré en partie le personnage principal de la série, le patriarche véreux. Si cela est vrai, ce serait une consécration pour cet ancien capitaine de police âgé de 64 ans, entré en politique dans les années 1980 et qui a bien failli sombrer dans l’oubli il y a une dizaine d’années.

Chalerm Yubamrung est le prototype du politicien fort en gueule qui anime la scène politique du royaume, une « bombe à retardement ambulante » comme l’a qualifié l’analyste Chris Baker il y a peu. Aux côtés de la cheffe du gouvernement Yingluck Shinawatra, aussi élégante qu’effacée, Chalerm présente un contraste total, avec ses gesticulations et ses coups de gueule, son absence quasi-totale de retenue et ses piques assassines. Mais quels que soient ses travers, force est de reconnaître qu’il joue aujourd’hui un rôle de tout premier plan, cumulant la fonction de Monsieur anti-drogue avec la supervision des opérations de sécurité dans le Sud à majorité musulmane du pays. Sur les écrans et derrière les micros, sur les perrons et dans les salons de réception, on ne voit que lui. D’où lui vient donc cette présence au-delà d’un hyper-activisme qui n’est pas sans rappeler la bougeotte permanente de l’ancien président Sarkozy ?

Chalerm n’a jamais bien été considéré quand il faisait carrière dans la police. Lors d’un entretien en 1994, le général de police Seri Temiyavej (qui deviendra plus tard chef de la police royale) l’avait qualifié d’«officier de très basse qualité». C’est son entrée en politique en 1988 dans le gouvernement de Chatichai Choonhavan qui lui donna un profil national. Nommé ministre auprès du Premier ministre, il fut chargé de superviser le secteur des médias. Déjà, il se distinguait par ses interférences dans la couverture par les journalistes. C’est à cette époque qu’il rencontra Thaksin Shinawatra, alors un homme d’affaires sur la pente ascendante et qui souhaitait mettre un pied dans le secteur audiovisuel. Chalerm s’entendit bien avec cet homme de sa génération qui était aussi un ancien officier de police. Comme Chalerm avait autorité sur l’Autorité Thaïlandaise de Communication de Masse (MCOT), il fit en sorte que cette agence gouvernementale octroie une licence pour une chaîne de télévision câblée à Thaksin. L’amitié était scellée et ne se démentira jamais.

Mais la carrière politique de Chalerm, souvent accusé d’être propriétaire de casinos clandestins, allait connaître des tournants imprévus. Et comme il s’était fait un certain nombre d’ennemis par ses embardées – qualifiant par exemple l’épouse de l’ex-Premier ministre Chaovalit Yongchaiyud de «boîte à bijoux ambulante» -, ceux-ci ne se prièrent pas pour lui savonner la planche. En 2001, l’un des deux fils de Chalerm, Duangchalerm, jeune officier de police, est impliqué dans le meurtre d’un autre officier de police dans une discothèque. L’accusation est grave : des témoins affirment l’avoir vu tirer une balle dans la tête du policier à bout portant après une querelle. Duangchalerm s’enfuit au Cambodge et son père, alors ministre dans le gouvernement de Thaksin, essaie de temporiser. Après un an de cavale, Duangchalerm rentre au pays et, surprise !, la totalité des témoins refusent de témoigner ou reviennent sur leurs premières déclarations. La cour acquitte Duangchalerm en 2004, alors que de forts soupçons d’ingérences au sein de l’appareil judicaire pèsent sur son père. Chalerm entame une longue traversée du désert, qui ne se terminera qu’en 2011 lorsqu’il entrera au gouvernement de Yingluck Shinawatra.

On peut légitimement se demander comment un politicien qui traine autant de casseroles derrière lui puisse occuper un rôle aussi important dans le gouvernement. Peut-être parce que chaque gouvernement – et particulièrement celui de Yingluck – a besoin d’un « franc-tireur » pour faire reculer les critiques trop agressifs, mais aussi, comme le confie un analyste, simplement parce que personne n’ose s’en prendre à l’ancien capitaine de police qui «connait trop de choses sur trop de monde».

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Analyse Politique Thaïlande

Chronique de Thaïlande : les snipers à la barre

Bien qu’énervés, les militaires de Thaïlande se voient obligés d’expliquer leur rôle dans la répression sanglante des manifestations d’avril-mai 2010 à Bangkok.

L’image est peut-être symbolique d’une évolution au sein de la société thaïlandaise quant aux devoirs et responsabilités des forces armées. Le 29 août, deux militaires, qui avaient joué le rôle de tireurs d’élite lors de la répression contre les manifestations des Chemises rouges en avril-mai 2010, sont arrivés, avec l’air penaud de garnements pris en faute, dans les locaux du Département des enquêtes spéciales (DSI) pour apporter leur témoignage dans le cadre de l’enquête sur les 91 personnes tuées pendant cette période. Un clip vidéo où on pouvait voir les deux hommes utiliser un M-16 pourvu d’une lunette de visée durant les manifestations avait été diffusé à maintes reprises les jours précédents. Le couple de snipers avait même eu l’honneur de faire la couverture du Matichon hebdomadaire.

Les obstacles à une véritable responsabilité citoyenne de l’armée thaïlandaise restent toutefois importants. Les propos du chef de l’armée de terre, le général Prayuth Chan-Ocha, après la comparution des tireurs d’élite en témoignent. Le général s’est dit « ennuyé » de cet intérêt subit des médias et de la population pour les faits et gestes des hommes en uniforme. Il a ajouté, dans ce qui pourrait presque ressembler à une menace : « Si les soldats avaient voulu blesser les gens, ils auraient fait feu de la ligne de front et beaucoup seraient morts ». Autrement dit : « Estimez-vous chanceux ! ». Je ne peux m’empêcher de comparer cette tirade aux propos qu’avaient tenus un jeune officier alors que je faisais mes classes dans un régiment près de Paris, lors du service national. Celui-ci avait dit : « Si on vous donnait l’ordre de tirer sur une foule de manifestants désarmés, j’espère qu’en votre âme et conscience vous décideriez de refuser d’obéir ». La France a fait du chemin depuis qu’un jeune Corse désoeuvré du nom de Bonaparte s’est fait un nom en ordonnant aux cannoniers, le 5 octobre 1795, de faire feu sur des manifestants armés de quelques fusils et réfugiés dans l’église Saint Roch.

Les derniers signes que l’on peut voir en Thaïlande sont encourageants : l’armée est mise au pied du mur, poussée à faire face à ses responsabilités. Le public n’avale plus les sempiternelles excuses du « devoir accompli » et de « la protection de la sécurité nationale ». Sans que l’on connaisse les raisons véritables, le Département des enquêtes spéciales mène une campagne acharnée pour faire la lumière sur le rôle des militaires lors des manifestations d’avril-mai 2010. Après les massacres d’octobre 1973, d’octobre 1976 et de mai 1992, les chefs militaires s’en étaient sortis à bon compte et avaient pu passer une retraite paisible en continuant d’occuper des sièges dans les Conseils d’administration de nombreuses grandes entreprises. Jamais une procédure judicaire n’avait été engagée à leur encontre. Cette fois-ci, la ténacité de quelques parents des victimes, comme Phayao Akkahad, la mère d’une aide-soignante tuée le 19 mai 2010, un contexte politique favorable et l’érosion lente de la peur entretenue par les militaires ont débouché sur des progrès notables. Les chefs de l’armée sont désormais obligés de se justifier, de se battre pied à pied pour préserver leur Etat dans l’Etat (contrôle des médias, impunité juridique) sans se rendre compte que celui-ci a déjà commencé à tomber en pièces. Le mythe selon lequel la sécurité nationale et la démocratie – donc la soumission de l’appareil militaire au pouvoir civil – sont incompatibles ne fonctionne plus.

Il faudra encore, toutefois, beaucoup d’efforts pour changer la mentalité des militaires – une mentalité inculquée dans les écoles militaires préparatoires où l’on imprime dans les esprits des jeunes cadets l’idée selon laquelle ils sont les « élus de la Nation » et qu’ils constituent le recours ultime pour « protéger la monarchie ». Pour l’anecdote, les deux snipers ont expliqué, durant leur témoignage au bureau du DSI, qu’ils n’avaient tué personne, car ils s’étaient limités à tirer des balles en caoutchouc.

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Indonésie : un parti influent prône le déni de mémoire

Si le public indonésien se pose de sérieuses questions sur les massacres de 1965, le Golkar, parti en tête dans les sondages, refuse ce devoir de mémoire.

«Que veulent-ils de plus ? Cela suffit, non ?». Telle est la réponse, selon le Jakarta Globe, de Leo Nababan, secrétaire général adjoint du Golkar, à propos des survivants des massacres de 1965-1966 en Indonésie (plus d’un demi-million de victimes) dont les droits civiques ont été progressivement restaurés depuis la chute de Suharto en 1998. Leo Nababan s’oppose à ce qu’un suivi officiel soit donné au rapport de Kommas HAM, la Commission nationale des droits de l’homme, qui a conclu quatre années d’enquête en estimant que la persécution et les meurtres des membres présumés du PKI (PC indonésien) en 1965-1966 représentent «une grossière violation des droits de l’homme».

Au nom de la lutte contre le communisme, a relevé Kommas HAM, de nombreux crimes ont été commis par les militaires : meurtres, expulsions, torture, viols et autres abus. Leo Nababan rétorque que les enseignements du communisme (et le PKI) étant toujours officiellement bannis depuis 1966, il n’y a aucune raison qu’une suite soit donnée au rapport de Kommas Ham par des services de l’Etat, contrairement à l’ordre donné par le président Susilo Bambang Yudhoyono à l’Attorney general.

Le Golkar (pour Golongan Karya ou «groupes fonctionnels») est le mouvement sur lequel l’autocrate Suharto s’est appuyé pour gouverner. A la fin du règne de Suharto (1966-1998), lequel est considéré comme le principal responsable des massacres de 1965-1966, le Golkar a emporté jusqu’à 70% des suffrages lors d’élections générales strictement contrôlées. Le problème est que le Golkar ne s’est pas effondré après le limogeage de Suharto voilà quatorze ans et que cette machine électorale a assez bien survécu pour se retrouver aujourd’hui en tête, de peu il est vrai, dans les sondages.

Leo Nababan n’est pas le seul à réclamer que cette sinistre page d’histoire soit oubliée. Priyo Budi Santoso, vice-président du Golkar, en a fait autant voilà quelques semaines en demandant au pays d’oublier ces massacres. Une frange politique de l’Indonésie s’oppose donc encore à ce que la lumière soit faite alors que deux générations d’Indonésiens ont été privées de leurs droits civiques, leurs biens étant saisis et les descendants des victimes étant, par exemple, longtemps interdits d’emploi ou même d’école.

Peu après ces massacres, donc avant la tragédie des Khmers rouges au Cambodge (1975-1979), un rapport interne de la CIA américaine avait conclu qu’ils ont été parmi les pires du XX° siècle, à ranger aux côtés des «purges soviétiques des années 1930, des crimes nazis pendant la Deuxième guerre mondiale, et du bain de sang maoïste au début des années 1950». Si le Golkar, qui soutient le gouvernement actuel, revient au pouvoir à l’occasion des élections de 2014 (présidentielle et législatives), le déni de mémoire se prolongera encore au moins quelques années, en dépit de l’indignation affichée par les militants des droits de l’homme.

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Analyse Thaïlande

Chronique de Thaïlande : un bouddhisme prêt à la consommation

Un mouvement bouddhique thaïlandais, qui revendique 100.000 fidèles, séduit les classes moyennes urbaines et transforme le bouddhisme pratiqué dans le pays.

Le temple bouddhique Dhammakaya, situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Bangkok, dans la province de Pathum Thani, est revenu récemment sous les feux de la rampe et dans les colonnes des journaux, en diffusant sur sa chaîne cablée et sur son site internet (www.dmc.tv) une bizarre série de sermons sur le thème « Où est Steve Jobs ? ». Comme le souligne Sanitsuda Ekkachai, dans le quotidien Bangkok Post, si cette ahurissante présentation – où l’on apprend que le fondateur d’Apple décédé l’an dernier est aujourd’hui un Thepphabhut Phumadeva (une divinité) de rang moyen, qui habite un immeuble de six étages fait d’argent et de cristal – venait d’un groupement marginal, on pourrait en rire et l’oublier. Mais la plaisanterie, ici, éprouve du mal à passer, quand on sait que le temple Dhammakaya est le mouvement bouddhique le plus riche et le plus influent du pays à l’heure actuelle. Dans son éditorial du 23 août, Sanitsuda Ekkachai, auteure d’un livre sur le bouddhisme thaïlandais, affirme que le mouvement Dhammakaya est sur le point de « prendre le contrôle du clergé bouddhique » de Thaïlande.

Cette mise en garde est peut-être un peu alarmiste, mais il est néanmoins sûr que le temple Dhammakaya, sérieusement ébranlé à la fin des années 1990 par des accusations de spoliation de terres et de distorsion des enseignements du Bouddha, a considérablement renforcé sa position. Le prince héritier de Thaïlande Vajiralongkorn n’a jamais hésité à s’afficher avec les leaders du mouvement. Le temple aurait aussi d’excellents contacts avec l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, exilé depuis 2008. Il s’est rangé du côté des Chemises rouges (adversaires de l’establishment traditionnel) dans la lutte actuelle pour déterminer l’orientation politique du royaume.

Il peut être utile de rappeler quelques données sur l’origine du temple Dhammakaya et sur son histoire pour replacer sa position de force actuelle dans un continuum. Le temple a été fondé en 1969 par une nonne et quelques étudiants qui étaient des disciples du célèbre bonze thaïlandais Phra Mongkol Thep Muni (ou Luang Po Sout) dont on peut voir le portrait dans de très nombreux magasins de Bangkok. Luang Po Sout, décédé en 1959, avait redécouvert une ancienne méthode de méditation, parmi les nombreuses existantes, qui consiste à visualiser une boule de cristal, ou parfois un bouddha de cristal, se déplaçant à l’intérieur de son corps. C’est la méthode Dhammakaya ( » le corps méthaphorique du Bouddha  » ou « la collection des qualités du Bouddha », selon des historiens du bouddhisme), qui s’inspire de l’école bouddhique Mahayana et non du bouddhisme ancien Theravada, lequel est suivi par une majorité des Thaïlandais.

Relativement facile à mettre en œuvre, cette technique de méditation permet d’aboutir avec un entrainement sérieux à un état d’extase que les bonzes du temple disent être un premier pas vers le nirvana (ou nibhan en pali). Cette concrétisation du nirvana, qui est un état de non-existence selon le canon bouddhique, semble différer considérablement avec les enseignements du bouddhisme ancien. « Ils ont complétement dérivé par rapport à l’enseignement de Luang Po Sout. Maintenant, ils font dans la psychologie de masse », notait en 1995 l’universitaire Chatsumarn Kabilsingh, devenue depuis la première moine-femme de Thaïlande.

Quoiqu’il en soit, le temple Dhammakaya a très bien su remodeler le bouddhisme siamois pour créer une formule attractive pour les classes moyennes urbaines, notamment celles de Bangkok. Le haut niveau d’études des bonzes (80 % ont une licence), les équipements du temple – du parking géant souterrain aux supermarchés pour acheter les offrandes – et la gestion ordonnée des lieux (pas de chiens pouilleux ici) séduisent les familles bangkokiennes. Elles viennent, habillées de blanc, méditer le dimanche matin, avant leur sortie de l’après-midi. Surtout, le temple Dhammakaya insiste beaucoup sur les bénéfices matériels et psychologiques immédiats que l’on peut retirer de la méditation, laquelle n’est considérée dans le bouddhisme Theravada que comme un moyen pour accéder progressivement à la sagesse. Pour couronner le tout, des techniques agressives de marketing poussent les fidèles à effectuer d’importantes donations pour garantir leur karma. « Dhammakaya dit à la classe moyenne influencée par la globalisation qu’elle peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Le temple transforme le bouddhisme pour le rendre compatible avec le capitalisme et le consumérisme », expliquait en 1999 l’universitaire Suwanna Satha-Anand au New York Times.

De fait, les transformations apportées par Dhammakaya, qui est implanté dans une douzaine de pays dont les Etats-Unis et envisage de devenir « le centre mondial du bouddhisme », sont profondes. Elles pourraient même constituer les prémisses d’un nouveau mouvement bouddhique, à connotation matérialiste et missionnaire, comme cela a été le cas après les grandes scissions de l’histoire. Le Conseil des anciens, l’autorité ultime du bouddhisme thaïlandais, semble en tous les cas très hésitant à tancer le mouvement Dhammakaya sur les manquements à la discipline et les fautes. Les déclarations de Phra Dhammachayo, l’abbé de Dhammakaya, affirmant être la « tête de Bouddha » et posséder des pouvoirs surnaturels sont, par exemple, une des cinq infractions graves justifiant l’exclusion de la communauté monastique.

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Analyse Politique Viêtnam

Vietnam : les arrestations se poursuivent dans les milieux financiers

Une série d’arrestations a lieu dans les milieux d’affaires alors que la bourse dégringole et que la dette des entreprises publiques devient très préoccupante.

La dernière arrestation en date est celle de Ly Xuân Hai, ancien PDG de l’Asia Commercial Bank (ACB). Agé de 47 ans, originaire de Hanoi et titulaire d’un master de Paris-Dauphine, Hai a été arrêté en début de soirée le 23 août, selon le site VietnamNet, à son domicile à Hochiminh-Ville. Son domicile et ses bureaux ont été fouillés. Il est accusé d’avoir «intentionnellement violé les règlements de l’Etat sur la gestion économique». Entre-temps, la Banque centrale est intervenue, comme annoncé, pour renflouer en liquidités l’ACB dont la clientèle s’est ruée pour retirer ses fonds et dont l’action en bourse a chuté de 20%. Hai, PDG depuis 2005, avait démissionné dans la matinée et a été aussitôt remplacé par l’un de ses adjoints.

Son arrestation est intervenue deux jours après celle de Nguyên Duc Kiên, l’un des fondateurs de l’ACB et l’une des grandes fortunes du Vietnam. Kiên a été arrêté pour des raisons qui, officiellement, n’ont rien à voir avec la gestion de l’ACB, quatrième banque commerciale du pays. D’autres arrestations avaient précédé, notamment celles, le 8 août, des deux ‘rois de l’acier’ à Haiphong, Pham Van Tu (le père) et Pham Hai Thanh (le fils), dont la compagnie Thai Son (import-export, chantiers navals, fabrication de l’acier) était censée être financièrement solide. En 2011, Thai Son figurait encore, selon VietnamNet, parmi les cinq cents sociétés privées les plus importantes. A la suite de la chute de 50% du prix de l’acier depuis la crise de 2008, Thai Son a connu de sérieux déboires, ne pouvant plus rembourser ses dettes.

La dette des entreprises publiques est évaluée, de son côté, à quelque 40 milliards d’€, ce qui est considérable. Il y a déjà eu les scandales des trous dans les budgets de Vinashin (chantiers navals) et Vinalines (transports maritimes). D’autres affaires pourraient exploser, mettant en cause un système de copinage qui rend l’âme. Les luttes de clans au sein du PC vietnamien, qui conserve le monopole du pouvoir politique, en sont déjà affectées.  Nguyên Duc Kiên passait, par exemple, pour être le partenaire en affaires de la fille du premier minisre Nguyên Tan Dung, considéré comme l’homme-clé du Bureau politique et du gouvernement.

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Analyse Politique Viêtnam

Vietnam: le temps des apprentis sorciers

L’arrestation d’un magnat de la finance illustre les effets d’un laisser aller. Absence de transparence, liens entre politique et affaires : corriger le tir s’annonce difficile.

Le Vietnam souffre à son tour des dérives du capitalisme rouge. Arrêté dans la soirée du 21 août pour «activités économiques illégales» en tant que PDG de trois sociétés, Nguyên Duc Kiên, 48 ans, pèse 70 millions d’€, ce qui fait beaucoup au Vietnam et le range parmi les cent premières fortunes du pays. Le 22 août, la bourse a chuté de 4,7% et d’1,59% le 23 août. Surtout, pour prévenir toute panique, Nguyên Van Binh, gouverneur de la Banque centrale et membre du gouvernement, a annoncé à l’Assemblée nationale que l’Etat ferait tout ce qu’il faut pour renflouer, si nécessaire, l’ACB (Asia Commercial Bank) dont Kiên a été l’un des fondateurs et dont le titre en bourse a plongé deux jours de suite de 7% (chute maximale autorisée au cours d’une journée, qui entraîne automatiquement la suspension du titre).

Binh a affirmé, devant les députés, que Kiên n’occupait plus la moindre fonction au sein de l’ACB et qu’il détenait moins de 5% des parts de cette banque, l’une des plus importantes du pays et dans le capital de laquelle figure la Standard Chartered. Kiên a été arrêté en raison de malversations dans trois autres sociétés dont il est le patron. Plusieurs autres banques ont aussitôt fait savoir que Kiên n’était, chez elles, qu’un partenaire très minoritaire, donc sans influence. C’est, toutefois, le cas d’Eximbank, dont le titre en bourse a chuté de 4,9% le 22 août et de 4,5% le 23 août.

Les autorités vietnamiennes continuent de considérer le secteur étatique, qui demeure majoritaire, comme la locomotive du développement économique (alors que l’immense majorité des créations d’emplois est devenu, depuis plusieurs années, le fait du secteur privé, minoritaire). Les liens entre les entreprises publiques, dont la gestion a fait parfois l’objet de scandales, et les plus hautes instances du Parti communiste sont incestueux. Le pays intervient constamment dans la gestion de ces entreprises, y compris parfois pour les sanctionner (le cas récent de Vinashin, entreprise publique de chantiers navals, dont le budget a compris un trou de près de 4 milliards d’€).

Les banquiers sont également obligés d’avoir leurs introductions au Comité central et au Bureau politique du PC. Ces relations s’opèrent fatalement dans une absence inévitable de transparence. Les fauteuils dans les conseils d’administration se comptent parfois par dizaines (c’est le cas dans l’affaire Nguyên Duc Kiên, dont on ignore encore les motifs précis de l’arrestation). Kiên passait également pour entretenir de très bonnes relations avec certains membres du Bureau politique. Lors de son avant-dernier Congrès, en 2006, le PC a accepté la présence dans ses rangs de «capitalistes rouges» en autorisant ses membres à faire des affaires  privées.

Les complicités et le laisser aller,  donc le trop bon ménage postsocialiste entre affaires et politique, expliquent également la gestion parfois hasardeuse des banques, notamment le taux élevé de mauvaises dettes. En mars dernier, le gouverneur Binh a rapporté au Parlement que les mauvaises dettes, en fait les créances douteuses, représentaient près de 10 milliards d’€, soit 10% de la dette des banques, un taux jugé très élevé.  Une inspection de la Banque centrale a alors révélé que, dans certaines sociétés de crédit, les mauvaises dettes représentaient de 30% à 60% du total. Autant dire que ces sociétés, peu nombreuses, sont déjà étouffées.

Le gouverneur de la Banque centrale a également affirmé, qu’en juin 2012, le taux moyen de mauvaises dettes dans les banques commerciales d’Etat était de 3,76% et qu’il était de 4,73% dans les autres banques commerciales. Ces statistiques sont inquiétantes alors que l’expansion s’est ralentie (4%) et que le secteur immobilier à Hochiminh-Ville est en déroute. L’arrestation de Kiên pourrait annoncer quelques règlements de comptes supplémentaires. La remontée de pente s’annonce ardue pour des apprentis sorciers qui ne contrôlent plus les développements qu’ils ont suscités ou, du moins, laissés se produire.

Jean-Claude Pomonti

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Analyse Thaïlande

Chronique de Thaïlande : le passé recréé

Un marché traditionnel de la province de Suphanburi connait un boom touristique, voit l’argent affluer et perd une partie de son âme.

Il y a une quinzaine d’années, il était très agréable de prendre un café traditionnel sur une des tables rondes de marbre de l’échoppe chinoise au bord du fleuve Ta Chin, dans le chef-lieu de district de Sam Chuk, dans la province centrale thaïlandaise de Suphanburi. Cette famille sino-thaïlandaise tient le café depuis plusieurs générations. L’un des oncles torréfie le café lui-même dans un grand fourneau placé sur un ponton flottant sur la Ta Chin. Du café, on pouvait voir un grand pont en bois qui enjambait le fleuve et une charmante grande bâtisse de plain-pied, aussi en bois, qui servait de siège au chef-lieu de district. L’air embaumait des odeurs mentholées de médecine traditionnelle et des vapeurs piquantes de piment rissolé. Il y a environ douze ans, un chef de district a décidé que le pont et la bâtisse de bois étaient désuets, les a fait détruire et a érigé à la place des ouvrages en béton et ciment, devant lesquels il a fait placer une statue en fonte du roi Rama V (règne 1868-1910).

Ces cinq dernières années, je suis retourné très rarement au café chinois. L’une des raisons est que là où l’on voyait autrefois quelques habitués, il y a maintenant une noria serrée de familles, grand-mères et enfants à la traîne, qui occupent l’ensemble des tables. C’est un peu avant cela que les autorités locales ont eu l’idée brillante de mener une campagne marketing sur le thème : le marché séculaire de Sam Chuk (talaat loi pi). La sauce a très vite pris. Le marché traditionnel en bois, jusqu’alors livré aux toiles d’araignées, a été nettoyé. Un musée glorifiant un chef de district chinois, venu des rangs du Kuo Min Tang, a été ouvert. L’Unesco a décerné au district un prix en 2008. Et des foules de touristes sont arrivées de Bangkok et des autres provinces. On y croise même régulièrement des Occidentaux.

Les autorités de Sam Chuk – c’est-à-dire les leaders du district et le comité des commerçants du marché – ont compris que le passé siamois, avec ses chanteurs surannés, sa quiétude pseudo-rurale et sa vaste gamme culinaire, pouvait séduire et rassurer les Thaïlandais des villes, en quête d’un divertissement nostalgique le temps d’un week-end. Et donc pouvait être commercialisé. Mais, une partie de ce passé ayant déjà été détruit car jugé dépassé et non rentable, il fallait le récréer ou du moins créer quelque chose qui puisse être vu par des gens venus de l’extérieur comme étant « le passé authentique de Sam Chuk ». Les ruelles, jusqu’alors couvertes de bitume, ont été pavées de beaux carreaux de carrelage. Une maquette de Sam Chuk a été installée au rez- de-chaussée du musée (on peut y voir l’ancien pont en bois). Un grand portail en bois, portant en thaï et en chinois l’inscription «marché séculaire de Sam Chuk», a été érigé à l’entrée du marché. C’est le lieu favori des visiteurs qui se font prendre en photo.

D’autres innovations plus douteuses sont apparues. Là où se trouvaient le magasin pour les pêcheurs, le marchand de vélos, la vieille échoppe du photographe où trônaient d’antiques appareil Kodak se sont installés des centaines d’étals tenus par des gens des alentours, lesquels vendent des jouets en plastique Made in China, des t-shirts « marché séculaire » et des recréations d’objets artisanaux en bois ou en fer forgé. Un nouveau « Sam Chuk ancien » est inventé pour répondre à la demande des touristes amenés par des flottes d’autocar.

Les bénéfices de cette explosion sont importants. Des milliers d’emplois sont créés. Les paysans qui trimaient dans leur rizière loin du marché ont investi dans ces étals de bibelots qui rapportent des profits hebdomadaires. L’argent coule à flots et les politiciens du district s’offrent de nouvelles limousines. Sam Chuk fait pâlir d’envie les districts aux alentours qui n’ont pas eu la même ingéniosité pour exploiter leur image. Quelque chose, toutefois, est perdu dans l’opération. Une certaine authenticité, bien sûr, mais aussi un naturel et une simplicité, qui ont laissé place à une plus grande agressivité commerciale. La Thaïlande n’est pas la seule à récréer son passé pour satisfaire les touristes. Luang Prabang, Siem Reap, Venise et Tolède sont passés par là. Faut-il s’en plaindre ? Ou peut-être, comme le disait un personnage de Marguerite Yourcenar, faut-il ne pas déplorer ce qui n’est plus, mais se réjouir de ce qui a été ?