Récemment libéré, l’ancien Premier ministre du Myanmar commence à parler. Il n’en demeure pas moins une énigme en Birmanie.
La grande surprise, lors des libérations du 13 janvier 2012, a été de voir Khin Nyunt sortir de son domicile, à Rangoon pour une brève excursion dans la rue. Ancien officier d’ordonnance du dictateur Ne Win, ancien «secrétaire N°1» de la junte qui a pris le pouvoir en 1988, ancien chef du renseignement militaire (1984-2004), ancien Premier ministre (pendant treize mois), Khin Nyunt n’avait rien d’un dissident.
«Placé sous protection» (arrêté) le 18 octobre 2004 et condamné, le 21 juillet 2005, à 44 ans de prison pour «corruption» et «désobéissance». En bref, il avait été limogé et mis au frais pour le restant de ses jours. Seul geste de clémence, mais important : son assignation, dans la foulée, à résidence.
C’est le comédien Zarganar, lui-même emprisonné à plusieurs reprises au cours des vingt-cinq dernières années, dont deux fois sur ordre de Khin Nyunt, qui a demandé au président Thein Sein sa libération.
«Absence de rancune »
Pourquoi ? «Absence de rancune », a déclaré le comédien dans un entretien au site www.mizzima.com le 19 janvier 2012, après avoir rendu visite au général à la retraite que des médias avaient baptisé le «prince du mal» et qui a affirmé, à sa sortie de prison, qu’il resterait à l’écart de la politique. A l’âge de 71 ans, le prix léger de la liberté ?
Lee Kuan Yew, le patriarche de Singapour, considérait Khin Nyunt comme le seul général birman avec lequel discuter avait un sens. L’ancien officier affirme aujourd’hui qu’il a sauvé la vie d’Aung San Suu Kyi en mai 2003, quand le cortège de la très populaire birmane a été attaqué de nuit (50 morts).
«J’ai envoyé mes hommes pour l’extraire de la foule et la déposer à l’abri dans un cantonnement militaire du voisinage», affirme-t-il dans un entretien publié par le Bangkok Post le 8 avril 2012. Il lui aurait donc sauvé la vie, ce qui pourrait expliquer pourquoi il a été lui-même arrêté l’année suivante : il n’avait pas les moyens de tenir tête à la faction militaire la plus dure.
D’autres pensent que Khin Nyunt avait fait du Renseignement militaire un Etat dans l’Etat ou, plus exactement, au sein d’une caste fermée, un clan qui monopolisait de bonnes affaires, notamment la contrebande aux frontières. Et quand il a été arrêté, le Renseignement a été démantelé et les officiers qui dirigeaient ce service emprisonnés. Khin Nyunt dément le tout aujourd’hui, affirmant au Bangkok Post qu’il n’avait jamais «abusé des pouvoirs qui lui avaient été confiés ni bâti une fortune personnelle».
La conscience tranquille
Khin Nyunt revendique la paternité des négociations avec les dix-sept minorités ethniques qui ont abouti à des cessez-le-feu sur place. Il rappelle qu’il a qualifié Mme Suu Kyi de «petite sœur» et qu’il a lancé le programme de «démocratisation». Sa marge de manœuvre était-elle limitée ? Toujours est-il qu’il n’a jamais libéré un prisonnier politique et que ses rares rencontres avec Mme Suu Kyi n’ont jamais débouché sur des réformes.
La Birmanie, rebaptisée Myanmar, est entrée dans un nouveau cycle de vie et tous les repères ont changé. Se clamant «la conscience tranquille», Khin Nyunt dit se consacrer à la gestion d’une petite organisation caritative dans son bourg natal, à 50 km de Rangoon. Il vient, a-t-il dit au Bangkok Post, d’offrir mille robes de bonze à l’occasion du 75ème anniversaire de l’un de ses maîtres en religion. S’exerçant à réhabiliter son image de marque – ou à réécrire l’histoire, selon ses adversaires –, Khin Nyunt parle un peu et l’essentiel de l’énigme qui l’entoure subsiste.
Jean-Claude Pomonti