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Chronique de Thaïlande : la complainte de l’usager du métro

Les usages dans les métros de Paris et de Bangkok obéissent à des codes différents. Là-bas, chaos vivant; ici, ordre, calme et civilité.

Résident en Thaïlande, je rentre au pays, comme beaucoup de Français bangkokois d’adoption, une fois l’an pendant une brève période. Si possible vers la fin de l’été, pour échapper aux chaudes et généreuses pluies de la mousson sud-est asiatique et pour jouir des froides et non moins généreuses pluies parisiennes. Durant ces séjours furtifs, je m’adonne à trois plaisirs coupables : les librairies, les musées et le métro. Quel frisson en effet que de replonger pour quelques jours dans les boyaux de la ville-lumière et de se mêler au bon peuple de Paris ! J’y pousse le vice jusqu’à choisir les heures de pointe, dans ces moments où l’on peut sentir cette grande solidarité qui lie le peuple des droits de l’Homme, tous ces hommes et ces femmes, pressés les uns contre les autres, partageant un même idéal et suffoquant presque de ce trop-plein d’amour.

Chaque moment est à savourer. Un mendiant venant crier sa détresse sous votre nez, quémander, comme c’est bien son droit, quelques centimes d’euros pour sa pitance. Puis deux, puis trois mendiants. L’occasion pour vous de resserrer ces liens si importants de l’ensemble national. Le « vouloir vivre ensemble » de Renan exprimé en termes concrets, sonnants et trébuchants. Et ces couloirs, vastes emplacements livrés aux aspirations artistiques de notre belle jeunesse, qui, de graffitis en tags, exprime son mal de vivre, comme naguère Rimbaud griffonnait sur des fragments de feuillets. Et ces têtes plongées dans les Iphone, ces sympathiques coups d’épaule, cette naïve ruée surgie du quai dès que la porte s’ouvre à la station Saint-Lazare et qui bloque du coup ceux qui voulaient descendre. Ces rudes interjections qui vous sont parfois lancées, appuyées d’un regard expressif…

Autant vous dire que le retour à Bangkok est rude. Ici, la cohue est ordonnée, la discipline tacite mais suivie à la lettre. Avez-vous jamais vu des Parisiens faire la queue sur le quai de la station des Halles ? Et d’ailleurs, le métro de Bangkok est « aérien », il se prend pour quelqu’un le métro, il essaie de s’arracher de la tourbe comme le lotus jaillit de la vase d’un étang. Bon d’accord, à Paris nous avons aussi nos passages surélevés, mais passez par Barbès-Rochechouard et vous n’y trouverez rien de comparable au temple de l’Erawan.

Dans le « skytrain », les usagers sont aussi nombreux que dans le métro version RATP, mais à Bangkok, tous ces corps se frôlent, glissent les uns contre les autres, s’effleurant sans jamais se toucher, même aux heures de pointe. Et cette fadeur ! Chacun, ici, a soigné sa présentation, s’est parfumé juste ce qu’il faut, baisse pudiquement le regard. C’est un océan de ouate, une onctuosité qui imprègne l’ensemble du tableau, des usagers qui se massent mais ne se bousculent pas. Aucun regard déplacé ou égrillard, aucune remarque agressive. Où sont ces odeurs corporelles ? Ces coups d’épaule ? Ces aimables interférences ? En un mot, où est la vraie vie ?

Les seuls qui essaient d’injecter un peu d’énergie dans la scène sont ces farang de passage, ceux qui, n’ayant pas compris les règles, lancent des éclats de voix, tentent même de créer un mini-scandale. Mais personne ne relève. Aussitôt né, l’esclandre est amorti, comme un coup de poing qui s’étouffe dans un édredon. Rien ne s’est passé, l’oreiller reprend sa forme.

Bon, d’accord, le « skytrain » de Bangkok est encore tout jeune. Peut-être qu’il s’améliorera avec le temps, que les préposés à la sécurité laisseront les mendiants solliciter des fonds, que l’on pourra déguster des burgers dégoulinant de mayonnaise sur les sièges plastiques des voitures de Siemens. Et puis, malgré les différences, il y a finalement quelques similarités. On trouve bien, à Paris comme à Bangkok quelques dames vénérables et hargneuses qui viennent vous piquer le siège qui vous tendait les bras. Et, tout compte fait,  on voit aussi  dans le « skytrain » quelques têtes plongées dans les Iphone.

 

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Thaïlande

Tempête de critiques sur le 3G en Thaïlande

Le processus d’attribution des licences téléphoniques 3G aux opérateurs thaïlandais est fustigé pour n’avoir pas suffisamment stimulé la compétition parmi les candidats.

« Ce sont probablement les licences pour téléphones 3G les moins chères du monde ces quinze dernières années », estime Paiboon Amornpinyokeat, un expert des technologies de télécommunication cité par le quotidien thaïlandais Bangkok Post. Il fait allusion à l’attribution des fréquences 3G allouées le 16 octobre aux trois grands opérateurs thaïlandais Advanced Information Services (AIS), True et Dtac par la Commission nationale pour les télécommunications et la diffusion (NBTC) dans le cadre d’un appel d’offres. Ce sont les conditions de cet appel d’offres qui sont l’objet de nombreuses critiques. Neuf licences étaient en jeu. Le prix de départ des licences avait été fixé en dessous de leur valeur réelle. En conséquence, les trois opérateurs ne sont pas entrés en compétition, mais se sont répartis les licences à moindre prix.

Selon Somkiat Tangkitvanich, président de l’Institut thaïlandais de recherche pour le développement (TDRI), un centre de recherches sur l’économie respecté, la perte pour les contribuables se chiffre à 16,3 milliards de bahts (41 millions d’euros). Suriyasai Kasetsila, le leader du groupement politique Green Politics s’est exclamé : « C’est l’appel d’offres le plus ridicule que j’ai vu au monde. Six licences ont été données gratuitement et, pour les trois autres, il y a des offres rivales seulement pour créer l’apparence de la compétition ». Six des licences ont été acquises par les opérateurs au prix de départ de l’appel d’offres et les trois autres à un prix légèrement supérieur au prix de départ. Suriyasai Kasetsila dit envisager un recours devant le tribunal administratif ou la saisine de la Commission nationale anti-corruption. Quant à Somkiat du TDRI, il suggère que la limite maximale fixée à 49 % des parts pour les investisseurs étrangers dans les entreprises de télécommunications devrait être levée pour attirer les entreprises étrangères et stimuler la compétition.

 

 

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Chronique de Thaïlande : la complainte de l’automobiliste

A Bangkok, l’automobiliste règne sans partage, bien loin de la quasi-dictature exercée par les piétons et les cyclistes à Genève.

Lors d’un récent séjour à Genève, j’ai été forcé de constater le piètre statut que la cosmopolite cité calviniste octroie aux automobilistes. Un incident, en particulier, m’a chagriné. J’arrivais à Genève par la rue de Lausanne, une des longues artères genèvoises qui aboutit à la gare ferroviaire centrale. Arrivé à hauteur de la gare, j’étais en vue de mon hôtel, situé à 100 mètres du feu rouge, dans la poétiquement nommée rue Chantepoulet. Las ! Une pancarte m’intimait l’ordre de tourner à droite, m’obligeant à contourner le bloc. Mais c’était sans compter sur la diligence des autorités romandes : il me fallut pratiquement sortir de Genève, avant de pouvoir faire demi-tour et parvenir enfin, à bout de nerfs, à l’hôtel. Au milieu de la longue rue de Servette, bordée de deux pistes cyclables et dotée de deux voies pour le tramway urbain, j’avais failli commettre l’irréparable : opérer un demi-tour rageur à la thaïlandaise, coupant, au mépris de tous les principes de l’Etat de droit helvétique, les rails importuns. Mais, la raison a prévalu : les sourcilleux constables suisses n’auraient pas manqué de m’épingler. Et ensuite, l’amende, la prison, le déshonneur…

Imaginez la même situation à Bangkok. L’agent de police au mieux aurait détourné le regard, au pire demandé un ou deux billets pour fermer les yeux : une attitude qui contente toutes les parties. Plus tard, dans la froide soirée genèvoise, un ami me confiait autour d’un verre de Cahors son sentiment sur les autorités de sa ville : “ils veulent dégouter les automobilistes”. Genève est, de fait, une ville pour les piétons, les cyclistes et les usagers des transports collectifs. L’automobiliste y étouffe, cantonné à une seule voie, coincé par un nombre inconcevable de sens unique et d’interdictions de tourner, pertubé par un système cryptique de feux rouges. Passe encore qu’il faille s’arrêter aux passages cloutés pour laisser passer le piéton bien conscient de ses droits, sous peine que celui-ci vous foudroie d’un regard offensé. Mais la voiture a besoin d’espace, de passe-droits, d’une certaine liberté en somme.

Bangkok a bien compris cela. L’automobiliste y respire, il y est chez lui. Les piétons y sont remis à leur place. Ils se regroupent, forment une masse critique au bord des passages cloutés, implorent humblement le passage qu’ils ne conquièrent qu’au prix d’une longue patience. Ils crapahutent devant les voitures rugissantes comme des lapins pris dans des faisceaux de phares. Les trottoirs même leur sont réclamés : autos stationnées, vendeurs de brochettes et d’ananas, restaurants débordant sur les voies pédestres s’y affirment avec l’arrogance de ceux qui connaissent leurs droits. A l’embouchure de ma ruelle, il est presque impossible pour un humain de corpulence normale de progresser entre le gang de moto-taxis, les carrioles des colporteurs et le camion de livraison du Seven Eleven à moitié stationné sur le trottoir. La police et les officiers municipaux (thesakit) reçoivent des contributions de tous ces occupants. Le piéton, lui, ne paie rien. Et en plus, il voudrait qu’on lui laisse le passage !

Mais ne soyons pas excessifs : le modèle genevois n’a pas que des mauvais côtés ; Bangkok n’est pas toujours un paradis sur terre. Chacun peut apprendre de l’autre. L’envoi de constables hélvétiques pour se former dans la cité des anges et celui de policiers bangkokiens pour se recycler dans la capitale de Suisse romande devrait permettre de rendre l’une et l’autre plus vivable.

 

 

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Asie du sud-est : la croissance demeure substantielle

Le FMI a réduit d’un demi-point ses prévisions de croissance en Asie du sud-est : elle devrait être de 5,5% en 2012 et de 5,75% en 2013. Une performance honorable.

Selon le dernier rapport du Fonds monétaire international publié le 8 octobre et repris par le Nation (Bangkok), la croissance dans les cinq principaux pays de l’Asean (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Vietnam) devrait atteindre 5,75% en 2013, en très légère progression donc (5,5% en 2012). Si le Vietnam est freiné par une crise bancaire et politique depuis 2010, l’économie thaïlandaise s’est nettement remise de la catastrophe consécutive aux inondations de l’année précédente (un taux d’expansion de 5,6% en 2012, et sans doute de 6% en 2013).

Le taux de croissance de l’Asie du sud-est est supérieur à celui de l’économie mondiale, qui pourrait être, selon le FMI, de 3,3% en 2012 et de 3,6% en 2013. Mais les perspectives à moyen terme sont moins brillantes en raison d’un affaiblissement prévu de la demande extérieure et d’un tassement de la croissance en Chine (7,75% en 2012 et 8,25% en 2013) et en Inde (une fourchette de 5% à 6% en 2012-2013). «Une demande extérieure plus faible est le principal facteur d’une croissance légèrement plus faible des 5 de l’Asean», estime le FMI, à l’exception de la Thaïlande, où la croissance a rebondi.

En dehors de l’influence de facteurs extérieurs (la crise de la zone euro, les problèmes de fiscalité aux Etats-Unis),  l’un des risques pour l’Asie serait un «renversement» de la poussée récente des investissements en Chine. «Le résultat pourrait être, dans le futur, un ralentissement des investissements plus brutal que prévu [en Chine] ; un tel choc affecterait fortement les économies qui font partie d’un chaine de ravitaillement asiatique très imbriquée – par exemple, la Corée du sud, la Malaisie, Taïwan, la Thaïlande – et qui aurait des effets importants, indirectement, sur d’autres exportateurs majeurs, en particulier l’Allemagne et le Japon», note le FMI.

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Chronique de Thaïlande : petit manuel de la corruption (II)

De nombreuses techniques de corruption, plus ou moins sophistiquées, gangrènent le secteur public et le monde politique thaïlandais. Avec un impact désastreux sur la société.

Quand on l’accusait de corruption, Chatichai Choonhavan, Premier ministre de Thaïlande de 1988 à 1991, avait coutume de répondre : “Où sont les reçus ?”. Cette répartie effrontée lui a permis de contrer pendant son mandat les critiques montantes contre son gouvernement, lequel avait été surnommé le « buffet cabinet » (ou gouvernement self-service) tant sa réputation de corruption était notoire. Exiger des “reçus” revenait à demander au criminel de se livrer à la police, mais c’était une astuce de langage pour ne pas reconnaître ce qui sautait aux yeux de tous. Sous Chatichai, la possibilité pour le Premier ministre et les ministres de décider de l’octroi d’importants projets d’infrastructures (voies express, télécommunications) sans demander l’avis du Parlement a multiplié les opportunités et fortement augmenté l’étendue de la corruption. Mais les méthodes n’ont guère différé de celles employées par les bureaucrates thaïlandais : le bon vieux pot-de-vin dont le principe de base a été exposé, sous d’autres cieux, par Fernandel dans “Le Schpountz”. Un fonctionnaire octroie un contrat à un entrepreneur en lui demandant de gonfler les prix, à charge pour celui-ci de reverser une quote-part au dit fonctionnaire. D’autres variantes existent : des équipements de qualité inférieure et non conformes aux critères du contrat peuvent être délivrés par le contractant. Ainsi, en Thaïlande, un hôtel de la monnaie construit à grand frais s’est fissuré dès après l’achèvement des travaux, des écoles publiques ont été bâties avec des planches vermoulues et de multiples routes de campagnes sont retournées à l’état sauvage après le passage de quelques dizaines de poids lourds.

Il faudra attendre Thaksin Shinawatra, Premier ministre entre 2001 et 2006, pour arriver à des techniques plus sophistiquées. Déjà richissime lors de son accession au pouvoir, Thaksin a négligé les “pourcentages” et les dessous de table. C’est en profitant de sa position à la tête du pays pour influencer la politique économique du gouvernement qu’il parvint à favoriser son conglomérat de télécommunications Shin Corp. Aux petites combines, il a préféré la corruption stratégique. Par exemple, le niveau maximum autorisé de prise de participation des entreprises étrangères dans les entreprises de télécommunication passa soudainement au début de 2006 de 25 à 49 % quelques semaines avant la vente de Shin Corp à la firme singapourienne Temasek.

Dans leur étude sur la corruption, les économistes Pasuk Phongpaichit et Sungsidh Piriyarangsan (1) constatent que le département gouvernemental perçu comme le plus corrompu par les Thaïlandais est celui de la police. Force est de reconnaître que là où les politiciens font parfois preuve d’improvisation, les policiers ont progressivement mis en place un système solidement structuré de ponction directe sur les citoyens et de redistribution à l’ensemble des personnels du département. “A beaucoup d’égards, la police opère comme une entreprise de maximisation du profit”, notent les deux économistes.

Les officiers de police doivent acheter leur position au sein de la hiérarchie selon une grille précise de tarifs (un million de bahts pour un général, dix millions de bahts pour un poste de directeur-adjoint de la police…). Ces positions permettent, de fait, de pouvoir contrôler les flux de l’argent perçus directement – et illégalement – par les policiers de base sur les citoyens : des quelques billets glissés par un automobiliste dans la main d’un agent pour éviter une amende en bonne et due forme aux substantielles primes de protection remises aux commissariats locaux par les marchands d’or, les propriétaires de casinos clandestins et les tenanciers de massages sexuels, en passant par les dessous-de-table payés par des suspects arrêtés pour éviter de passer devant le tribunal. Des centaines de millions de bahts transitent ainsi tous les mois par le département de la police et remontent au sommet de la hiérarchie. Une fois qu’une partie des officiers supérieurs se sont servis, l’argent est redistribué à travers le département chacun recevant une portion proportionnée à son rang. Une partie de l’argent sert aussi à l’organisation de cérémonies dans les commissariats, à la réparation des locaux, à l’équipement des unités, voire à des oeuvres de charité – car le budget de la police est totalement inadéquat et les salaires très bas.

Certains observateurs tendent à adopter une vision bénigne de cette corruption : elle renforcerait la cohésion du corps policier et ne ferait que compenser l’insuffisance de leur budget. C’est là fermer les yeux devant l’impact désastreux de ces conduites sur la société : la corruption légitimise le crime, favorise l’inégalité et, tout simplement, freine le développement politique, économique et social du pays.

 Max Constant

(1) Corruption and Democracy in Thailand, Pasuk Phonpaichit et Sungsidh Piriyarangsan, The Political Economy Centre, Université de Chulalongkorn, 1994

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Chronique de Thaïlande : petit manuel de la corruption (I)

Présente à tous les niveaux du pays, la corruption est considérée comme bénigne par beaucoup. Mais les exposés dans la presse font quelquefois mouche.

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Thaïlande : Sondhi Limthongkul acquitté de lèse-majesté

La cour pénale de Bangkok a considéré le 26 septembre que le principal leader des Chemises jaunes pro-royalistes, Sondhi Limthongkul, n’a pas voulu insulter la famille royale en 2008.

En juillet 2008, le fondateur du groupe ultra-royaliste des Chemises jaunes, Sondhi Limthongkul, avait cité dans un discours devant une cinquantaine de personnes les propos prononcés plusieurs mois auparavant par Daranee Chancherngsilpakul, une militante du camp opposé – les Chemises rouges – pour inciter ses partisans à réclamer le jugement de celle-ci. Sondhi, patron de presse du groupe Manager, avait été pris à son propre piège en se voyant à son tour accusé de lèse-majesté. Une des dispositions ubuesques de la loi de lèse-majesté est en effet qu’il est illégal de répéter des propos susceptibles en premier lieu d’être considérés comme lèse-majesté. Dans ses propos initiaux, Daranee, surnommé “Da Torpedo” pour la vigueur de son éloquence, évoquait certains épisodes de l’histoire de la France et de la Russie.

Le 26 septembre, la cour pénale a blanchi Sondhi de ces accusations, considérant qu’il “n’avait pas l’intention d’insulter la monarchie”. Comme relevé par David Streckfuss, expert des lois de lèse-majesté, dans son livre “Truth on Trial”, la spécificité de cette loi en Thaïlande est que l’examen de l’intention de l’accusé est considéré comme primordial par les juges alors même que la véracité des propos incriminés est jugée non pertinente. Après son acquittement, Sondhi a indiqué qu’il avait été accusé par des “rivaux politiques” qui étaient entrés en collusion avec des “éléments du système judiciaire”. Les adversaires de la loi de lèse-majesté utilisent ce même argument de l’exploitation politique de la loi pour demander son abolition. Daranee, de son côté, a été condamnée à 18 ans de prison en 2008. Dans le cadre d’une autre affaire, liée à une fraude financière, Sondhi a été condamné en 2010 à 20 ans de prison. Il est en liberté sous caution durant la procédure d’appel.

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Chronique de Thaïlande : la loi du statut

Certains membres de l’élite thaïlandaise brandissent leur richesse, leur rang social et leur influence politique pour échapper aux conséquences de leurs méfaits.

Quand l’actrice Piya Pongkulapa a été arrêtée par un policier au volant de sa voiture à Bangkok le 11 septembre à deux heures du matin, elle lui a lancé : « Je suis une célébrité. Je connais des policiers en haut lieu ». Lorsque le constable a insisté pour lui faire passer un test d’alcoolémie, la starlette a déclaré qu’elle ne le ferait que quand elle serait sobre et s’est enfermée dans sa voiture pour avaler des litres d’eau.

Quand, le 3 septembre, Vorayud Yoovidhya, 27 ans, surnommé « Boss », héritier de l’empire économique Red Bull (quatrième fortune de Thaïlande), a renversé violemment un policier à moto à cinq heures du matin, dans le centre de Bangkok, il ne s’est pas arrêté, mais a poursuivi sa route sur 200 mètres avec le policier agonisant sur le capot. Puis, il est rentré chez lui, demandant à son personnel de refuser l’accès à quiconque, même aux policiers. Quelqu’un de sa famille a contacté un lieutenant-colonel de police de sa connaissance pour lui demander de faire retomber la responsabilité de l’accident sur le chauffeur de la famille ; l’officier en question a exécuté l’ordre sans discuter.

Quand l’actrice vedette Chermarn Boonyasak a été vivement critiquée en août dernier pour avoir fraudé le fisc – elle faisait faire ses déclarations au nom d’un homme de 77 ans pour être taxée selon un barème préférentiel -, elle a placé une photo d’elle et du fils d’un haut-fonctionnaire du ministère des finances sur sa page Facebook, avec la mention : «Ne nous cherchez pas des noises».

On pourrait multiplier les exemples. Tous témoignent d’un fait socio-culturel qui imprègne la société thaïlandaise et dont profitent à plein certaines « élites » : la puissance du système de patronage, la loi du « qui connait qui ». Quand un membre de ces cercles de la haute société est confronté à un problème grave, le réflexe est souvent de brandir son statut à la face du monde, sur l’air de «savez-vous à qui vous parlez ?».

Le fait que dans ces trois exemples, la réaction de la grande majorité de la population thaïlandaise a été l’indignation montre que ces comportements sont de moins en moins supportés ; l’intérêt des médias pour ces frasques des riches et des puissants joue un rôle crucial dans la prise de conscience du caractère odieux du système deux poids deux mesures dans une société qui se dit démocratique.

Le fonctionnement de l’appareil judiciaire n’est toutefois pas en phase avec cette évolution rapide de la société : les fils de nantis sont le plus souvent libérés sous caution quelle que soit la gravité de leur crime et, quand ils sont condamnés, ils s’en sortent régulièrement avec des peines qui semblent dérisoires par rapport aux méfaits. Ainsi, Orachorn Thephasadin na Ayutthaya, une jeune fille de très bonne famille, âgée de seize ans et roulant sans permis, avait, en 2010, jeté en contrebas de la voie express une camionnette, provoquant la mort de neuf personnes. Elle a été récemment condamnée à deux ans de prison avec sursis et à une interdiction de conduire jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 25 ans. Dès après le verdict, qui a provoqué la détresse des familles des victimes, la jeune fille a été envoyée par sa famille pour étudier à l’étranger. Une photo prise immédiatement après l’accident meurtrier avait provoqué la colère de nombreux Thaïlandais : elle la montrait en train d’envoyer des texto sur son téléphone portable avec une attitude apparemment nonchalante.

Les sans-grades, les sans-nom et les sans-fortune subissent eux le poids de la justice dans toute sa rigueur : pas de libération sous caution, pas de sursis, pas de « compréhension » de la part des juges. Cette mentalité de l’exception faite aux privilégiés se retrouve souvent au plus haut niveau du gouvernement. Le ministre thaïlandais des Affaires étrangères Surapong Tokvichakchaikul s’est ainsi vu réprimandé par l’Ombudsman pour avoir, en contradiction avec la réglementation du ministère, restitué son passeport à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, lequel s’était enfui du pays peu avant sa condamnation à deux ans de prison pour corruption en 2008. Le ministre a simplement rétorqué, sans aucun égard pour les arguments détaillés de l’Ombudsman, qu’il n’avait aucun tort mais qu’on essayait de le faire passer pour coupable. Or le système démocratique et la philosophie d’égalité qui le sous-tend ne sont validés que par leur application aux cas extrêmes, car cette idéologie est née, justement, d’une longue et rude lutte contre les inégalités : appliquer exclusivement les lois à l’encontre des plus faibles a toujours été l’apanage des sociétés à mentalité féodale. Mais la Thaïlande est loin d’être le seul pays de la région à faire preuve de favoritisme envers les privilégiés ; d’autres, comme le Cambodge, présente une situation bien plus consternante.