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Thaïlande : les taxis ne pourront plus refuser le client

Les taxis de Bangkok, jusqu’alors relativement libres sur le choix de leurs clients, sont, depuis le 1er septembre, passibles d’une amende s’ils disent non à une course.

Celui qui ne s’est jamais retrouvé coincé à Bangkok, aux heures de pointe, sous une pluie battante, attendant désespérément qu’un taxi daigne accepter de le conduire à un important rendez-vous, ne peut pas comprendre le sens de la nouvelle amende adoptée par la police de la capitale thaïlandaise. Jusqu’ici, les chauffeurs de taxis avaient l’art et la manière d’embarquer ou non le client lorsqu’ils se sentaient en position de force (pluie, heure tardive, destination isolée, état du trafic, voire réputation sur l’état du trafic de la destination).

Selon le Bangkok Post, depuis le 1er septembre, les mauvaises habitudes des taxis doivent changer avec l’instauration d’une pénalité pour les chauffeurs qui refuseront de prendre un passager. Les usagers mécontents n’auront plus à écrire pour se plaindre auprès du département des transports de la ville mais pourront se rendre directement au commissariat le plus proche, s’adresser à un policier sur place ou téléphoner au 1197 en indiquant le numéro d’immatriculation du véhicule ainsi que l’heure et l’endroit du litige. Si l’infraction est avérée, le taxi en question sera arrêté et soumis à une amende de 1000 bahts (25 euros) sur-le-champ.

Les taxis ne voient pas, on pouvait s’y attendre, cette mesure d’un bon œil. Président d’une association professionnelle, Udon Khanti, interrogé par le Nation, considère que l’amende est trop élevée et que les taxis devraient avoir le droit de refuser un passager, notamment si le chauffeur se sent menacé ou en possible danger. L’un de ses collègues, Weerapong Butkaew, explique quant à lui que lorsque le moment de ramener la voiture au garage approche, il ne peut accepter que des petites courses, afin d’éviter de payer une pénalité à la centrale des taxis.

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Analyse Politique Thaïlande

Chronique de Thaïlande : les snipers à la barre

Bien qu’énervés, les militaires de Thaïlande se voient obligés d’expliquer leur rôle dans la répression sanglante des manifestations d’avril-mai 2010 à Bangkok.

L’image est peut-être symbolique d’une évolution au sein de la société thaïlandaise quant aux devoirs et responsabilités des forces armées. Le 29 août, deux militaires, qui avaient joué le rôle de tireurs d’élite lors de la répression contre les manifestations des Chemises rouges en avril-mai 2010, sont arrivés, avec l’air penaud de garnements pris en faute, dans les locaux du Département des enquêtes spéciales (DSI) pour apporter leur témoignage dans le cadre de l’enquête sur les 91 personnes tuées pendant cette période. Un clip vidéo où on pouvait voir les deux hommes utiliser un M-16 pourvu d’une lunette de visée durant les manifestations avait été diffusé à maintes reprises les jours précédents. Le couple de snipers avait même eu l’honneur de faire la couverture du Matichon hebdomadaire.

Les obstacles à une véritable responsabilité citoyenne de l’armée thaïlandaise restent toutefois importants. Les propos du chef de l’armée de terre, le général Prayuth Chan-Ocha, après la comparution des tireurs d’élite en témoignent. Le général s’est dit « ennuyé » de cet intérêt subit des médias et de la population pour les faits et gestes des hommes en uniforme. Il a ajouté, dans ce qui pourrait presque ressembler à une menace : « Si les soldats avaient voulu blesser les gens, ils auraient fait feu de la ligne de front et beaucoup seraient morts ». Autrement dit : « Estimez-vous chanceux ! ». Je ne peux m’empêcher de comparer cette tirade aux propos qu’avaient tenus un jeune officier alors que je faisais mes classes dans un régiment près de Paris, lors du service national. Celui-ci avait dit : « Si on vous donnait l’ordre de tirer sur une foule de manifestants désarmés, j’espère qu’en votre âme et conscience vous décideriez de refuser d’obéir ». La France a fait du chemin depuis qu’un jeune Corse désoeuvré du nom de Bonaparte s’est fait un nom en ordonnant aux cannoniers, le 5 octobre 1795, de faire feu sur des manifestants armés de quelques fusils et réfugiés dans l’église Saint Roch.

Les derniers signes que l’on peut voir en Thaïlande sont encourageants : l’armée est mise au pied du mur, poussée à faire face à ses responsabilités. Le public n’avale plus les sempiternelles excuses du « devoir accompli » et de « la protection de la sécurité nationale ». Sans que l’on connaisse les raisons véritables, le Département des enquêtes spéciales mène une campagne acharnée pour faire la lumière sur le rôle des militaires lors des manifestations d’avril-mai 2010. Après les massacres d’octobre 1973, d’octobre 1976 et de mai 1992, les chefs militaires s’en étaient sortis à bon compte et avaient pu passer une retraite paisible en continuant d’occuper des sièges dans les Conseils d’administration de nombreuses grandes entreprises. Jamais une procédure judicaire n’avait été engagée à leur encontre. Cette fois-ci, la ténacité de quelques parents des victimes, comme Phayao Akkahad, la mère d’une aide-soignante tuée le 19 mai 2010, un contexte politique favorable et l’érosion lente de la peur entretenue par les militaires ont débouché sur des progrès notables. Les chefs de l’armée sont désormais obligés de se justifier, de se battre pied à pied pour préserver leur Etat dans l’Etat (contrôle des médias, impunité juridique) sans se rendre compte que celui-ci a déjà commencé à tomber en pièces. Le mythe selon lequel la sécurité nationale et la démocratie – donc la soumission de l’appareil militaire au pouvoir civil – sont incompatibles ne fonctionne plus.

Il faudra encore, toutefois, beaucoup d’efforts pour changer la mentalité des militaires – une mentalité inculquée dans les écoles militaires préparatoires où l’on imprime dans les esprits des jeunes cadets l’idée selon laquelle ils sont les « élus de la Nation » et qu’ils constituent le recours ultime pour « protéger la monarchie ». Pour l’anecdote, les deux snipers ont expliqué, durant leur témoignage au bureau du DSI, qu’ils n’avaient tué personne, car ils s’étaient limités à tirer des balles en caoutchouc.

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Société Thaïlande

La Thaïlande bat le record du monde de massages

641 masseuses thaïlandaises ont pratiqué leur art simultanément, battant le record du Guinness book.

C’est un court moment pour les masseuses thaïlandaises, mais c’est un grand pas pour le massage de l’humanité. 641 masseuses du royaume ont ouvert le 30 août la Medical Expo 2012, qui se tient à Bangkok, en battant le record de massage simultané détenu jusqu’à présent par l’Australie. Après le signal de départ donné par la première ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra, les petites mains se sont mises à palper, pressurer et masser pendant douze minutes, reléguant aux oubliettes le record établi précédemment en Australie pour le Guinness Book of World Record (263 masseuses pendant cinq minutes).

Les organisateurs de l’événement espéraient 800 masseuses, mais seulement 641 se sont présentées avec un compagnon ou une compagne en guise de client. L’art du massage traditionnel est pratiqué depuis plusieurs siècles en Thaïlande et s’appuie sur la connaissance des « méridiens nerveux » du corps humain. De très nombreux étrangers en apprennent les rudiments dans divers centres du pays, dont le plus célèbre est l’école de massage traditionnel de Wat Po, près du temple du même nom à Bangkok.

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Société Thaïlande

Un député de Thaïlande explique l’attraction pour les maris farang

Sunai Julphongsathorn, un député du parti Peua Thaï, déclenche une controverse en prononçant un discours sur l’intérêt de se marier avec un Occidental.

Son discours, le 19 août, devant une assemblée d’un millier de Chemises rouges (adversaires de l’establishment traditionnel) dans la province de Samut Prakarn, est au centre d’une de ces tempêtes qui soufflent de temps à autre sur l’internet, balayant les réseaux sociaux et faisant s’agiter frénétiquement les souris et crépiter les claviers. Sunai Julphongsathorn, député du parti gouvernemental Peua Thaï et président de la Commission parlementaire des Affaires étrangères, a créé la controverse en expliquant pourquoi, selon lui, les femmes pauvres des campagnes thaïlandaises se mariaient à des farangs (Occidentaux), indiquant notamment que « les gouvernements européens vous donnent tout gratuitement » (à travers le système d’assistance sociale) et « vous paient pour apprendre leur langue ».

Ces propos ont été repris par le site anglophone www.coconutsbangkok.com et apparemment tirés de leur contexte, ce qui a occasionné la polémique. Selon le site Bangkok Pundit, qui analyse dans le détail le discours du parlementaire, le principal argument de son intervention est de mettre en relief la faiblesse de la politique gouvernementale thaïlandaise en matière d’assistance sociale et, par comparaison, l’excellent système européen dans ce domaine. Toutefois, Sunai semble avoir quelque peu dérapé en indiquant qu’apprendre une langue européenne avec un mari farang était facile car on apprenait « dans une position couchée » et qu’on se réveillait (supposément après la leçon) « en étant enceinte », alors qu’apprendre en position assise est beaucoup plus difficile. Après l’avalanche de critiques, Sunai a dit qu’il n’avait jamais eu l’intention d’insulter les femmes thaïlandaises.

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Politique Thaïlande

Thaïlande : tensions entre le gouvernement et l’armée

Le transfert de trois généraux, occupant de hautes fonctions au ministère de la Défense, témoigne d’un bras de fer  autour du prochain remaniement de la direction des forces armées.

En surface, c’est un simple conflit entre le ministre de la Défense de la Thaïlande et un haut fonctionnaire du ministère à propos d’une nomination. Derrière, il s’agit de la question fondamentale du pouvoir politique des militaires, dans un pays où, sous couvert de « sécurité nationale », les hommes en uniforme s’arrogent des droits très étendus et sans commune mesure avec ceux dont ils jouissent sous un régime démocratique. Le général d’aviation Sukumpol Suwanatat, ministre de la Défense, a transféré le 27 août trois hauts responsables du ministère à des postes subalternes, après que l’un d’entre eux – le général Sathian Phoemthongin – se soit publiquement opposé au choix du ministre pour son remplacement. Non seulement ce général a sollicité par voie de presse la cheffe de gouvernement Yingluck Shinawatra pour qu’elle bloque le nominé du ministre pour le poste de secrétaire permanent du ministère (l’équivalent d’un secrétaire général en France) mais, parallèlement, il a aussi transmis une plainte écrite à deux conseillers privés du roi, les anciens premiers ministres (et ex-chefs de l’armée de terre) Prem Tinsulanonda et Surayudh Chulanont.

La question qui se pose est de savoir pour qui roule l’audacieux Sathian ? Selon le quotidien The Nation, le ministre Sukumpol est un homme-lige de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, lequel s’est exilé en 2008 quelques mois avant d’être condamné par la Cour suprême pour abus de pouvoir. Il lui aurait même rendu visite récemment pour recueillir ses instructions. Les ennemis les plus tenaces de Thaksin sont clairement identifiés : le chef de l’armée Prayuth Chan-Ocha et les leaders du parti Démocrate d’opposition. Peut-on dès lors en conclure que le général Prayuth soit derrière la rébellion de Sathian ? The Nation semble hésiter à franchir ce pas, alors même que Sathian a déclaré, en apprenant son transfert : « Les chefs des forces armées vont connaître le même sort que moi ». Le remaniement annuel de la direction  des forces armées, annoncé officiellement le 1er octobre prochain, est en train de se jouer. Sans que l’on puisse déchiffrer précisément les manœuvres des uns et des autres, il est clair que, cette année, un bras de fer se joue dans ce cadre entre le « clan Thaksin » et le général Prayuth, un des piliers au sein du camp des adversaires de l’ancien premier ministre déchu, renversé par un coup d’Etat en septembre 2006 et dont la sœur cadette, Yingluck, dirige actuellement le gouvernement.

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Cambodge Politique Thaïlande

Musulmans du Cambodge : RAS selon la diplomatie thaïlandaise

Le gouvernement thaïlandais tente d’atténuer les récents propos du chef de l’armée sur l’implication de Cambodgiens musulmans dans l’insurrection séparatiste dans le Sud de la Thaïlande.

C’était une de ces déclarations maladroites dont le bouillant général Prayuth Chan-Ocha, chef de l’armée de terre de Thaïlande, est coutumier. Il avait déclaré, le 21 août, qu’il pensait que des Cambodgiens musulmans étaient impliqués dans l’insurrection séparatiste qui secoue le Sud à majorité musulmane de la Thaïlande. La preuve avancée par l’officier était plutôt légère : « Nous savons que tous les Cambodgiens qui arrivent en Thaïlande ne rentrent pas au Cambodge ». Le ministère des Affaires étrangères du Cambodge avait réagi rapidement en protestant contre ces propos. Et le chef de la diplomatie thaïlandaise, Surapong Tovichakchaikul a, comme souvent, été obligé de recoller les morceaux, en niant que le gouvernement de Bangkok soupçonnait les voyageurs cambodgiens musulmans de participation à l’insurrection. Pour la plupart, a-t-il dit, ceux-ci traversent la Thaïlande et passent la frontière sud du pays pour se rendre en Malaisie, soit pour y travailler, soit pour visiter des parents qui y travaillent.

Du simple bon sens, mais qui a échappé au plus brillant des militaires de Thaïlande. Les accusations d’implication de musulmans étrangers dans l’insurrection séparatiste ne sont pas nouvelles. Les Chams du Cambodge et les Atjehnais d’Indonésie ont longtemps étaient des cibles favorites. Après la résurgence de l’insurrection en 2004, le général Kitti Rattanachaya, un ancien commandant de la 4ème armée en charge du Sud, faisait aussi les gros titres de la presse par ses déclarations sur les liens entre la Jemaah Islamiya (le réseau terroriste basé en Indonésie) et les insurgés Malais musulmans du Sud. La plupart des analystes du conflit insistent néanmoins sur le caractère très peu internationalisé de la rébellion.

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Politique Thaïlande

Thaïlande: 10 000 rebelles dans le Sud musulman, selon l’armée

L’armée thaïlandaise a publié un manuel en deux volumes où elle explique la structure et les objectifs du mouvement séparatiste qui a refait surface en 2004 dans le Sud à majorité musulmane.

Le titre – « Ordre de bataille » – pourrait annoncer un film d’action à grand spectacle avec des vedettes hollywoodiennes, mais il s’agit plus prosaïquement d’un manuel en deux volumes publié par l’armée thaïlandaise, qui décrit sur 500 pages l’organisation de l’insurrection séparatiste. Selon la journaliste du Bangkok Post spécialisée dans les affaires militaires, Wassana Nanuam, le deuxième volume est le plus frappant : il dresse une liste de quelque 10.000 membres de l’insurrection, allant des politiciens de niveau national aux simples villageois en passant par les chefs d’écoles religieuses locales. Sur ce total, 866 personnes citées sont l’objet de mandats d’arrêt. Le réseau insurrectionnel serait coordonné par un conseil central de 20 personnes, appelé le Dewan Pimpinan, dont le secrétaire-général est, selon le manuel, Sapae-ing Basor, un ancien directeur d’école coranique recherché par les autorités.

Le premier volume décrit l’organisation du réseau insurrectionnel en brossant d’abord un tableau de la rébellion séparatiste avant janvier 2004 et de son évolution après. Une source militaire citée par Wassana Nanuam indique que plusieurs factions séparatistes sont en concurrence au sein de cette nébuleuse. L’insurrection séparatiste avait connu une résurgence en janvier 2004 après un audacieux raid organisé par une nouvelle génération de rebelles sur un camp militaire dans la province de Narathiwat. Depuis, les violences ont causé la mort d’environ 5.200 personnes. Les informations publiées par l’armée dans ce manuel sont à prendre avec certaines précautions. En 2010, l’armée avait publié, au plus fort des tensions entre le gouvernement et les Chemises rouges (adversaires de l’establishment traditionnel), le schéma d’un « réseau anti-monarchiste » – schéma qui s’était révélé par la suite largement fantaisiste.

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Analyse Thaïlande

Chronique de Thaïlande : un bouddhisme prêt à la consommation

Un mouvement bouddhique thaïlandais, qui revendique 100.000 fidèles, séduit les classes moyennes urbaines et transforme le bouddhisme pratiqué dans le pays.

Le temple bouddhique Dhammakaya, situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Bangkok, dans la province de Pathum Thani, est revenu récemment sous les feux de la rampe et dans les colonnes des journaux, en diffusant sur sa chaîne cablée et sur son site internet (www.dmc.tv) une bizarre série de sermons sur le thème « Où est Steve Jobs ? ». Comme le souligne Sanitsuda Ekkachai, dans le quotidien Bangkok Post, si cette ahurissante présentation – où l’on apprend que le fondateur d’Apple décédé l’an dernier est aujourd’hui un Thepphabhut Phumadeva (une divinité) de rang moyen, qui habite un immeuble de six étages fait d’argent et de cristal – venait d’un groupement marginal, on pourrait en rire et l’oublier. Mais la plaisanterie, ici, éprouve du mal à passer, quand on sait que le temple Dhammakaya est le mouvement bouddhique le plus riche et le plus influent du pays à l’heure actuelle. Dans son éditorial du 23 août, Sanitsuda Ekkachai, auteure d’un livre sur le bouddhisme thaïlandais, affirme que le mouvement Dhammakaya est sur le point de « prendre le contrôle du clergé bouddhique » de Thaïlande.

Cette mise en garde est peut-être un peu alarmiste, mais il est néanmoins sûr que le temple Dhammakaya, sérieusement ébranlé à la fin des années 1990 par des accusations de spoliation de terres et de distorsion des enseignements du Bouddha, a considérablement renforcé sa position. Le prince héritier de Thaïlande Vajiralongkorn n’a jamais hésité à s’afficher avec les leaders du mouvement. Le temple aurait aussi d’excellents contacts avec l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, exilé depuis 2008. Il s’est rangé du côté des Chemises rouges (adversaires de l’establishment traditionnel) dans la lutte actuelle pour déterminer l’orientation politique du royaume.

Il peut être utile de rappeler quelques données sur l’origine du temple Dhammakaya et sur son histoire pour replacer sa position de force actuelle dans un continuum. Le temple a été fondé en 1969 par une nonne et quelques étudiants qui étaient des disciples du célèbre bonze thaïlandais Phra Mongkol Thep Muni (ou Luang Po Sout) dont on peut voir le portrait dans de très nombreux magasins de Bangkok. Luang Po Sout, décédé en 1959, avait redécouvert une ancienne méthode de méditation, parmi les nombreuses existantes, qui consiste à visualiser une boule de cristal, ou parfois un bouddha de cristal, se déplaçant à l’intérieur de son corps. C’est la méthode Dhammakaya ( » le corps méthaphorique du Bouddha  » ou « la collection des qualités du Bouddha », selon des historiens du bouddhisme), qui s’inspire de l’école bouddhique Mahayana et non du bouddhisme ancien Theravada, lequel est suivi par une majorité des Thaïlandais.

Relativement facile à mettre en œuvre, cette technique de méditation permet d’aboutir avec un entrainement sérieux à un état d’extase que les bonzes du temple disent être un premier pas vers le nirvana (ou nibhan en pali). Cette concrétisation du nirvana, qui est un état de non-existence selon le canon bouddhique, semble différer considérablement avec les enseignements du bouddhisme ancien. « Ils ont complétement dérivé par rapport à l’enseignement de Luang Po Sout. Maintenant, ils font dans la psychologie de masse », notait en 1995 l’universitaire Chatsumarn Kabilsingh, devenue depuis la première moine-femme de Thaïlande.

Quoiqu’il en soit, le temple Dhammakaya a très bien su remodeler le bouddhisme siamois pour créer une formule attractive pour les classes moyennes urbaines, notamment celles de Bangkok. Le haut niveau d’études des bonzes (80 % ont une licence), les équipements du temple – du parking géant souterrain aux supermarchés pour acheter les offrandes – et la gestion ordonnée des lieux (pas de chiens pouilleux ici) séduisent les familles bangkokiennes. Elles viennent, habillées de blanc, méditer le dimanche matin, avant leur sortie de l’après-midi. Surtout, le temple Dhammakaya insiste beaucoup sur les bénéfices matériels et psychologiques immédiats que l’on peut retirer de la méditation, laquelle n’est considérée dans le bouddhisme Theravada que comme un moyen pour accéder progressivement à la sagesse. Pour couronner le tout, des techniques agressives de marketing poussent les fidèles à effectuer d’importantes donations pour garantir leur karma. « Dhammakaya dit à la classe moyenne influencée par la globalisation qu’elle peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Le temple transforme le bouddhisme pour le rendre compatible avec le capitalisme et le consumérisme », expliquait en 1999 l’universitaire Suwanna Satha-Anand au New York Times.

De fait, les transformations apportées par Dhammakaya, qui est implanté dans une douzaine de pays dont les Etats-Unis et envisage de devenir « le centre mondial du bouddhisme », sont profondes. Elles pourraient même constituer les prémisses d’un nouveau mouvement bouddhique, à connotation matérialiste et missionnaire, comme cela a été le cas après les grandes scissions de l’histoire. Le Conseil des anciens, l’autorité ultime du bouddhisme thaïlandais, semble en tous les cas très hésitant à tancer le mouvement Dhammakaya sur les manquements à la discipline et les fautes. Les déclarations de Phra Dhammachayo, l’abbé de Dhammakaya, affirmant être la « tête de Bouddha » et posséder des pouvoirs surnaturels sont, par exemple, une des cinq infractions graves justifiant l’exclusion de la communauté monastique.