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Histoire Politique Thaïlande

La Thaïlande en révolutionnaire nostalgique

Les Thaïlandais ont commémoré le 24 juin le 80e anniversaire du renversement de la monarchie absolue avec des conférences et un rassemblement.

«Après 80 ans, toujours pas de démocratie». Cette inscription sur la pancarte qui surplombe l’estrade centrale des Chemises rouges face au monument de la démocratie résume l’humeur du rassemblement du 24 juin. Plusieurs dizaines de milliers de ces partisans d’une réforme sociale et politique radicale ont occupé l’avenue Rajdamnoen Klang, dans le quartier historique de Bangkok, sur toute sa longueur, avec leur habituel cortège d’échoppes de souvenirs. Comme toujours la mobilisation est impressionnante, organisée par districts et s’appuyant sur le réseau des radios locales rouges. Red Pattaya, Buriram 555, Chiang Mai 51… on se retrouve et on se salue l’un l’autre, c’est une grande famille qui se réunit.

Bandana rouge autour de la tête, collier d’amulettes bouddhiques pendant au cou, Samart Thiwongchai, un commerçant de Bangkok âgé de 50 ans, établit un rapport direct entre l’anniversaire du coup d’Etat des Promoteurs, il y a huit décennies, et le mouvement des Chemises rouges. «Nous avons les élections, mais nous n’avons pas une administration démocratique, car nous sommes soumis au pouvoir de l’ombre», dit-il sur un ton courroucé. Sur une estrade près de là, une femme qui a pris le micro s’épanche : «Ce n’est pas juste que certains gagnent cinq millions de bahts par mois et que d’autres n’aient rien à manger. Ce que nous demandons, c’est juste l’égalité».

Parallèlement, une conférence se tient dans un auditorium de l’université Thammasat toute proche sur le thème : «100 ans après la révolte de 1912 – 80 ans après la révolution de 1932». En 1912, une première tentative de renversement de la monarchie absolue par des roturiers avait été éventée par le roi Rama VI. Les présentations et l’ambiance lors de la conférence attestent de manière frappante que les choses changent très rapidement en Thaïlande. Lorsque l’image du roi actuel Bhumibol Adulyadej apparaît sur l’écran, des exclamations de dépit et des gloussements ironiques fusent de l’assistance composée en grande majorité de Chemises rouges. C’est la présentation de Pavin Chachavalpongpun, intitulée «Une monarchie dure à cuire», qui, de loin, attire le plus d’applaudissements. Pavin Chachavalpongpun, un politologue enseignant à l’université de Kyoto, au Japon, a reçu récemment des menaces le mettant en garde s’il persistait à demander une réforme de la loi contre le crime de lèse-majesté.

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Analyse Société Thaïlande

Chronique siamoise : un bouddhisme en petite forme

Des bonzes occidentaux apportent une nouvelle jeunesse à un bouddhisme thaïlandais en voie d’essoufflement.

Dans ce monastère établi sur 50 hectares de forêt dans la province d’Ubon Ratchathani, dans le nord-est de la Thaïlande, les règles sont strictes : pas d’appareils photos, pas de téléphones portables, pas d’animaux domestiques en liberté. Les femmes doivent être habillées en blanc et se tenir à «deux bras de distance» des bonzes quand elles leur parlent. Toute une partie du monastère est interdite d’accès à ceux qui n’ont pas été ordonnés bonzes, y compris aux novices, c’est-à-dire ceux qui sont en phase d’apprentissage avant d’endosser le froc.

Autour du bot, la chapelle du monastère, des femmes et des hommes vêtus de blanc, méditent les yeux fermés, assis en tailleur. D’autres s’exercent à la «méditation en marchant» allant et venant lentement le long du sala, la salle où se tiennent les cérémonies. Dans la forêt où les kutis (cabanes) des bonzes sont disséminés, des moines marchent en long et en large, eux aussi méditant.

L’un d’eux astique une magnifique statue de Bouddha marchant en bronze. L’endroit respire la discipline et la sérénité. Tout est empreint de silence. On n’entend guère que le crissement des ailes des insectes, des hululements de chouette ou parfois des écureuils qui crapahutent de branche en branche. Un monastère bouddhique selon la tradition, tel qu’on l’imagine.

C’est le Temple international de la forêt (en thaï : Wat Pah Nanachat), établi en 1974 par un bonze de la tradition de la forêt, Ajahn Cha, et un de ses disciples d’origine américaine, Ajahn Sumedho. N’y résident que des bonzes occidentaux qui ont suivi dix-huit mois d’apprentissage avant de pouvoir être ordonnés, et, quelquefois, un bonze sri-lankais ou laotien de passage.

Cet endroit peut être comparé à de nombreuses pagodes de Bangkok ou de province. Des pagodes transformées en parking, où des vendeurs de brochettes côtoient des pick-up pétaradants, où les marchands du temple ont élu domicile, et qui vantent leurs mérites – un abbé aux capacités de guérison hors du commun, un temple qui fabrique des poignards ensorcelés, un autre dont les amulettes sont parées d’innombrables vertus… – sur des panneaux publicitaires criards plantés le long des routes.

Des pagodes envahies par la confusion bruyante du monde extérieur, rongées par le commercialisme. Bien sûr, il existe des temples thaïlandais où la discipline reste stricte et qui essaient de préserver une certaine pureté, mais force est de constater qu’ils sont bien rares. Comment expliquer que ce sont des Occidentaux qui parviennent le mieux à perpétuer l’idéal originel du Bouddha, à cheminer sans trop s’écarter de l’étroite voie du juste milieu ?

Peut-être, parce que justement, leur engagement dans cette religion d’apparence exotique est un choix, une décision mûrie de s’arracher à leur environnement culturel pour s’immerger dans une autre tradition. Les hommes thaïs, eux, deviennent presque tous bonzes au seuil de leur vie adulte, pour quelques jours, quelques semaines ou quelques mois. Rien de spécial à cela. C’est souvent seulement un rite de passage. Très peu resteront durablement dans les ordres.

Les statistiques l’attestent : entre 2000 et 2010, le nombre d’hommes thaïlandais qui sont devenus bonzes a chuté de 70 %. La contamination de la vie religieuse par la cacophonie profane a érodé le prestige et l’attrait de la pagode bouddhique. La liste des moines thaïs de grand renom est longue – Phra Buddhadasa, Phra Payutto, Ajahn Man, Ajahn Cha, Ajahn Panya…-, mais presque tous sont nés avant la seconde guerre mondiale. Ce qui constitue les fondements de la moralité des Thaïs de confession bouddhiste (95 % de la population) s’évapore lentement devant les assauts des nouvelles formes de consumérisme, du matérialisme à tout va, de la quête du prestige et de la richesse. L’essentiel de l’activité des bonzes est orienté vers une sorte d’échange social : cérémonies de bénédiction contre offrandes, parrainage religieux contre soutien financier. On entend parfois des bonzes lors de cérémonies annoncer par haut-parleur les sommes offertes et le nom des donateurs, comme s’il s’agissait d’une vente aux enchères.

Il ne serait pas si ironique que cela que le cœur de l’enseignement du bouddhisme theravada soit entretenu dans des monastères occupés par des moines étrangers. Après tout, le bouddhisme a presque totalement disparu de son pays d’origine, l’Inde, et n’a dû sa survie qu’à son développement dans des pays où il s’est implanté ultérieurement : Tibet, Chine, Japon, Corée, pays d’Asie du Sud-Est. Et les forces nouvelles du catholicisme se situent bien plus dans les pays en voie de développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud que parmi les vieilles nations où il a fleuri des siècles durant.

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Histoire Politique Thaïlande

Thaïlande : le coup d’Etat de 1932 sous les feux de l’actualité

Le contexte politique thaïlandais donne au 80ème anniversaire du renversement de la monarchie absolue le 24 juin 1932 un relief exceptionnel.

Habituellement, l’anniversaire du coup d’Etat des Promoteurs, ces jeunes civils et militaires qui ont mis à bas, sans violences, la monarchie absolue dans la matinée du 24 juin 1932, est à peine commémoré, comme s’il s’agissait d’un reliquat d’une maladie honteuse. Cette année, les choses sont différentes, en grande partie à cause des fortes tensions politiques entre partisans de l’establishment traditionnel et tenants d’une réforme sociale et politique. Les Chemises rouges, qui appartiennent au second groupe, organisent le 24 juin un rassemblement autour du monument de la Démocratie, lequel a été construit en 1939 pour symboliser la souveraineté de la Constitution. Le 15 juin, des étudiants déguisés en uniformes des années trente se sont rassemblés face au quartier général des forces armées, sur l’avenue Rajdamoen Nok à Bangkok, pour exprimer leur opposition aux coups d’Etat. Le 24 juin, un colloque se tient toute la journée à l’université Thammasat sur la thématique du 80ème anniversaire du renversement de la monarchie absolue.

Selon l’historien Suthachai Yimprasert, cité par le Nation, le regain d’intérêt pour la signification du 24 juin, dont les acteurs clés ont été Pridi Banomyong, Plaek Phibunsongkhram et Phraya Phahon Pholpayuhasena (tous futurs premiers ministres), a été provoqué par le coup d’Etat du 19 septembre 2006, lequel a renversé le gouvernement de Thaksin Shinawatra. «Après le coup, les gens ont estimé que la Démocratie était en état de siège. Ils ont recherché la signification et l’origine de la Démocratie en Thaïlande», dit-il. Durant les manifestations des Chemises rouges en 2009 et 2010, la figure de Pridi Banomyong, le principal civil du groupe de Promoteurs, est très peu apparue ; c’est plutôt le roi Taksin (renversé en 1782 par le général putschiste Chakri qui deviendra ensuite le roi Rama I et instaurera la dynastie actuelle) qui a été à l’honneur. Certains analystes mettent en garde contre une monopolisation du 24 juin 1932 par les Chemises rouges. «Les autres groupes doivent aussi avoir le droit d’invoquer le 24 juin», estime le politologue Trakoon Mechai.

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Analyse Société Thaïlande

Chronique siamoise : le poids terrible de l’index accusateur

Un chiffonnier, suspecté d’avoir lancé du produit désinfectant au visage de plusieurs personnes, a été présenté par la police à la presse selon un rituel bien rodé.

C’est une scène dont raffolent les médias et la police thaïlandaise, une scène soigneusement mise au point comme le serait un rituel religieux ou une audience au tribunal. Le «suspect» est assis au milieu derrière la table, entouré de ses victimes, avec dans le dos une haie serrée d’officiers de police, tous faisant face aux flashes des photographes. Lui, c’est Rachan Theerakitnukul, 49 ans, un chiffonnier, un saleng, qui ramasse les vieux journaux et les bouts de ferraille – la lie de la société thaïlandaise. De quoi est-il accusé ? D’avoir vaporisé le visage d’une trentaine de personnes, dont, soulignent avec horreur les médias du Pays du sourire, une étrangère, avec un produit désinfectant pour les toilettes. Ce petit fait de société qui laisserait indifférent ailleurs a, ici, passionné une bonne partie des médias, lesquels durant une dizaine de jours ont tenu leur lectorat en haleine avec le récit de l’enquête policière pour retrouver le «lanceur d’acide», devenu une sorte de Jack the Ripper tropical.

Parmi la multitude des détails sur la façon dont ce Landru embusquait ses victimes, quelques lignes sur ses motivations telles qu’il les explique : «la discrimination sociale», «les insultes par des gens de la société». «Cela m’a mis à bout», dit-il le regard plein de repentance. Comme les amulettes bouddhiques qui n’acquièrent leur pouvoir qu’une fois investies par une cérémonie appropriée, cette scène ne peut prendre vie que si un rituel particulier est suivi, celui du «doigt accusateur» (ji niou). En Thaïlande, pointer quelqu’un du doigt est une grave insulte, désigner de l’index une statue de Bouddha peut vous jeter dans des ennuis sérieux. «Pointer avec un doigt quel qu’il soit (…) est approprié strictement pour les objets non humains. Seuls les plus bas et les plus méprisables des hommes le souffriront, et seuls les plus puissants et les plus arrogants l’infligeront», écrit Mont Redmond (1). Rachan le ferrailleur, déjà au plus bas de l’échelle, est enfoncé plus bas encore par la honte de ses méfaits. Les victimes thaïlandaises obtiennent une petite revanche contre le sérieux désagrément infligé (certaines ont eu la peau abîmée, les dommages aux yeux auraient pu être sérieux) en pointant ce terrible doigt accusateur. Elles disent à la victime étrangère d’assouvir aussi sa vengeance, de tendre l’index, mais celle-ci ne comprend pas le rituel. Farang phut yak ! (ils n’y comprennent rien, ces Farangs). «Pour la caméra», insistent les Thaïlandais. Alors hésitante, l’air désarçonnée, l’Européenne pointe le doigt, à droite, à gauche, devant elle vers les ustensiles du chiffonnier… Tout cela manque un peu de conviction.

Le suspect, lui aussi, peut pointer le doigt, mais uniquement vers des objets ou des lieux, lors de la «reconstitution», deuxième acte indispensable de ce théâtre médiatico-policier : le panneau «Lat Prao Soi 26», la passerelle où il attendait ses innocentes victimes… Les objets, les lieux, ne s’offusquent pas, ils n’ont pas de face, ils sont devenus les complices du misérable. Les mains jointes dans un wai permanent, Rachan répond, docile et contrit, aux questions qui fusent des reporters, lesquels semblent se repaître de son désarroi comme des loups devant une brebis galeuse. Rachan réalise la folie de son geste, de cette rébellion insensée contre la violence structurelle qui impose aux pou noï (petites gens) ne de pas tenter de sortir la tête de l’eau. Des images passent dans sa tête : les conducteurs de limousines qui le klaxonnent avec véhémence quand sa charrette à pédales freine la circulation, les mots blessants lancés par ceux à qui il demande s’ils ont des cartons ou des objets usagers à lui donner… Sur la chaîne de télévision TNN, des présentatrices commentent l’affaire : «il faut reconnaître que la vie est parfois dure pour ces gens-là. Mais tout de même, ce n’est pas une raison pour causer des ennuis aux autres». Et c’est vrai, les attaques dont il est accusé sont des méfaits sérieux. S’il est condamné, il est d’ailleurs passible de quatre ans de prison. En Thaïlande, il est permis de pointer du doigt des êtres humains, mais dans une direction seulement, de haut en bas.

(1) Wondering into Thai Culture, Mont Redmond, Redmondian Insight Enterprises, Bangkok, 1998

 

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Politique Thaïlande

Thaïlande : un universitaire menacé pour ses positions sur le crime de lèse-majesté

Pavin Chachavalpongpun, un politologue thaïlandais enseignant au Japon, a été menacé d’agression physique s’il parle publiquement sur la monarchie en Thaïlande.

Ancien diplomate et actuellement professeur en sciences politiques à l’université de Kyoto, Pavin Chachavalpongpun considère la menace reçue comme sérieuse. Un interlocuteur mystérieux l’a insulté et l’a menacé d’agression physique à deux reprises par téléphone le 14 juin si l’universitaire persistait dans son intention de donner deux conférences en Thaïlande sur la question de la réforme de l’article 112 du code pénal, lequel punit le crime de lèse-majesté. Répondant de Kyoto aux questions d’Asie-Info au lendemain de l’incident, Pavin a estimé que la «menace d’attaque physique pouvait devenir réelle», rappelant qu’un autre universitaire, le juriste Worachet Pakeerut, avait été attaqué en mars dernier par deux individus dans l’enceinte de l’université Thammasat, à Bangkok.

Pavin a dit ne pas vouloir pointer le doigt vers qui que ce soit, tout en ajoutant qu’il ne serait «pas étonné si des ‘autorités’ étaient derrière la menace». Le politologue a pris depuis plusieurs mois la tête d’une campagne pour amender l’article 112 qui punit d’une peine de trois à quinze ans de prison toute personne insultant le roi, la reine ou le prince héritier. Il avait notamment milité activement pour promouvoir la cause d’Amphon Tangnoppakul, un retraité condamné à 20 ans de prison pour avoir envoyé quatre texto insultant la reine – des allégations qui n’avaient pas été prouvées clairement lors du procès. Amphon, surnommé par les médias «oncle SMS», est décédé d’un cancer en prison le 9 mai dernier.

Pavin a indiqué qu’il se rendrait en Thaïlande malgré les menaces et donnerait bien deux conférences sur l’article 112, l’une à l’université d’Ubon Ratchathani le 22 juin et la seconde à l’université Thammasat le 24 juin. Il a considéré que plus les ultra-royalistes «utilisaient ce genre de méthodes, plus ils endommageaient la monarchie», car cela «montre qu’ils ne veulent pas nous parler en utilisant la raison, mais qu’ils veulent créer une atmosphère de peur». Pour lui, ces incidents «posent la question de savoir si la liberté universitaire existe encore en Thaïlande».

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Asie Thaïlande

Visées américaines sur l’aéroport thaïlandais d’U-Tapao

La demande américaine d’utiliser l’aéroport militaire d’U-Tapao pour deux projets suscite le mécontentement de l’opposition et de l’armée en Thaïlande.

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Thaïlande

Sondage : les jeunes Thaïlandais aiment la corruption et les militaires

Selon un sondage de l’institut Abac, plus des deux-tiers des jeunes Thaïlandais interrogés considèrent la corruption comme acceptable si celle-ci leur profite personnellement.

Les sondeurs considèrent qu’il s’agit d’une «tendance inquiétante». Selon une enquête d’opinion de l’institut Abac (lié à l’université économique Assumption de Bangkok), 68 % des Thaïlandais âgés entre 20 et 29 ans disent qu’ils accepteraient volontiers un gouvernement corrompu s’ils en retirent des bénéfices.

Cette tendance ne fait que confirmer plusieurs sondages effectués au cours des cinq dernières années. Au sein de la population adulte, la proportion de ceux qui plébiscitent la corruption est légèrement plus faible : 63 %. Les femmes (62,5 %) sont moins enthousiasmées par les pots-de-vin et la prévarication que les hommes (66 %). La corruption est un problème de longue date en Thaïlande et concerne particulièrement les ministères du transport et des télécommunications, de l’énergie et de l’intérieur.

Selon les confidences d’un vice-président d’une grande entreprise publique à Asie-Info, les décisions du conseil d’administration des sociétés publiques ne sont pas prises en fonction d’une «logique stratégique», mais de la répartition des prébendes. Une étude avait montré en 2011 que 80 % des hommes d’affaires du secteur privé avaient déjà payé des dessous-de-table durant leur carrière.

En juin 2011, le président de la Chambre thaïlandaise de commerce, Dusit Nontanakorn, avait formé une «coalition anti-corruption» afin de mobiliser les entrepreneurs du secteur privé contre ce cancer qui ronge le pays de l’intérieur. M. Dusit était décédé quelque mois après le lancement de la campagne, et personne n’avait repris le flambeau.

Le sondage d’Abac s’est aussi intéressé aux sentiments des Thaïlandais vis-à-vis des militaires. 68 % des personnes interrogées ont dit être satisfaites du rôle des militaires, mais 71 % ont affirmé ne pas vouloir d’un nouveau coup d’Etat.

L’image de l’armée thaïlandaise avait été écornée après que celle-ci eut réprimé dans le sang les manifestations anti-gouvernementales d’avril-mai 2010, mais elle a été quelque peu réhabilitée après que les militaires se sont montrés très actifs dans l’assistance aux victimes des inondations de l’an dernier. Le sondage a été effectué du 1er au 9 juin auprès de 2.142 personnes de plus de 18 ans réparties dans douze provinces de Thaïlande.

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Politique Thaïlande

La loi de lèse-majesté scrutée à la loupe en Thaïlande

Un symposium organisé le 7 juin à Bangkok a permis à des universitaires, des militants des droits de l’Homme et des journalistes de discuter publiquement de cette loi controversée.

Intitulé «Rhétorique et dissidence», ce symposium, organisé par la journaliste indépendante Lisa Gardner, a réuni des universitaires de renommée internationale comme le politologue irlandais Benedict Anderson et l’écrivain thaïlandais Sulak Sivaraksa, ainsi que des journalistes, comme Pravit Rojanapreuk, du quotidien thaïlandais The Nation et Andrew McGregor Marshall, un ancien reporter de l’agence Reuters, qui a démissionné de son travail pour pouvoir publier les télégrammes diplomatiques américains obtenus par Wikileaks concernant la monarchie thaïlandaise. Pravit Rojanapreuk, qui a fait l’objet récemment d’accusation de crimes de lèse-majesté pour plusieurs articles publiés sur le site internet indépendant Prachatai, a évoqué l’aspect culturel et quasi-religieux de la dévotion de nombreux thaïlandais vis-à-vis de l’institution monarchique. «Il semble y avoir, parmi les Thaïlandais royalistes et ultra-royalistes, un besoin psychologique d’avoir une institution monarchique jouant le rôle de succédané de religion monothéiste. Un besoin d’avoir quelque chose de sacré, au-delà de toute critique, en opposition aux politiciens sales, maléfiques et corrompus», a fait remarquer le journaliste, connu pour ses positions courageuses sur la question du crime de lèse-majesté. Il a également relevé l’ironie selon laquelle cette «réputation malsaine» des politiciens ne pouvait être connue que grâce au travail des médias et aux mécanismes juridiques de contrôle, alors que «rien ne peut être dit sur l’institution monarchique à cause de la loi contre le crime de lèse-majesté et de celle sur les crimes informatiques».

Benedict Anderson, âgé de 76 ans et auteur du célèbre livre sur les nationalismes Communautés imaginées, a raconté, dans un mélange de thaï et d’anglais, quelques anecdotes vécues lors de ses séjours en Thaïlande. Par exemple, il s’est dit frappé, lors d’un voyage dans le sud de la Thaïlande il y a six ans, dans les environs de Chumphon et de Petchaburi, par «l’énorme campagne, organisée par les bureaucrates, pour noyer les routes et les magasins de portraits sans cesse reproduits de la famille royale», comparant cette propagande à celle «d’un politicien qui chercherait à se faire réélire». «Nous devons avoir plus flexibilité et plus de compréhension de ce qu’est aujourd’hui la société thaïlandaise et de ses aspirations», a-t-il dit. Il a aussi évoqué le fait que les statistiques sur l’ordination bouddhique en Thaïlande (chute de 70 % en dix ans) montraient que «l’espace pour le sacré a été sérieusement érodé», ce qui concerne aussi une monarchie qui a toujours eu une aura de sacralité. «Cette chute n’est pas due à un complot, mais à une rapide urbanisation et à l’apparition de nouveaux modes de consommation», a-t-il estimé.

Sulak Sivaraksa, acquitté d’une accusation de crime de lèse-majesté en 1995 et qui se définit lui-même comme un «loyaliste critique», a parlé avec son habituelle franchise, estimant que «si elle voulait survivre, la monarchie devait prendre ses distances avec l’armée et avec le Crown property bureau, qui possède 30 % des terrains à Bangkok». «Ce dont nous avons besoin est un symbole d’unité. Le roi doit être le premier parmi les égaux, sans aucun privilège quel qu’il soit», a-t-il dit.