Catégorie : Société
L’ancien premier ministre sera inculpé le 12 décembre de meurtre pour son rôle dans la répression des manifestations de mai 2010 à Bangkok.
Tarit Pengdith, directeur du Département des enquêtes spéciales (DSI) du ministère de la Justice de Thaïlande, a annoncé le 6 décembre qu’Abhisit Vejjajiva et l’ancien vice-premier ministre Suthep Thaugsuban seront inculpés en vertu de l’article 288 du code pénal, lequel punit le meurtre. Il leur sera reproché, le 12 décembre 2012, d’avoir autorisé le recours par les forces de l’ordre à des munitions pour disperser des opposants à son gouvernement (jusqu’à cent mille «chemises rouges» avaient alors campé pendant des semaines dans le centre de Bangkok). Il y avait eu au moins 90 morts et 1.800 blessés, pour l’essentiel des civils.
Tarit a indiqué que ces ordres «avaient causé la mort de nombreuses personnes» mais que, dans un premier temps, Abhisit et Suthep ne seraient inculpés que de la mort d’un chauffeur de taxi, Phan Khamkong, abattu le 14 mai 2010 par des soldats, l’un des premiers décès à faire l’objet d’un recours devant la justice. Un grand nombre de victimes ont été dénombrées le 19 mai, quand l’armée a reçu l’ordre de disperser les «chemises rouges» par la force. Suthep, alors le numéro deux du gouvernement, était en charge de l’agence chargée des manifestations.
Abhisit, président du Parti démocrate, est aujourd’hui le chef l’opposition parlementaire au gouvernement de Yingluck Shinawatra, issu des urnes en juillet 2011 et soutenu par les «chemises rouges» (dont le héros et financier est Thaksin, frère aîné de Yingluck, exilé depuis 2008 pour échapper à une condamnation à deux ans de prison pour abus de pouvoir). Les rôles se sont donc inversés. Un porte-parole du Parti démocrate a accusé des fonctionnaires de rechercher des promotions en «tentant de tronquer l’appareil judiciaire». L’inculpation de l’ancien premier ministre marque le début de procès qui pourraient s’étaler sur des années, une Commission d’enquête indépendante ayant, en septembre, rappelé que dans les rangs des «chemises rouges» avaient également été repérés des individus armés, appelés les «chemises noires».
L’Agence touristique nationale promeut une Thaïlande aussi enchanteresse que virtuelle au détriment des entrailles du royaume.
J’ai récemment participé à l’organisation du tournage d’un programme de télévision française en Thaïlande portant sur les aspects culturels du royaume. Ce programme adopte une tonalité positive pour mettre en valeur des aspects insolites, étonnants ou amusants d’un pays que l’on sillonne dans des trains. Des autorisations officielles de tournage avaient été requises et une accompagnatrice ainsi qu’un guide-interprète de l’Agence thaïlandaise du tourisme (TAT) nous ont surveillés d’un oeil diligent pendant les deux semaines de tournage. L’expérience fut éprouvante, à la fois pour nous, les journalistes français, ainsi que pour nos anges-gardien. Au gré du tournage, deux expressions revenaient sans cesse dans leur bouche : “c’est interdit” et “ce n’est pas approprié”.
Filmer une statue du Bouddha dans le quartier chinois, c’est interdit. De même que de filmer un portrait du roi Bhumibol dans une gare. Tourner une séquence sur un bonze thaï qui entraîne des enfants des rues à la boxe thaïlandaise pour leur donner plus d’espoir en l’avenir n’est pas approprié. Et filmer un médium investi d’un esprit dans son antre de sorcier-tatoueur est strictement interdit. Que peut-on faire alors ? Filmer les projets sociaux du roi et des princesses est vivement conseillé. De même que les divers festivals qui ponctuent le calendrier thaïlandais : loi krathong, notamment, dont les innocentes corbeilles de feuilles de bananiers échappent à la sourcilleuse censure du TAT. Ce qui n’est pas le cas du nouvel an thaï ou songkhran, dont les agressions à coup de seau d’eau et – horreur suprême ! – les jeunes filles en tenue ultra-serrée ont provoqué le bannissement.
Ces officiels et beaucoup des fonctionnaires travaillant dans les ministères estiment de leur mission de présenter au monde une image de la “belle Thaïlande” où des femmes soumises et chastes confectionnent des guirlandes de fleurs au bord d’étangs parsemés de fleurs de lotus et où les hommes, guerriers valeureux d’antan, assurent la paix et la sécurité. La Thaïlande réelle, celle des sorciers-tatoueurs et des bonzes excentriques mi-médium mi-maître de cérémonies, celle des billards enfumés et des rizières en voie d’urbanisation n’est pas jugée valorisante. Et on peut le comprendre. Chaque pays essaie de promouvoir les facettes qu’il juge les plus attractives, encore que j’ai rarement vu le ministère du tourisme français mener campagne pour chanter les louages des pavés de Paris.
Ce qui frappe dans le cas thaïlandais est que la “belle Thaïlande” promue par le TAT est une Thaïlande qui n’existe pas et n’a jamais existé. Elle a germé dans les esprits bureaucratiques des préposés à la beauté nationale, puis a été ajustée et polie dans les officines d’organismes tels que le Bureau national de la commission culturelle et le Bureau de l’identité nationale. C’est une Thaïlande virtuelle, entre plages paradisiaques et temples immaculés, mais qui, une fois conçue, est bien utile dans le cadre d’une propagande commerciale et idéologique : “ce n’est pas approprié” signifie “ce n’est pas en conformité avec le modèle élaboré”.
Au final, faut-il s’en plaindre ? La vaste majorité des touristes sera parfaitement contente de passer d’un décor à l’autre sans chercher à regarder derrière le carton-pâte, guidée par les bons conseils de TAT repris par les agences de voyage. Le tourisme est un business et le client est roi. Seuls des originaux, éternels insatisfaits, continueront à rechercher ce qu’un ami parisien qualifie “d’Asie qui grouille”.
Max Constant
Les communautés francophones gonflent en Asie du sud-est. Des points d’attache se créent et se développent, dont des librairies. Celle de Saigon fête ses dix ans.
Les librairies françaises sont peut-être rares dans la région, mais très attachantes. Il y a d’abord les deux Carnets d’Asie, l’une à l’Alliance française de Bangkok en Thaïlande, l’autre à l’Institut français de Phnom-Penh au Cambodge. Elles tournent autour d’Olivier Jeandel, homme de goût et de plume, plein de nuances, qui comprend fort bien l’environnement dans lequel il baigne. Il y a également la bibliothèque riche en livres sur l’Indochine française, y compris des anciens, où l’on prend son temps pour fouiner en compagnie d’un connaisseur, François Doré : elle est située à Bangkok et s’intitule la Librairie du Siam et des Colonies.
Au Vietnam, le lieu de rendez-vous se trouve chez Colette et Khanh, au pied du gratte-ciel de Bitexco, le plus élevé de Hochiminh-Ville, non loin du Vieux marché, à dix mètres d’un nouveau café franco-vietnamien et près du restaurant La Niçoise. Le 30 novembre, la librairie Nam Phong célèbre son dixième anniversaire. Nguyên Quôc Khanh est le fils aîné de l’écrivain Nguyên Tiên Lang, mandarin nationaliste et francophile de la Cour de Hué, qui maniait dans l’entre-deux-guerres la langue française dans un style qu’on dirait aujourd’hui désuet mais d’une délicatesse toujours aussi touchante.
Auteurs, photographes, artistes francophones de la région ont tous été accueillis dans les murs de Nam Phong. Deux d’entre eux, la photographe Martine Aepli et le céramiste François Jarlov, y sont présents le 30 novembre. On y a même retrouvé, voilà un an, lors d’une soirée à l’affluence record, Francis Renaud y dédicaçant l’émouvante biographie qu’il a faite de son père, le juge Renaud. Le Vietnam est le pays d’adoption du fils Renaud, qui a même été un moment grand spécialiste du café.
Ces librairies apportent leur petit écot à l’entretien et au renouvellement du fonds de francophonie de l’ancienne péninsule indochinoise. Leur présence rassure, à l’image de leurs rayons où s’affichent également les ouvrages les plus récents. A Nam Phong, on rêve désormais d’accueillir Patrick Deville, dernier prix Femina pour sa biographie d’Alexandre Yersin, aujourd’hui génie tutélaire dans une pagode proche de Nhatrang. Les liens subsistent, la langue et l’écriture aussi.
Condamnations injustes, répression des libertés et des religions, violences, l’Eglise catholique estime que le parti communiste a la main de plus en plus lourde.
La Commission ‘Justice et Paix’ de l’Eglise catholique estime que «l’arbitraire» dans l’application de la loi, déjà relevé dans un premier rapport en mai 2012, se poursuit : condamnations «irrationnelles et totalement injustes» de trois jeunes chrétiens (à Vinh, dans le centre-nord du Vietnam, 20 septembre 2012) et de trois blogueurs (quatre jours plus tard). En outre, «les plaintes collectives pour spoliations de terrains se prolongent sans être réglées» parce que les autorités «protègent les intérêts d’investisseurs ou de différents groupes privilégiés».
Selon ce rapport, qu’Eglises d’Asie, site des Missions Etrangères de Paris, vient de traduire en français, les autorités recourent à des «voyous» pour «réprimer aussi bien des individus que des groupes de personnes, comme par exemple un cortège funéraire, un rassemblement de personnes spoliées de leurs biens ou encore une manifestation». Par ailleurs, poursuit la Commission catholique, l’enrichissement d’«un groupe de privilégiés» se fait, «ces derniers mois», aux «dépens du reste de la population». En 2012, « 40.000 entreprises ont cessé leurs activités». Dans un pays parmi «les moins transparents» du monde, «la corruption, qui est devenue un fléau national, a pour moteur essentiel les organes dirigeants».
Le rapport estime que, de nos jours, «la liberté, l’indépendance et la souveraineté nationale sont dangereusement menacées par les provocations militaires et les empiétements de la Chine voisine» car «la population n’est pas informée du véritable contenu des ‘arrangements’ et des ‘pactes’ conclus entre les autorités des deux pays». La Commission rappelle avoir écrit en mai : «Ce qui est encore plus difficile à comprendre, c’est la répression sévère infligée par les autorités aux organisations et aux individus qui, par patriotisme, protestent contre le cynisme des envahisseurs. Les hésitations et l’irrésolution manifestées par les dirigeants vietnamiens au sujet de la délimitation des zones frontalières et la protection de la souveraineté nationale en mer d’Orient [mer de Chine du Sud] ont provoqué du mécontentement dans l’opinion publique».
Dans son rapport soumis à la Conférence épiscopale réunie au siège de l’évêché de la province de Thanh Hoa le 1er novembre, la Commission ‘Justice et Paix’ estime que l’ensemble des médias, lesquels «appartiennent strictement à l’Etat», «est censuré et contrôlé très sévèrement». En ce qui concerne la Toile, « les mesures qui ont été prises pour contrôler, interdire, voire détruire les sites Internet ou les blogs individuels, mais surtout les arrestations et les condamnations des blogueurs, ont constitué une très grave violation des droits de l’homme». Enfin en ce qui concerne la liberté des religions, inscrite dans la Constitution, dans certains communes et districts, les catholiques «rencontrent de multiples difficultés» dans «la restauration des chapelles, l’organisation de réunions de prière».
L’Eglise catholique compte près de 7 millions de fidèles dans un pays de 86 à 87 millions d’habitants. Depuis le début du XX° siècle, les négociations entre Hanoï et le Vatican en faveur de l’établissement de relations diplomatiques progressent lentement.
Les rois de la corruption sont dans la police, l’administration foncière, les douanes et la construction, selon un sondage publié le 20 novembre.
40% des hommes d’affaires et 29% des citoyens ont dit qu’ils avaient dû payer des dessous de table dans leurs tractations avec des agents de la circulation, des fonctionnaires du service des impôts, des douaniers, des employés de banque, des agences de construction, des membres des services de santé. 37% des citoyens lambda et 59% des hommes d’affaires ont affirmé, selon Tuoi Tre, qu’ils avaient «parfois» dû résoudre leurs problèmes en versant des pots-de-vin à des fonctionnaires.
Le sondage a été mené par les services de l’Inspectorat en collaboration avec la Banque mondiale. 5,460 personnes ont été interrogées dans dix provinces du Vietnam, dont plus de 1.800 fonctionnaires et plus de mille hommes d’affaires, le reste réunissant des citoyens lambda. 45% des fonctionnaires ont déclaré avoir assisté à des actes de corruption.
80% des fonctionnaires interrogés ont dit que la corruption était due aux bas salaires. De leur côté, 63% des hommes d’affaires ont estimé que les fonctionnaires leur créaient des difficultés pour pouvoir obtenir des pots-de-vin. Enfin, les deux tiers des personnes interrogées ont déclaré qu’elles n’avaient pas osé rapporter ces pratiques de peur d’une vengeance. Des réflexions analogues sont entendues dans d’autres pays de l’Asie du Sud-Est, notamment en Thaïlande, en Indonésie ou aux Philippines. Enfin, toujours selon Tuoi Tre, le sondage rapporte que 87% des personnes interrogées ont réclamé une loi sur l’accès à l’information et demandé que les journalistes ne soient pas condamnés selon le code criminel pour d’éventuels manquements à leur devoir professionnel.
Une cérémonie insolite a réuni à Hanoï des centaines de bonzes, de nonnes et de parents dans des prières pour la paix des âmes victimes d’accidents de la circulation.
Le ministre des Transports Dinh La Tang en a profité pour rappeler, selon le site de Tuoi Tre, à quel point la route est meurtrière au Vietnam. En 2012, en dépit d’une réduction de 17% par rapport aux années précédentes, le nombre quotidien moyen est de 25 victimes sur les routes du pays. Pendant les neufs premiers mois de l’année, les 23.200 accidents de la circulation rapportés ont fait 6.657 morts et 2.681 blessés.
En 2010, le ministère de la Sécurité publique a rapporté 11.000 morts sur les routes. Toutefois, les registres du ministère de la Santé, qui se fondent sur les rapports des hôpitaux, ont fait état de 15.464 morts. Mais des experts parlent de sous-estimations. Le Comité national en charge de la sécurité routière fait état d’une moyenne annuelle de 17.700 accidents pendant la période de 2000-2011, et d’une moyenne annuelle de 11.600 morts sur les routes et de 16.000 blessés.
Les causes : le non-respect des règles de conduite, l’abus d’alcool, l’excès de vitesse, les négligences de la police routière, plus préoccupée par des contraventions informelles que par la réglementation routière. Les agents de la circulation disposent, en outre, de très faibles moyens et les conducteurs savent qu’un billet de banque refilé discrètement peut leur éviter une sanction.
95% des véhicules enregistrés sont des motos et des scooters, dont les accidents sont les plus meurtriers. En 2007, le port du casque a commencé à devenir obligatoire, d’abord pour les adultes, plus tard pour tout le monde. Mais cette règle n’est pas imposée ave fermeté et beaucoup de casques sont en plastique, de mauvaise qualité et incapables de protéger contre les traumatismes crâniens.
L’existence d’une certaine insularité de l’univers thaïlandais déroute les étrangers et parfois les Thaïlandais eux-mêmes.
Evoquer la teneur des relations entre Thaïlandais et étrangers est toujours délicat car, outre le danger d’une généralisation outrancière, l’observateur occidental ne peut qu’écrire selon la position d’où il observe ; son analyse est forcément teintée. Cette observation ne vaut donc que pour ce qu’elle est : une perception parmi de nombreuses autres possibles. Nombre d’Occidentaux résidant depuis des années en Thaïlande diront qu’ils ont peu ou pas d’amis thaïlandais véritables, qu’il est très difficile d’aller au-delà de rapports courtois mais sans profondeur. L’image évoquée est celle d’un demi-globe de verre à l’intérieur duquel s’agite le monde thaï. Au prix de certains efforts, on peut s’en approcher jusqu’à se coller le nez contre la paroi translucide et scruter l’intérieur. Mais on ne peut jamais le pénétrer. Rien n’est plus risible qu’un Occidental qui pense y «être parvenu», «être devenu comme eux». Après un certain temps d’illusion, des Thaïlandais le lui feront gentiment sentir.
J’ai souvent entendu les farang évoquer ce sujet, mais jamais les Thaïlandais en parler d’eux-mêmes ou même rebondir une fois lancé sur le thème. Le jeu de relations se déroulant à l’intérieur est harmonieux, cohérent avec ses propres règles. Rares sont ceux qui les remettent en cause. L’importance des figures paternelles ou paternalistes y est grande, d’où le sentiment qu’il pourrait y avoir une stratégie d’infantilisation venue d’en haut pour un meilleur contrôle politique et social. Toutefois, déplacé dans un contexte non thaïlandais, mis en perspective dans le cadre d’une comparaison avec le monde extérieur, ce jeu inter-relationnel révèle soudainement son décalage avec le « monde réel » et peut même alors paraître absurde.
Il semble y avoir une conscience parmi les Thaïlandais de ce phénomène et donc la mise en place de stratégies pour y remédier préventivement. En Thaïlande, de nombreux Thaïlandais, une fois dépassées les premières civilités, placeront une distance entre eux et leurs hôtes – une distance qui est un mécanisme de protection. Quand on croise des groupes de Thaïlandais voyageant à l’étranger, il est parfois frappant de constater leur désintérêt pour établir des contacts avec les autochtones, ou même avec les autres groupes d’Asiatiques qu’ils pourraient croiser : cette attitude est très différente de celle des Philippins, toujours conviviaux et enclins à converser, ou des Indonésiens. Beaucoup de Thaïlandais semblent transporter autour d’eux leur «bulle de protection».
Inversement, il est réconfortant de voir que de nombreux Thaïlandais qui ont fait le choix de s’établir à l’étranger ou d’y résider un certain temps pour raison d’études, de mariage ou professionnelle, brisent souvent ce cocon d’insularité, s’ouvrent et révèlent un éclectisme, une curiosité vis-à-vis du monde extérieur rafraîchissante. Parfois même, ces Thaïlandais réinterpréteront leur milieu d’origine et lâcheront : «En Thaïlande, les gens se toisent, manquent de simplicité». L’importance de la pose, de la distance sociale et du jeu des apparences sont autant de facteurs qui contribuent à façonner l’univers thaïlandais avec ses particularités. Et, il ne se passera pas beaucoup de temps pour que ces Thaïlandais un peu transformés par leur expérience à l’étranger se verront reprocher leur relations de tam khon farang, c’est-à-dire leur «imitation des étrangers».