Sous son air candide, la cheffe du gouvernement thaïlandais Yingluck Shinawatra tire son épingle du complexe jeu politique thaïlandais.
A la fin d’un récent séminaire de sciences politiques à l’université Thammasat de Bangkok, l’historien thaïlandais Charnvit Kasetsiri évoquait cette singulière capacité des femmes asiatiques au pouvoir à tromper leur monde. L’universitaire rappelait que beaucoup d’observateurs se moquaient de Megawati Sukarnoputri en Indonésie ou de Corazon Aquino aux Philippines quand elles avaient pris leurs fonctions présidentielles. «Elles ont toutefois toutes deux mené leur mandat présidentiel à terme. Ne sous-estimez pas Yingluck», concluait-il. Ne vendons pas, donc, la carapace de «Crabe» trop tôt.
Comme tous les enfants de Thaïlande, Yingluck Shinawatra a en effet reçu dès son plus jeune âge un surnom d’une syllabe, qui correspond à certaines caractéristiques physiques ou de comportement. «Crabe» (Pou en thaï) est attribué aux enfants qui donnent l’impression de rester dans leur carapace, d’être sur la réserve. Dans la Yingluck première ministre de Thaïlande de 2012, il reste un peu de la timide étudiante de Chiang Mai, à la fois sérieuse et respectueuse, une jeune femme qui veut bien faire et ne pas décevoir. A la tête de l’exécutif thaïlandais, elle prête certainement le flanc à la critique. Ses réponses habituelles aux questions épineuses sont de dire qu’il faut en référer au ministre ou au chef de département directement concerné. Ses injonctions de cheffe du gouvernement sont le plus souvent de dire aux ministères et aux diverses agences de «se coordonner».
Interrogée récemment par la presse thaïlandaise sur une possible visite dans le sud à majorité musulmane du royaume, en proie à une violente insurrection séparatiste depuis janvier 2004, elle répond que les «technologies de communications sont suffisamment bonnes» pour qu’elle transmette ses ordres aux autorités sans se déplacer, tout en ajoutant qu’elle n’exclut pas d’y descendre «si cela est utile». Dans un récent entretien publié par Le Monde, elle avoue sans fard qu’elle aura hâte de «faire du shopping» à Paris, une fois les rencontres officielles terminées. Et, interrogée sur ses goûts musicaux lors de sa conférence de presse devant le Club des correspondants étrangers en Thaïlande, elle dit sa faiblesse pour les «chansons faciles» qui l’aident à se relaxer.
On est loin, certes, du brio d’un Abhisit Vejjajiva, de la hauteur de vues d’un Anand Panyarachun ou du propos incisif d’un Chuan Leekpai. Mais une majorité des Thaïlandais préfèrent sans doute cette femme élégante, pleine de charme et qui fait bonne figure aux côtés des chefs de gouvernement et chefs d’Etat de la planète à un politicien verbeux qui leur semblerait hors de portée. D’ailleurs, Yingluck Shinawatra ne laisse rien au hasard. Elle a fortement insisté, lors de son voyage en France à la fin de juillet, sur les détails du protocole, sachant qu’une équipe de télévision thaïlandaise la suivrait et que son image serait regardée dans les foyers du royaume. Un autre entretien avec la presse française, paru dans Le Figaro, révèle une certaine finesse de Yingluck, qui répond sans répondre, esquive et botte en touche. Au final, on ne peut pas lui reprocher grand-chose.
Il reste bien sûr la principale équivoque, celle de sa relation avec son frère ainé de 20 ans, l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, enfui de Thaïlande en 2008 peu avant d’être condamné à deux ans de prison pour abus de pouvoir. Le grand frère tire-t-il les ficelles de Crabe ? Bien malin qui peut répondre, sauf à être une petite souris qui puisse assister aux conversations entre Méo, tel qu’est surnommé Thaksin selon une minorité ethnique du nord, et le candide crustacé.