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Thaïlande

Sondage : les jeunes Thaïlandais aiment la corruption et les militaires

Selon un sondage de l’institut Abac, plus des deux-tiers des jeunes Thaïlandais interrogés considèrent la corruption comme acceptable si celle-ci leur profite personnellement.

Les sondeurs considèrent qu’il s’agit d’une «tendance inquiétante». Selon une enquête d’opinion de l’institut Abac (lié à l’université économique Assumption de Bangkok), 68 % des Thaïlandais âgés entre 20 et 29 ans disent qu’ils accepteraient volontiers un gouvernement corrompu s’ils en retirent des bénéfices.

Cette tendance ne fait que confirmer plusieurs sondages effectués au cours des cinq dernières années. Au sein de la population adulte, la proportion de ceux qui plébiscitent la corruption est légèrement plus faible : 63 %. Les femmes (62,5 %) sont moins enthousiasmées par les pots-de-vin et la prévarication que les hommes (66 %). La corruption est un problème de longue date en Thaïlande et concerne particulièrement les ministères du transport et des télécommunications, de l’énergie et de l’intérieur.

Selon les confidences d’un vice-président d’une grande entreprise publique à Asie-Info, les décisions du conseil d’administration des sociétés publiques ne sont pas prises en fonction d’une «logique stratégique», mais de la répartition des prébendes. Une étude avait montré en 2011 que 80 % des hommes d’affaires du secteur privé avaient déjà payé des dessous-de-table durant leur carrière.

En juin 2011, le président de la Chambre thaïlandaise de commerce, Dusit Nontanakorn, avait formé une «coalition anti-corruption» afin de mobiliser les entrepreneurs du secteur privé contre ce cancer qui ronge le pays de l’intérieur. M. Dusit était décédé quelque mois après le lancement de la campagne, et personne n’avait repris le flambeau.

Le sondage d’Abac s’est aussi intéressé aux sentiments des Thaïlandais vis-à-vis des militaires. 68 % des personnes interrogées ont dit être satisfaites du rôle des militaires, mais 71 % ont affirmé ne pas vouloir d’un nouveau coup d’Etat.

L’image de l’armée thaïlandaise avait été écornée après que celle-ci eut réprimé dans le sang les manifestations anti-gouvernementales d’avril-mai 2010, mais elle a été quelque peu réhabilitée après que les militaires se sont montrés très actifs dans l’assistance aux victimes des inondations de l’an dernier. Le sondage a été effectué du 1er au 9 juin auprès de 2.142 personnes de plus de 18 ans réparties dans douze provinces de Thaïlande.

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Histoire Viêtnam

A Hanoi, Catherine Deneuve et un air de Nouvelle-Calédonie

Envoyés à l’époque de la colonisation en Nouvelle-Calédonie, revenus dans les années 1960, des Vietnamiens se rappellent. Sur l’affiche, Catherine Deneuve.

A Hanoi, au 242 rue Hang Bong, soit à la limite entre le Vieux quartier et l’ancienne citadelle rasée par les Français, se trouve un café-restaurant qui ne paie pas de mine. Les murs sont délavés, la pièce est relativement spacieuse. A l’entrée, le client passe devant un présentoir où il choisit, des yeux et de la voix, son petit déjeuner, pâtisserie, croissant, pâté chaud, petite saucisse en chausson. Sa commande de boissons – café, thé, verre de lait – est relayée à la cuisine par une vendeuse qui joue les aboyeurs. Le temps qu’il tombe veste et casquette et qu’il s’assoie sur l’un des tabourets disposés autour d’une dizaine de tables, son petit-déjeuner est servi. Au tout petit matin, le cuisinier traverse régulièrement la salle jusqu’au présentoir pour y déposer des plateaux qui sortent du four : tartes aux pommes, aux ananas, petits pains.

Bienvenue au Kinh Dô, «la capitale», un endroit simple, propre, comme il en existe des centaines à Hanoi, à un détail près : accrochés aux murs figurent de grands clichés, un peu jaunis, de Catherine Deneuve, pris à l’époque du tournage d’ «Indochine», le film de Régis Wargnier. Il y en a même une de l’actrice en compagnie de Lê Huu Chi, qui est devenu, avec le temps, le patriarche du Kinh Dô et qui se repose, vingt ans après le tournage, à l’étage dans l’appartement de la famille. Sa bru, Mme Pham Tri Tinh, gère le café-restaurant.

Catherine Deneuve s’est, à l’époque, rendue au Kinh Dô pour une raison bien simple. Au Vietnam, la production avait besoin d’interprètes, d’assistants, de figurants de préférence francophones. Ils se sont donc adressés à ceux que l’on appelle, à Hanoi et dans plusieurs provinces du nord, les « Calédoniens », lesquels sont à la fois francophones et particulièrement accueillants. La patronne du Kinh Dô, la cinquantaine élégante, et son beau-père ont volontiers aidé à trouver le personnel nécessaire.

Les «Calédoniens»…, une histoire coloniale, peu glorieuse. Les Français ont recruté des dizaines de milliers d’Indochinois pour les envoyer se battre sur le front européen lors des deux Grandes guerres. Ils ont également transféré au Cambodge, dans des conditions brutales, des dizaines de milliers de «Tonkinois» pour en faire le personnel exploité de plantations d’hévéas que les Français développaient à Kompong-Cham, Chup, Mimot. Environ deux cent mille Vietnamiens, des saigneurs et leurs familles, se trouvaient encore dans le nord-est cambodgien quand la deuxième guerre d’Indochine a gagné, en 1970, ce royaume limitrophe du Vietnam. Et puis, il y a également le chemin de la Nouvelle-Calédonie, histoire moins connue.

Dès 1891, huit cents pensionnaires vietnamiens du bagne de Poulo-Condore y ont été exilés pour y travailler dans les mines et les plantations, rapporte Ngan, un Hanoien que tout le monde appelle par son petit nom, Roberto. A partir de 1924, des recrutements « volontaires » ont été organisés sous la forme de contrats de travail de cinq ans. De nombreux Vietnamiens ont alors pris le bateau de Nouméa. En 1941, l’intervention militaire japonaise en Indochine a mis fin aux relations entre la péninsule et le Pacifique Sud. Elles ont repris en 1947 et des Vietnamiens ont été rapatriés de Port-Vila (Nouvelles Hébrides) et de Nouméa. Un paquebot, le Ville d’Amiens, en a rapatrié 747 en 1950. Ces liaisons maritimes ont alors été à nouveau interrompues, en raison de la guerre dans le delta du Fleuve rouge. « Nous avons monté de grosses antennes pour pouvoir capter la Voix du Vietnam », dit Roberto.

Après Diên Biên Phu et les Accords de Genève, Paris et Hanoi ont négocié de nouveaux rapatriements. «L’East Queen a effectué onze voyages de 1960  à 1964, convoyant chaque fois 550 personnes à bord», raconte Roberto, revenu par le dernier d’entre eux. «De Nouméa à Haiphong, le voyage a duré douze jours», se rappelle-t-il. «Nous avons ramené des machines, de l’équipement ainsi que, comme cadeau au gouvernement, onze Peugeot 404». Les rapatriés ont redécouvert un pays très pauvre,- «il n’y avait rien». Puis, le fameux «incident» du Golfe du Tonkin entre les marines américaine et vietnamienne a fourni le prétexte, en août 1964, aux premiers bombardements aériens américains du Nord. Les rapatriements ont été, une fois de plus, interrompus.

En 1964, il ne restait plus que 900 Vietnamiens en Nouvelle-Calédonie. «Ils sont aujourd’hui 2800 en tout. Ce ne sont plus des mineurs, mais des commerçants, des fonctionnaires, la plupart installés à Nouméa», raconte Roberto qui dit être retourné en Nouvelle-Calédonie à deux reprises, en 2002 et 2009. De leur côté, les Vietnamiens de Nouméa viennent rendre visite à la parentèle restée dans le nord du Vietnam. Photos à l’appui, Roberto raconte que ces retrouvailles sont l’occasion de sabler le champagne et d’organiser un bal, valse et tango. Début 2010, les «Calédoniens», regroupés dans une association, se sont réunis à Tuyên Quang, chef-lieu de province au nord-ouest de Hanoi. Plus de huit cents d’entre eux sont venus de la capitale mais aussi des provinces avoisinantes.

Jean-Claude Pomonti

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Politique Thaïlande

La loi de lèse-majesté scrutée à la loupe en Thaïlande

Un symposium organisé le 7 juin à Bangkok a permis à des universitaires, des militants des droits de l’Homme et des journalistes de discuter publiquement de cette loi controversée.

Intitulé «Rhétorique et dissidence», ce symposium, organisé par la journaliste indépendante Lisa Gardner, a réuni des universitaires de renommée internationale comme le politologue irlandais Benedict Anderson et l’écrivain thaïlandais Sulak Sivaraksa, ainsi que des journalistes, comme Pravit Rojanapreuk, du quotidien thaïlandais The Nation et Andrew McGregor Marshall, un ancien reporter de l’agence Reuters, qui a démissionné de son travail pour pouvoir publier les télégrammes diplomatiques américains obtenus par Wikileaks concernant la monarchie thaïlandaise. Pravit Rojanapreuk, qui a fait l’objet récemment d’accusation de crimes de lèse-majesté pour plusieurs articles publiés sur le site internet indépendant Prachatai, a évoqué l’aspect culturel et quasi-religieux de la dévotion de nombreux thaïlandais vis-à-vis de l’institution monarchique. «Il semble y avoir, parmi les Thaïlandais royalistes et ultra-royalistes, un besoin psychologique d’avoir une institution monarchique jouant le rôle de succédané de religion monothéiste. Un besoin d’avoir quelque chose de sacré, au-delà de toute critique, en opposition aux politiciens sales, maléfiques et corrompus», a fait remarquer le journaliste, connu pour ses positions courageuses sur la question du crime de lèse-majesté. Il a également relevé l’ironie selon laquelle cette «réputation malsaine» des politiciens ne pouvait être connue que grâce au travail des médias et aux mécanismes juridiques de contrôle, alors que «rien ne peut être dit sur l’institution monarchique à cause de la loi contre le crime de lèse-majesté et de celle sur les crimes informatiques».

Benedict Anderson, âgé de 76 ans et auteur du célèbre livre sur les nationalismes Communautés imaginées, a raconté, dans un mélange de thaï et d’anglais, quelques anecdotes vécues lors de ses séjours en Thaïlande. Par exemple, il s’est dit frappé, lors d’un voyage dans le sud de la Thaïlande il y a six ans, dans les environs de Chumphon et de Petchaburi, par «l’énorme campagne, organisée par les bureaucrates, pour noyer les routes et les magasins de portraits sans cesse reproduits de la famille royale», comparant cette propagande à celle «d’un politicien qui chercherait à se faire réélire». «Nous devons avoir plus flexibilité et plus de compréhension de ce qu’est aujourd’hui la société thaïlandaise et de ses aspirations», a-t-il dit. Il a aussi évoqué le fait que les statistiques sur l’ordination bouddhique en Thaïlande (chute de 70 % en dix ans) montraient que «l’espace pour le sacré a été sérieusement érodé», ce qui concerne aussi une monarchie qui a toujours eu une aura de sacralité. «Cette chute n’est pas due à un complot, mais à une rapide urbanisation et à l’apparition de nouveaux modes de consommation», a-t-il estimé.

Sulak Sivaraksa, acquitté d’une accusation de crime de lèse-majesté en 1995 et qui se définit lui-même comme un «loyaliste critique», a parlé avec son habituelle franchise, estimant que «si elle voulait survivre, la monarchie devait prendre ses distances avec l’armée et avec le Crown property bureau, qui possède 30 % des terrains à Bangkok». «Ce dont nous avons besoin est un symbole d’unité. Le roi doit être le premier parmi les égaux, sans aucun privilège quel qu’il soit», a-t-il dit.

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Indonésie Société

Liem Sioe Liong (1915-2012), symbole d’une époque

Décédé à Singapour le 10 juin, à l’âge de 96 ans, Liem Sioe Liong restera le meilleur exemple de la réussite des hommes d’affaires proches de Suharto.

Comme le rappelle le Jakarta Post, Liem, qui était d’origine chinoise, a été l’homme «le plus riche » d’Indonésie. Il a fait fortune grâce à «ses relations étroites avec Suharto, l’homme fort de l’Ordre nouveau». En 1998, quand l’autocrate a été obligé de se retirer et que des émeutes antichinoises ont eu lieu à Jakarta et dans d’autres villes de l’archipel, le domicile de Liem à Medean a été saccagé et ce dernier s’est réfugié à Singapour où il a vécu jusqu’à sa mort.

Ses relations avec Suharto remontent aux années 1950, quand il a été chargé du ravitaillement de la division Diponogoro, à laquelle appartenait le colonel Suharto et qui passera plus tard sous son commandement. Quand Suharto s’empare du pouvoir en 1965-1966, Liem commence à obtenir licence sur licence et monopoles. Il est le seul importateur de farine de blé du pays. Sa banque devient l’une des plus puissantes. Dans les années 1980, il obtient le monopole de l’assemblage et de la distribution de voitures (Suzuki, Volvo, Nissan, Mazda), de camions (Hino) et de motos (Suzuki). Il a également fait fortune dans le ciment.

Né au Fujian en 1915, Liem est arrivé en Indonésie à l’âge de 22 ans. Son nom indonésien était Sudono Salim. Il a créé le groupe Salim (jusqu’à 500 sociétés) et en a cédé en 1992 la direction à l’un de ses fils, Anthony Salim, qui l’a remis en partie sur pied après la débâcle de 1998. En 2005, le 90ème anniversaire de Liem a été célébré à Singapour par deux mille convives au cours d’une fête de quarante huit-heures et qui, selon Today (Singapour), a coûté plus d’un million d’euros.

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Asie Timor Leste Viêtnam

Des travailleurs vietnamiens pour le Laos et le Cambodge

Sur les 87.000 travailleurs envoyés par le Vietnam à l’étranger en 2011, 3.500 l’ont été au Laos et 3.300 au Cambodge.

Les deux marchés représentent pour le Vietnam un fort potentiel, estime le site Vietnam+, «compte tenu des investissements vietnamiens qui y sont en cours». Au Laos, les projets opérationnels portent notamment «sur la construction de zones industrielles, l’exploitation minière, la sylviculture », selon le Département de la gestion des travailleurs à l’étranger, lequel dépend du ministère vietnamien du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales. Au Cambodge, les secteurs concernés sont ceux «de l’agriculture, du textile, des biens de consommation, des télécommunications, de la banque et de la finance».

Les entreprises et sociétés vietnamiennes présentes au Vietnam – engrais, pétrole, télécommunications, filiales bancaires – ont besoin de recruter, affirme Vietnam+, «des centaines de personnes pour des postes de cadre en gestion et d’ingénierie». La compagnie vietnamienne TXM, spécialisée dans l’envoi de main-d’œuvre à l’étranger, indique que ses clients laotiens embauchent des vendeurs, des employés en marketing et en téléphonie. Des formations de gestionnaire sont offertes pour le Laos, le Cambodge, la Birmanie (Myanmar) et le Timor Leste. Les marchés du Proche Orient, en raison des crises politiques,  sont moins attrayants. Ceux de Malaisie et de Taïwan sont saturés. Le Cambodge et le Laos offrent, du coup, une alternative intéressante.

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Indonésie Société

Les fumeurs indonésiens demeurent imbattables

L’Indonésie est le troisième consommateur de tabac au monde derrière la Chine et l’Inde. Et la consommation de tabac continue d’augmenter dans l’archipel.

En Indonésie, 65 millions de gens achètent chaque année 250 milliards de cigarettes, rapporte le Jakarta Post en citant des sources médicales. Ils dépensent environ 8 milliards d’€ par an pour satisfaire ce besoin. Le paquet de cigarettes les plus populaires coûte en moyenne 1 € en Indonésie, contre au moins trois fois plus à Singapour. L’Association des médecins indonésiens (IDI) estime qu’entre 2000 et 2008, le nombre des fumeurs a augmenté de 0,9%, alors que ce nombre diminue pratiquement partout ailleurs sur la planète.

La Commission nationale pour la protection de l’enfance a évalué en 2010, selon le Jakarta Globe, que 800 000 enfants âgés de 10 à 14 ans étaient des fumeurs. L’IDI estime que, la même année, 19% des personnes âgées de 15 à 19 ans fumaient, contre 7% en 1995. Dans le quatrième pays le plus peuple du monde, avec 240 millions d’habitants, deux cent mille individus sont morts en 2011 de maladies liées à la consommation de tabac.

Les campagnes anti-tabac n’ont qu’un effet limité et l’interdiction de fumer dans les lieux publics n’est pas toujours respectée. Les Indonésiens consomment, pour l’essentiel, des cigarettes parfumées au clou de girofle.

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Asie Société

Gestion des catastrophes: bons points de l’OMS à la région

L’Organisation mondiale de la santé se félicite des progrès enregistrés dans la gestion des catastrophes naturelles. Un bilan encourageant.

«Les communautés ont été, largement, la source d’idées innovantes concernant une meilleure gestion des risques pour la santé lors de désastres ou de situations d’urgence. Les pays ont également renforcé les services en charge de la gestion des désastres. La coordination de la préparation avec plusieurs secteurs, y compris les ONG et le secteur privé, s’est nettement améliorée au cours des récentes années», a déclaré Samlee Plianbangchang, directeur de l’OMS pour l’Asie du sud-est, lors d’un séminaire, début juin à Bangkok.

La région est très exposée aux catastrophes naturelles. Les plus récentes crises ont été le tsunami de décembre 2004 en Indonésie et dans l’Océan indien,  le séisme de 2006 à Yogjakarta, les cyclones Sidr au Bangladesh et Nargis au Myanmar (Birmanie), les inondations en Thaïlande en 2011.  L’OMS estime que le tsunami de 2004 a représenté, dans la région, un tournant en ce qui concerne la gestion des désastres.

«Les pays ont établi leur capacité [de gestion] en tirant les leçons du tsunami de 2004. Ce fait a été clairement démontré lors du séisme de 8,7 sur l’échelle de Richter qui a affecté la côté d’Atjeh, en Indonésie, le 11 avril 2012», a estimé l’OMS dans une déclaration, en expliquant : «Le séisme a duré plus de quatre minutes et le tremblement de terre a été ressenti en Inde, en Thaïlande, aux Maldives et au Sri Lanka. Contrairement à ce qui s’est passé en 2004, les gens ont été évacués vers des terrains plus élevés, ce qui a sauvé des centaines de vies».

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Analyse Politique Thaïlande

Chronique siamoise : où sont les arbitres ?

L’absence de médiateurs respectés en Thaïlande laisse libre cours à des déchirements politiques qui frisent l’absurde.

Dans les années 60, des anthropologues anglo-saxons avaient identifié l’évitement des conflits comme étant une caractéristique fondamentale de la «société faiblement structurée» qu’était, à leurs yeux, la Thaïlande. Revers de ce trait sympathique relevé par les mêmes observateurs : la perte de tout contrôle de soi, de toute mesure, de tout sens du justifié et de l’injustifié quand un conflit est déclaré malgré les efforts pour l’étouffer dans l’œuf. Outre la question de la perte de face qui ne peut se compenser que par une destruction absolue du fautif, il faut y ajouter la difficulté à distinguer entre acteurs du conflit, simples observateurs et ceux qui essaient d’apaiser les tensions. Le désordre politique actuel autour de la question de la réforme constitutionnelle illustre cette propension à qualifier toutes les parties impliquées comme étant partiales (khao khrang).

Traditionnellement, les deux parties à un conflit étant incapables d’agir raisonnablement, on fait appel à un médiateur (khon klang), une personne reconnue pour sa séniorité et son caractère impartial. Dans le passé, l’abbé de la pagode, parfois un chef de village particulièrement respecté ou un oncle vénérable remplissaient souvent ce rôle. Dans le contexte de la politique nationale, cette fonction est essentiellement dévolue au roi, garant de l’unité du pays et donc de l’harmonie entre tous les Thaïlandais. Depuis 2006, le roi Bhumibol, âgé alors de 79 ans et dont la santé est déclinante, a paru dépassé par les événements ou à tout le moins réticent à jouer un rôle d’arbitre et a clairement poussé les tribunaux à s’en saisir. Ce volontarisme de l’appareil judiciaire a été désastreux. Il a plus abouti à une politisation de la justice qu’à une judiciarisation du monde politique. Protégé par des lois proches de celles réprimant le crime de lèse-majesté, les juges ont multiplié les décisions partiales sans pouvoir être critiqués. Quelques juridictions professionnelles ont émergé avec les honneurs de ce marasme, notamment les Cours administratives de création relativement récente, mais beaucoup d’autres ont perdu tout crédit aux yeux de la population.

A cet égard, l’attitude de la Cour constitutionnelle, qui a décrété le 1er juin une injonction pour suspendre le débat parlementaire sur la réécriture d’un article de la constitution, laquelle aurait permis la réforme de cette même constitution, est parlante. Interprétant l’article 68 de la charte en dépit du bon sens, la Cour constitutionnelle s’est arrogé le pouvoir de suspendre un débat parlementaire sur la simple présomption d’un futur complot pour renverser la monarchie constitutionnelle. La torsion des alinéas pour en retirer ce que l’on recherche n’est pas nouvelle. Les codes de lois écrites ont à peine un siècle en Thaïlande et, sauf pour les lois sur la famille, ils ont été une importation directe de l’Occident. L’esprit de la loi n’a pas encore beaucoup de poids dans un pays où d’innombrables esprits, bien plus malicieux, ont leur logis dans les jardins, au bord des virages dangereux et au fin fond des forêts. Quelles sont les «mains invisibles» qui agissent derrière la Cour ? L’argument du renversement de la monarchie est celui de tous les faiseurs de coup d’Etat. Qu’un expert juridique tel que Meechai Ruchupan, scribe des putschistes depuis des décennies, insiste sur la justesse de l’attitude de la Cour ne peut qu’éveiller des soupçons. Au royaume du clientélisme, il n’existe pas – ou du moins très peu – d’experts, pas plus en matière de droit que de mesures anti-inondations ; il n’existe que des aboyeurs qui défendent leur maître respectif.

La réaction des Chemises rouges après l’injonction de la Cour constitutionnelle confirme la faillite du système. Elles ont demandé le limogeage des sept juges qui ont voté pour l’injonction, c’est-à-dire des sept juges qui ont statué contre leurs intérêts. Elles menacent de mobiliser leurs troupes pour faire prévaloir la force sur le droit. Mais quel droit ? Ou plutôt : le droit de qui ? A tort ou à raison, il n’y a plus de respect de l’appareil judiciaire, plus de médiateurs, plus de croyance dans des principes supérieurs, mais simplement une lutte implacable, becs et ongles, pour vaincre et dominer. Et, passé un certain niveau de progression, il risque d’être difficile de stopper cette tumeur malsaine.