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Société Viêtnam

Vietnam: cancers en série à proximité d’une cimenterie

Des dizaines de victimes de cancers ont été enregistrées à Minh Tân, commune à une centaine de km à l’est de Hanoi et encadrée par une cimenterie et des carrières.

Le médecin de Phuc, jeune homme victime d’un cancer du poumon, a renoncé à le soigner et la famille se prépare au deuil. Lua a subi l’ablation d’un sein à la suite d’un cancer. Hoi, âgée de 27 ans, vient d’apprendre qu’elle souffre d’un cancer du poumon. Le site Vietnamnet.net précise que, sur le coup de midi, le village semble désert car les habitants se retranchent chez eux pour se protéger d’une poussière envahissante et dangereuse. Les enfants de la crèche ne sont pas autorisés à jouer dans la cour.

La commune abrite la cimenterie Hoang Thach, d’une capacité de 2,3 millions de tonnes par an, employant 2 700 ouvriers (selon le système du 3/8) et dont la production, sur une berge d’une rivière Da Back, est empaquetée sur la rive opposée, une noria de camions assurant la liaison. L’exploitation de carrières contribue également à la pollution.

«Plus de la moitié des décès sont dus à un cancer et il y a plus de malades parmi les jeunes que les vieux», dit une habitante. Miên, une veuve, estime que «la mort de son mari l’a sauvée» : ayant épousé un ‘héros de la révolution’, elle bénéficie d’une assurance et peut se faire soigner gratuitement. «Je dois me battre pour que mes enfants et petits-enfants puissent survivre». Construite en 1980, la cimenterie est censée recourir à des méthodes de production respectueuses de l’environnement.

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Politique Thaïlande

Thaïlande : j’y suis, j’y reste

Accusé d’avoir occupé les aéroports de Bangkok en 2008, un leader des Chemises jaunes s’enferme dans sa voiture pour échapper à la police

Comme disent les Anglais, « cela a été une noix difficile à ouvrir ». Il a fallu pas moins de 24 heures à la police de Thaïlande pour arrêter l’ancien sénateur Karun Sai-Ngam, un des leaders des Chemises jaunes ultra-royalistes qui avaient occupé les aéroports de Don Meuang et de Suvarnabhumi au plus fort de la crise politique de la fin 2008. Quand les policiers ont interpellé le 12 mai au matin le véhicule utilitaire de Karun sur une route de la province de Buri Ram, celui-ci s’est enfermé à clef dans sa voiture. Une centaine de Chemises jaunes sont venues très vite lui prêter main forte et empêcher les agents de l’ordre de s’approcher du suspect.

Ce n’est que le lendemain à l’aube que les policiers ont pu faire hisser le véhicule et son occupant sur un camion, de manière à pouvoir les transporter jusqu’au quartier général de la police à Bangkok. Pendant les quatre heures du trajet, Karun a fait tourner le moteur de son pick-up de manière à bénéficier de l’air conditionné. Arrivé au quartier général vers neuf heures, le «face à face» s’est poursuivi, plusieurs dizaines de Chemises jaunes étant venus prêter main forte à leur «héros». Le juge n’a pas voulu octroyer un mandat de perquisition et un mandat d’arrêt à l’intérieur d’un véhicule. Ce n’est que vers 19h30, après qu’un serrurier eut copié la clef de la voiture que Karun a accepté de sortir, faible mais souriant… et protestant de son innocence. Il devrait être inculpé, entre autres, de terrorisme et de résistance à agent de l’ordre public.

 

 

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Viêtnam

Montée des eaux: le delta du Mékong souffre

Montée des eaux, érosion des sols, effondrement de berges, les populations du delta du Mekong vivent des jours plus difficiles. Et ce n’est qu’un début.

A Ca Mau, la province qui occupe la pointe méridionale du Vietnam, les autorités ont relevé une montée régulière des eaux : 15 cm en 2007 (4.890 hectares de terres arables endommagées) ; 16 cm en 2008 (10.600 ha) ; 21 cm en 2011 (19.700 ha). Si le niveau de la mer continue de s’élever à cette vitesse, 90.000 hectares de terres de la province seront menacés d’être inondés, rapporte le site Vietnamnet.net en citant Tô Quôc Nam, directeur adjoint du Département provincial de l’agriculture et du développement rural. Nam ajoute que l’érosion affecte dix km de la côte de la province.

La salinisation progressive des eaux rend les terres impropres à la culture et les régions côtières en sont les premères victimes. Les populations comptent sur des financements de l’Etat pour pouvoir élever des digues, surtout le long de la Mer de Chine du Sud. Mais l’érosion et des effondrements de terrains se produisent également à l’intérieur des terres, le long des canaux, des rivières et des principaux bras du Mékong. Ainsi, dans la province de Dông Thap, l’érosion affecte déjà deux cent km de berges.

Selon un rapport du ministère vietnamien des ressources naturelles et de l’environnement, en l’espace d’un demi-siècle, le niveau de la mer a monté de 12 cm. Selon les projections du ministère, il devrait monter de 12cm d’ici à 2020, de 17 cm en 2030, de 30 cm en 2050 et de 75 cm à la fin du siècle. De quoi s’inquiéter.

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Analyse Thaïlande

Chronique siamoise : mille poids, mille mesures

La mort en détention d’un condamné pour crime de lèse-majesté met en relief certaines ambiguïtés dans le fonctionnement de la justice thaïlandaise.

Comme dans tous les tribunaux du monde, le symbole de la balance de justice figure de manière éminente dans les tribunaux de Thaïlande. Généralement, cette balance est représentée sur le bureau derrière lequel les juges officient. Elle n’est toutefois pas tenue par la traditionnelle déesse aux yeux bandés – un aveuglement qui doit garantir l’impartialité des jugements. En revanche, bien au-dessus de la balance de justice, figure le portrait du roi actuel Bhumibol Adulyadej. Les deux plateaux de la balance de justice thaïlandaise sont-ils équilibrés ? La réponse est délicate, mais l’étude de deux cas précis peut aider la réflexion.

Dans le premier cas, l’avocat Somchai Neelapaijit disparaît en mars 2004, quelques jours après avoir accusé la police thaïlandaise d’avoir torturé plusieurs de ses clients, suspects d’actes de violence dans le sud à majorité musulmane. Son corps n’a jamais été retrouvé, mais des témoignages et les circonstances de sa disparition à Bangkok mènent les enquêteurs sur la piste de cinq policiers. Ceux-ci plaident non coupables, mais il s’avère que ces policiers ont échangé entre eux plusieurs dizaines de coups de téléphone le jour de l’enlèvement dans le quartier où les faits ont eu lieu et qu’ils ont à plusieurs reprises contacté Somchai. Des témoins reconnaissent formellement l’un des policiers comme un membre du groupe de cinq personnes ayant poussé Somchai de force dans sa voiture au moment de l’enlèvement. Durant le procès, qui s’étale sur plusieurs années, la charge de la preuve conformément au droit thaïlandais pèse sur les accusateurs. Plusieurs témoins sont victimes d’intimidation. Les juges estiment que les relevés d’appels de téléphones portables ne peuvent pas servir de preuves. Quatre des policiers sont relaxés pour «manque de preuves» et un cinquième est condamné à trois années de prison. Libéré sous caution après avoir interjeté appel, il disparaît à jamais.

Dans le second cas, Ampol Tangnoppakul, un retraité âgé de 61 ans, est accusé d’avoir envoyé en mai 2010 quatre texto insultant envers la famille royale au secrétaire du premier ministre de l’époque Abhisit Vejjajiva. Ampol plaide non coupable. Au cours du procès, la charge de la preuve est inexplicablement renversée : il appartient désormais à l’accusé de prouver qu’il n’a pas envoyé les texto et qu’il n’était pas en possession de son téléphone au moment des faits. La seule preuve de l’accusation s’appuie sur le numéro de téléphone portable d’où sont venus les texto, revenant sur la jurisprudence établie dans l’affaire Somchai. La question de savoir comment cet ancien chauffeur routier pouvait être en possession du numéro de téléphone portable du secrétaire du Premier ministre ne semble pas germer dans la tête des juges. Ampol, surnommé Oncle SMS par les médias, est condamné à 20 ans de prison. Il interjette appel. A huit reprises, sa demande de libération sous caution pour raisons de santé est rejetée. Il meurt d’un cancer du foie, le 8 mai dernier, à l’hôpital de la prison.

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Analyse Asie Brunei Malaisie Philippines Politique Viêtnam

En mer de Chine du Sud, un face-à-face et ses limites

Le ton monte entre Pékin et Manille. Le face-à-face naval à Scarborough peut encore dégénérer. Toutefois, le contraire est plus plausible.

Pékin a réagi vivement aux petites manifestations anti-chinoises organisées, le 11 mai, par des Philippins à Manille et dans d’autres villes, y compris à l’extérieur des Philippines. La Chine a accusé le gouvernement philippin d’avoir «encouragé» le mouvement, ce que ce dernier a démenti. Pékin a pris des mesures de rétorsion : contrôle plus stricts de produits philippins importés et quarantaine pour les fruits ; contingentement des touristes chinois se rendant aux Philippines.

Entre-temps, à proximité du récif de Scarborough revendiqué par les deux pays, le face-à-face entre bateaux armés se poursuit depuis plus d’un mois. Chacun campe sur ses positions, mais sans annoncer de renforts, lesquels pourraient être dépêchés sur place, il est vrai, très rapidement. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant. La marine philippine ne fait pas le poids face à la chinoise.

Certes, des dérapages sont toujours possibles quand deux adversaires se placent, au moins en partie, sur un pied de guerre. Et, sur le fond, la Chine dénonce ce que le quotidien de l’armée populaire qualifie de «changement de cap stratégique, de la part des Etats-Unis, vers l’Est», une allusion, en particulier, à l’installation progressive de 2.500 fusiliers-marins américains dans le nord de l’Australie. Depuis 2010, ajoute le journal, l’«intervention» des Etats-Unis «dans le débat sur la mer de Chine du Sud a offert aux Philippines un espace pour manœuvrer et a, dans une certaine mesure, renforcé leur main à notre égard, les encourageant à suivre une voie risquée».

Réserves dans les deux camps

Toutefois, s’il est exact qu’une alliance existe entre les Etats-Unis et les Philippines et que des centaines de soldats américains sont en quasi-permanence sur le territoire philippin depuis le début du siècle, Washingon est demeuré en retrait dans la dispute de Scarborough, se contentant d’exiger le non recours à la force pour la régler. Les Philippins se feraient quelques illusions en estimant qu’ils pourraient bénéficier de l’appui solide des Etats-Unis et de la société internationale dans cette affaire. Même l’Asean, dont Manille est l’un des membres fondateurs, est paralysée par des divisions dans le contentieux territorial qui oppose, en mer de Chine du Sud, la Chine à quatre de ses membres (outre les Philippines, Brunei, la Malaisie et, surtout, le Vietnam).

De leur côté, les Chinois n’ont pas davantage envie d’une confrontation. Le PC chinois est en pleine campagne pour le renouvellement de sa direction en 2013, une campagne très dure si l’on s’en tient à l’affaire Bo Xilai. La Chine est également confrontée à un effritement de son modèle de croissance rapide. Même si une opération de diversion peut être la bienvenue, Pékin souhaite éviter un conflit en mer de Chine du Sud tout en faisant comprendre aux Philippins, sans ménagement, qu’ils doivent revoir leur copie avant de monter au créneau.

Enfin et surtout, les deux principales puissances de l’Asie-Pacifique ont beau être méfiantes l’une vis-à-vis de l’autre, elles cherchent néanmoins une entente sur certaines règles de jeu. Faits sans précédents depuis 1971, c’est-à-dire depuis l’établissement de premiers contacts directs lors du voyage clandestin de Henry Kissinger en Chine, deux ressortissants chinois ont été remis, en 2012, aux autorités chinoises après s’être réfugiés dans des légations diplomatiques américaines. Certes, les deux cas sont bien différents et le sort de Chen Guangcheng, le dissident aveugle, n’est pas encore résolu. Mais que Pékin et Washington puissent aujourd’hui parvenir à gérer de telles crises laisse au moins entendre qu’il en faudrait plus pour déboucher sur un divorce. Et les contentieux en mer de Chine du Sud, si graves soient-ils à long terme, n’en seront pas, pour le moment, l’objet.

Jean-Claude Pomonti

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Indonésie Politique

Corruption: les députés indonésiens passent en tête

Selon les sondages, les institutions les plus corrompues d’Indonésie sont la police, la justice et le Parlement. Les élus semblent désormais l’emporter.

Les statistiques de la Commission pour l’éradication de la corruption (KPK) de l’Indonésie montrent qu’en 2012, «les législateurs sont en tête de la liste des gens inculpés pour avoir contrevenu à la loi et arrêtés en tant que suspects de corruption», rapporte le 8 mai le Jakarta Globe. «Six membres de la Chambre des députés et de celle des représentants de régions» sont actuellement impliqués dans des affaires de corruption, a déclaré Johan Budi, porte-parole de la KPK à Jakarta.

Le deuxième contingent de personnes inculpées pour corruption est fourni par les institutions privées. Le troisième est formé par les hauts-fonctionnaires et les autorités élues de province, comme les gouverneurs ou les maires. Pendant les quatre premiers mois de l’année, la KPK a récupéré l’équivalent de quelque deux millions d’€ volés à l’Etat.

A la suite de la réélection en 2009 de Susilo Bambang Yudhoyono (SBY), il y avait eu un débat public sur une «maffia judiciaire» de connivence avec des officiers de police. Peu de sanctions avaient été prises et le débat était retombé. Les deux Chambres ont été accusées, de leur côté, de dépenses inconsidérées, y compris dans des «voyages d’études» à l’étranger. Ces développements, ainsi que l’inaction de SBY, expliqueraient une désaffection croissante à l’égard des élites politiques.

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Birmanie Société

Birmanie : pénurie de médicaments pour les malades du sida

L’insuffisance du système local de santé et de l’assistance internationale met en péril la vie de dizaines de milliers de Birmans atteints par la maladie

Médecins sans Frontières (MSF) en Birmanie s’alarme de l’écart béant entre les besoins des personnes atteintes par le virus du sida et l’offre locale de médicaments antirétroviraux. Environ 240.000 personnes sont porteuses du VIH en Birmanie ; sur ce nombre, la moitié a un besoin urgent d’une trithérapie à l’aide d’antirétroviraux. Mais seules 30.000 d’entre elles bénéficieraient de ce traitement régulier en 2010.

«Nous voyons des patients ramper pour venir nous voir, certains léthargiques et d’autres presque morts», dit Maria Guevara, coordinatrice médicale pour MSF en Birmanie, citée par le Guardian. «En tant que médecins, nous devons faire face et leur dire que nous ne pouvons pas les traiter, car ils ne correspondent pas aux critères; c’est tragique».

MSF espérait pouvoir bénéficier d’un soutien accru grâce au prochain cycle d’allocations de donations du Fonds global contre le sida, la tuberculose et le paludisme, mais ce cycle a été annulé à cause d’un manque de fonds. En conséquence, les médecins doivent rationner les médicaments antirétroviraux, ne les prescrivant qu’aux patients les plus faibles. Selon les groupes d’assistance locaux, le taux de mortalité des patients atteints par le sida arrivant dans les cliniques s’élève à 25 %. La prévalence de la tuberculose, dont souffrent environ 300.000 Birmans et qui s’attaque particulièrement aux personnes dont le système immunitaire est affaibli, constitue un facteur aggravant.

 

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Société Viêtnam

Dans le delta du Mékong, l’inspiration d’un héros d’autrefois

Rach Gia, port vietnamien sur le golfe du Siam. Chaque année, des centaines de milliers de pèlerins s’y retrouvent pour honorer un héros du XIX° siècle.

Les Vietnamiens vivent au présent. A Rach Gia, donc à l’extrémité méridionale d’un Vietnam en forme de ‘S’, les affaires vont bon train. Un quartier se construit sur un terrain gagné sur la mer. Commerce, contrebande parfois, la ville semble prospère. Cela ne l’empêche pas de baigner également dans une atmosphère de croyances profondément ancrées, que l’on retrouve partout dans le delta du Mékong.

Sur la presqu’île urbanisée, située entre les deux bras de la rivière Cai Lon, donc au centre de la ville, se trouve une bâtisse de la fin du XIX° siècle, sans étage et qui ne paie pas de mine. L’architecture néocoloniale s’est enrichie de boiseries. Récemment restauré, c’est le musée de la ville, un coin charmant avec sa petite cour qui se prolonge sous de grands arbres à l’ombre desquels sont installées tables et chaises. Il offre, comme le font toujours les petits musées de province, un aperçu de l’histoire locale.

Une rangée de chausse-trappes, toutes différentes, rappelle les moyens auxquels avaient recours les Vietcongs pendant la guerre. Une photo d’un Américain encerclé par des civils excités rappelle que la région a également eu ses prisonniers : en l’occurrence, selon la légende du cliché, un certain Johnson, « conseiller » capturé en 1964. Les héros locaux de la résistance sont l’objet d’autres clichés, dont certains jaunis.

Une place est réservée aux résultats des excavations d’Oc Eo, amorcées en 1982, même si la plupart des découvertes se retrouvent dans deux musées à Hô-Chi-Minh-Ville, un autre à Hanoï et le quatrième à Long Xuyên. Oc Eo a été un centre commercial entre les Ier et VI° siècles, quand l’empire du Founan englobait le delta du Mékong. On y a même retrouvé de la monnaie romaine et des tombes sur lesquelles était gravé un alphabet ancien.

Enfin, des photos plus récentes y montrent les foules rassemblées à Rach Gia à la fin du huitième mois de l’année lunaire, pour y vénérer Nguyên Trung Truc (1838-1868). Ce dernier est un personnage de légende dans la région. A la tête d’une petite troupe, il coule le 10 février 1861 un petit navire français, l’ « Espérance », qui a remonté le Mékong, entre Long Xuyên et Chau Dôc. Son deuxième exploit est l’incendie du camp militaire français de Rach Gia en 1868. Sa famille ayant été prise en otage par les Français, il se rend. Emmené à Saïgon pour y être jugé et condamné à mort, il est ramené à Rach Gia pour y être décapité en octobre 1868 sur la place publique, à l’âge de trente ans.

 Une mort sacrificielle

Le bourreau, dit-on, s’y est repris à plusieurs fois et la légende veut que les bras et le corps se redressèrent, «signes de force spirituelle» aux yeux de certains. «Une mort sacrificielle», estime Pascal Bourdeaux, spécialiste de cette société deltaïque, en ajoutant : «la consécration populaire donnait ainsi à ce culte naissant ses deux premières dimensions morales et rituelles : le souvenir d’un héros populaire mort pour la survie de sa famille et pour la défense de la terre des ancêtres».

Nguyên Trung Truc,- «Nguyên le franc et loyal» -, fait aujourd’hui l’objet d’un culte que les autorités ne découragent pas car il est l’une des figures de la résistance anti-française au XIX° siècle. Une imposante statue de Truc trône en plein centre ville. Chaque année, des centaines de milliers de gens venus de tout le delta du Mékong se réunissent à Rach Gia le jour anniversaire de sa mort. Ils envahissent les alentours du petit jardin où se trouve un dinh (petit temple) et la tombe de Truc, creusée au pied d’un banyan.

Le rendez-vous est fréquenté, en majorité, par des pèlerins qui se réclament de différentes communautés ou sectes pratiquant un bouddhisme populaire : le culte de la « Montagne sacrée au parfum étrange » (Buu Son Ky Huong), qui date du milieu du XIX° siècle ;  le Tu Ân Hiêu Nghia (fin XIX° siècle) ; les Hoa Hao (première moitié du XX° siècle). Le culte de Truc transcende celui du résistant, du patriote, du héros, du martyr : il s’agit de «la vénération d’un esprit prédisposé à devenir un génie tutélaire», estime Pascal Bourdeaux.

Né d’un assemblage de communes et de villages, Rach Gia est aujourd’hui une ville qui respire grâce à ses larges avenues. Les marchés y regorgent des produits d’un trafic maritime important. L’agglomération bénéficie aussi de retombées financières venus de l’étranger : beaucoup de monde a pris le bateau en 1975 et les Viêt Kiêu, les Vietnamiens d’outre mer, qui se sont enrichis depuis, arrosent la ville par l’intermédiaire de parents demeurés sur place. Sur la mer, un quartier neuf, surtout résidentiel, se construit dans les normes : rues, trottoirs, égouts, électricité, se mettent en place avant les habitations.

Caché dans une rue peu passante, un petit temple chinois est dédié à Ông Bôn, dont la statue de ciment doré se trouve à l’intérieur. Elle a été offerte par des Viêt Kiêu des Etats-Unis, dit l’administrateur du temple. Ông Bôn, dit-il, est le pendant urbain deÔng Pho Dia, le Dieu du sol, divinité campagnarde. «Les gens viennent prier pour obtenir bonne chance et succès financier», ajoute-t-il.

Ce temple a été construit par des Chinois originaires du Fu-Kiên. Sur des peintures murales, les tigres sont omniprésents. Celui représenté sur un bas relief de l’autel de Ông Bôn «ne peut pas être photographié», dit l’administrateur. «La photo ne sort pas», explique-t-il. Dans la cour du temple se dresse une grande statue de la «déesse» Quan Am Thi Kinh,- «une protection contre le mauvais sort», dit l’administrateur. Le temple est noir de monde le lendemain du Nouvel an sino-vietnamien, quand les Chinois viennent émettre des vœux devant leur divinité.

 Pagodes et croyances

Beaucoup plus impressionnante est la pagode Pho Minh, avec ses grandes salles en kitch et ses deux bâtiments restaurés. Le bonze principal, qui affiche la quarantaine, est à la tête d’une escouade de quarante-deux bonzillons au crâne rasé, à l’exception d’une longue mèche. Vêtus de robe grise ou marron, ces bonzillons fréquentent l’école publique. «Ce ne sont pas des enfants de familles pauvres», affirme le bonze mais des «élèves bonzes», qui ont donc une vocation religieuse. La pagode se réclame du rite zen. «Comme à Huê», dit le bonze, en référence à l’ancienne capitale impériale du Vietnam.

Plus ancienne – elle aurait été fondée il y a deux cents ans et restaurée en 1913 -,  la pagode Tam Bao offre un mélange assez étonnant d’apports. Des animaux sculptés dans des arbres – dragons, daims… – en agrémentent le jardin. La déesse Quan Âm trône, comme d’habitude, sur un plan de fleurs de lotus. A l’intérieur, des bougies de plus de quatre mètres de hauteur viennent de Thaïlande. Un bouddha bien rondouillard est d’inspiration chinoise. On y voit aussi des boddhitsava aux bras multiples et une «relique» du bouddha. Elle est également dédiée à Su To Dat Ma, le premier disciple du bouddha parti d’Inde pour enseigner la religion en Chine. Zen et Mahayana semblent les principales inspirations. Kim Cang, gardien protecteur à l’allure féroce, interdit aux dieux la sortie de la salle où reposent stèles et photos de disparus vénérés.

Jean-Claude Pomonti