Les Indonésiens gardent le souvenir non du président fantasque mais de l’ouléma tolérant. Abdurrahman Wahid, alias Gus Dur, est de nos jours cité en exemple.
Mille enfants ont participé, fin septembre, à des récitals du Coran à la mémoire d’Abdurrahman Wahid, décédé voilà trois ans, le 30 décembre 2009. Ces manifestations suivies de séances de prière ont eu lieu au pensionnat religieux de Tebuireng, à Jombang (Java Est), qui appartient à la famille de Gus Dur – le nom familier de l’ouléma – et où il a été enterré.
Etonnant destin que celui de cet ouléma polyglotte, cosmopolite, féru de littérature, de football, de cinéma, qui a étudié un peu partout, y compris six mois à Lyon. Gus Dur a également présidé le plus grand mouvement musulman de la planète (le Nahdlatul Ulama, fondé par son grand-père et qui revendique 40 millions de membres).
Mais Gus Dur, né en 1940 sous le signe du Dragon d’or, avait le virus de la politique. Il avait commencé à le manifester pendant les dernières années du règne de Suharto, opposant de plus en plus ouvertement à l’autocrate-kleptocrate une autorité morale. Et, quinze mois après le limogeage de Suharto, Gus Dur s’est arrangé – il était à la fois malin et manœuvrier – pour se faire élire par le Parlement à la présidence de l’Indonésie (la première élection présidentielle au suffrage universel n’aura lieu qu’en 2004).
Il n’est pas resté longtemps chef de l’Etat : dix-huit mois. Le même Parlement et l’armée se sont arrangés pour renvoyer ce président victime de cécité, incapable de gouverner, fantasque, plein d’idées jetées en l’air mais très peu appliquées. Son départ de la politique, sous la risée du grand nombre, a été humiliant.
Pourtant, il a amorcé la réintégration d’une minorité chinoise brimée ; il a lancé la décentralisation d’un Etat hyper-centralisé alors qu’il est fait de milliers d’îles et de plusieurs archipels peuplés de quelque 300 ethnies ; il a également lancé l’idée d’une défense archipélagique, avec priorité à la marine et à l’aviation et non à une armée de terre politisée et affairiste. Mais surtout, bien avant sa mort, Gus Dur est devenu le symbole d’un islam tolérant, avec ses appels répétés à la cohabitation ethnique et religieuse, avec son admission des terribles exactions commises par des milices musulmanes en 1965-1966, avec ses excuses aux Timorais de l’Est après les massacres commis par les soldats indonésiens sur leur territoire. L’apôtre d’un islam modéré : apparemment, c’est cette image que les Indonésiens veulent conserver.
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