L’existence d’une certaine insularité de l’univers thaïlandais déroute les étrangers et parfois les Thaïlandais eux-mêmes.
Evoquer la teneur des relations entre Thaïlandais et étrangers est toujours délicat car, outre le danger d’une généralisation outrancière, l’observateur occidental ne peut qu’écrire selon la position d’où il observe ; son analyse est forcément teintée. Cette observation ne vaut donc que pour ce qu’elle est : une perception parmi de nombreuses autres possibles. Nombre d’Occidentaux résidant depuis des années en Thaïlande diront qu’ils ont peu ou pas d’amis thaïlandais véritables, qu’il est très difficile d’aller au-delà de rapports courtois mais sans profondeur. L’image évoquée est celle d’un demi-globe de verre à l’intérieur duquel s’agite le monde thaï. Au prix de certains efforts, on peut s’en approcher jusqu’à se coller le nez contre la paroi translucide et scruter l’intérieur. Mais on ne peut jamais le pénétrer. Rien n’est plus risible qu’un Occidental qui pense y «être parvenu», «être devenu comme eux». Après un certain temps d’illusion, des Thaïlandais le lui feront gentiment sentir.
J’ai souvent entendu les farang évoquer ce sujet, mais jamais les Thaïlandais en parler d’eux-mêmes ou même rebondir une fois lancé sur le thème. Le jeu de relations se déroulant à l’intérieur est harmonieux, cohérent avec ses propres règles. Rares sont ceux qui les remettent en cause. L’importance des figures paternelles ou paternalistes y est grande, d’où le sentiment qu’il pourrait y avoir une stratégie d’infantilisation venue d’en haut pour un meilleur contrôle politique et social. Toutefois, déplacé dans un contexte non thaïlandais, mis en perspective dans le cadre d’une comparaison avec le monde extérieur, ce jeu inter-relationnel révèle soudainement son décalage avec le « monde réel » et peut même alors paraître absurde.
Il semble y avoir une conscience parmi les Thaïlandais de ce phénomène et donc la mise en place de stratégies pour y remédier préventivement. En Thaïlande, de nombreux Thaïlandais, une fois dépassées les premières civilités, placeront une distance entre eux et leurs hôtes – une distance qui est un mécanisme de protection. Quand on croise des groupes de Thaïlandais voyageant à l’étranger, il est parfois frappant de constater leur désintérêt pour établir des contacts avec les autochtones, ou même avec les autres groupes d’Asiatiques qu’ils pourraient croiser : cette attitude est très différente de celle des Philippins, toujours conviviaux et enclins à converser, ou des Indonésiens. Beaucoup de Thaïlandais semblent transporter autour d’eux leur «bulle de protection».
Inversement, il est réconfortant de voir que de nombreux Thaïlandais qui ont fait le choix de s’établir à l’étranger ou d’y résider un certain temps pour raison d’études, de mariage ou professionnelle, brisent souvent ce cocon d’insularité, s’ouvrent et révèlent un éclectisme, une curiosité vis-à-vis du monde extérieur rafraîchissante. Parfois même, ces Thaïlandais réinterpréteront leur milieu d’origine et lâcheront : «En Thaïlande, les gens se toisent, manquent de simplicité». L’importance de la pose, de la distance sociale et du jeu des apparences sont autant de facteurs qui contribuent à façonner l’univers thaïlandais avec ses particularités. Et, il ne se passera pas beaucoup de temps pour que ces Thaïlandais un peu transformés par leur expérience à l’étranger se verront reprocher leur relations de tam khon farang, c’est-à-dire leur «imitation des étrangers».