Assassiné en 1946, le père Diêp fait l’objet d’un culte dans le sud. Les premiers éléments d’une demande de béatification ont été réunis. Reportage.
Sur la route nationale qui relie le chef-lieu de Ca-Mau, pointe méridionale du Vietnam, à celui de Bac Liêu, une couche fraîche de bitume a été posée. En 2007, lors de notre passage, les ponts qui franchissent les canaux sont en réfection. A mi-chemin entre les deux chefs-lieux de province, en bordure de route, au lieu-dit de Tac Sây, la silhouette d’une église en construction domine le paysage plat du delta du Mékong.
Le chef de chantier ne cache pas sa fierté. «La plus haute et la plus grande du Vietnam», dit-il. Un escalier monumental permet d’accéder à la nef, haute « de plus de trente-deux mètres ». La nef proprement dite, construite au-dessus de salles de prière ou de réunion, atteint vingt-trois mètres de hauteur. L’édifice a la taille et l’allure d’une basilique. Entre le canal et la route rectilignes, un vaste espace a été attribué à cette église et aux grands bâtiments qui l’encadrent : administration, mémorial, dortoirs et chambres à l’intention des pèlerins, salles d’étude, bibliothèque. L’ensemble donne une impression de démesure.
Sans attendre la fin du chantier ouvert en 2004, soit trois années auparavant, des milliers de gens s’y rendent chaque jour pour s’y recueillir sous un préau provisoire où chacun dépose, après les courbettes d’usage, des baguettes d’encens fumant. Des voyagistes de Hochiminh-Ville organisent même des visites à la demande de Viêt Kiêu, les Vietnamiens d’outre mer, notamment ceux des Etats-Unis. Autobus et minibus se succèdent de l’autre côté d’un mur qui sépare la route du parvis. Les passagers qui en descendent sont assaillis par quelques poignées d’enfants qui tentent de placer cartes postales, portraits, statuettes, boissons fraîches. En face, de l’autre côté de la chaussée, sont alignées chaises pliantes et tables d’une série de débits de boissons improvisés.
Avant de faire un tour de chantier, les pèlerins déposent leurs baguettes d’encens fumantes, en s’inclinant longuement, sous le préau, au pied de deux statues dont les auréoles sont faites d’un tube de néon rouge allumé en permanence. L’une représente la Sainte Vierge et l’autre est la photo d’un prêtre vietnamien, barbu et encore dans la force de l’âge.
Né le 1er janvier 1897, le père François-Xavier Truong Buu Diêp a été assassiné le 12 mars 1946. Les uns disent que le forfait a été commis par la branche locale, à l’époque associée au Vietminh, de l’église caodaïste (Cao Dai Miên Tây và Bac Liêu). De son côté, Eglises d’Asie rapporte qu’en ces temps-là, alors que des troubles avaient gagné la paroisse qu’il administrait depuis seize ans, le curé de Tac Sây avait «refusé» de quitter ses ouailles. «Le 12 mars 1946, avec 70 de ses paroissiens de Tac Sây, il est arrêté par le Vietminh. Tout le groupe est enfermé dans un grenier à riz. C’est là qu’il propose à ses gardiens d’échanger sa vie pour le salut de ses fidèles. On découvrira plus tard son corps nu et affreusement mutilé dans un étang proche du lieu où il avait été détenu», affirme le site des Missions étrangères de Paris.
Toujours est-il que le père Diêp a été également un guérisseur. Son souvenir déborde de la communauté catholique du Sud, qui représente 7% de la population de la région (davantage qu’au Centre, 5%, et au Nord, 3%). Les méridionaux, au Vietnam, s’attachent aux administrateurs ou religieux qui ont donné l’exemple, et ont tendance à en faire des génies tutélaires, ce qui est notamment le cas à Nhatrang où un portrait d’Alexandre Yersin figure dans une pagode parce qu’il avait mis en place, pour les pêcheurs, un système d’alerte aux tempêtes. C’est encore davantage le cas dans un delta du Mékong où les mentalités sont propices au messianisme,- et où les sectes et leurs avatars prolifèrent à nouveau de nos jours.
De nombreux catholiques pensent aujourd’hui que le père Diêp a accompli assez de miracles pour réclamer sa béatification. De premières démarches dans ce sens ont été effectuées auprès de Rome en 2012. En témoignent les centaines, sinon les milliers, de plaques vissées à un long mur derrière l’église. Sur ces plaques sont inscrits des noms de familles accompagnés des montants de leurs dons, une pratique courante au Vietnam. Les dons viennent des quatre coins de la planète et expliquent le financement de gigantesques travaux confiés à des ouvriers recrutés au Vietnam central.
En 2012, les travaux sont depuis longtemps terminés. L’actuel cardinal-archevêque de Saigon, Mgr Pham Minh Mân, a connu l’ancien curé de Tac Sây. Il a confié à Eglises d’Asie que «c’était le père Truong Buu Diêp qui avait conseillé à sa famille de l’orienter vers le sacerdoce dès son très jeune âge».
Texte de Jean-Claude Pomonti, photos de Nicolas Cornet
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