Le conflit entre la guérilla kachin et l’armée birmane s’intensifie, mais une victoire de cette dernière ne résoudra pas l’imbroglio politique.
Le 9 janvier 2013, la reprise du conflit entre l’Armée kachin pour l’indépendance (KIA), guérilla e dans le nord-est de la Birmanie, et l’armée gouvernementale est entrée dans son vingtième mois. Si l’on en juge par les moyens militaires déployés – avions, hélicoptères munis de mitrailleuses -, l’objectif de l’armée birmane est de capturer le quartier général de la KIA, à Laiza, près de la frontière avec la Chine, et de réduire par la force la guérilla de la minorité ethnique kachin. Les combats ont provoqué le déplacement de 100.000 civils dont un tiers vit dans des camps dans les zones contrôlées par le gouvernement et le reste dans des zones de la KIA. Leur accès à une assistance humanitaire est des plus limités. L’intensité des combats a été telle que Pékin a décidé, selon l’édition du 11 janvier du quotidien officiel chinois Global Times, l’envoi de militaires à la frontière birmane pour «comprendre la situation». Quelques obus ont atterri ces derniers jours sur le sol chinois.
Il est probable que l’armée birmane va se saisir bientôt du quartier général de Laiza. Mais cette « victoire » militaire ne réglera pas le problème, qui repose sur une solution négociée pour intégrer les Kachins, qui représentent officiellement 1,5 % de la population et sont en majorité de confession chrétienne, à l’ensemble politique birman. Bien des questions restent en suspens. La première vient de l’apparente discordance entre le gouvernement civil de Thein Sein et le commandement militaire. Par deux fois, Thein Sein a demandé à l’armée «d’arrêter l’offensive» mais celle-ci n’a pas obtempéré, invoquant un droit d’auto-défense. Selon Khin Zaw Win, un conseiller du président Thein Sein interviewé par Asie-Info, « les militaires ont subi des pertes importantes. Arrêter l’offensive maintenant équivaudrait à une défaite militaire. C’est une question de prestige ».
Selon une analyse de Bertil Lintner publiée le 11 janvier sur le site Asia Times, les approches respectives du gouvernement et de la KIO (l’organe politique de la guérilla) pour mettre en place une solution politique sont incompatibles. Le journaliste suédois, auteur de nombreux ouvrages sur la Birmanie, cite des leaders kachins qu’il a rencontrés à Laiza ; ceux-ci considérent la Constitution de 2008 comme « inacceptable », car tournant le dos à un système fédéral et embrassant un système de gouvernement centralisé. Il estime aussi que le gouvernement n’est pas prêt à changer de façon significative la Constitution pour arriver à un compromis. Il est vrai que la Constitution, élaborée par une Convention nationale étroitement contrôlée par la junte de l’époque et approuvée par un référendum non crédible, contient des dispositions qui entravent un dialogue constructif, comme par exemple le fait de devoir faire approuver toutes les modifications à la structure de l’Etat par une majorité de 75 % dans les deux assemblées législatives, au sein desquelles 25 % des sièges sont réservés de droit aux militaires.
Mais réclamer un changement total de Constitution est irréaliste dans les circonstances actuelles. Cela ne veut pas dire que le concept de décentralisation, qui existe au sein de la Constitution – laquelle institue 14 gouvernements régionaux – ne peut pas être développé. Actuellement, les 14 gouvernements régionaux (Etats ou Régions) sont dirigés par des militaires ou des membres de l’USDP, le parti du président Thein Sein. Faire en sorte qu’une partie de ces gouvernements soient contrôlés par des politiciens d’opposition ou des politiciens indépendants représentant les minorités ethniques serait déjà un progrès important. Parallèlement, la répartition du budget national – 94 % pour l’Etat central, 6 % pour les régions – reflète la volonté centralisatrice. Mais, là aussi, cela peut être modifié. Aux députés de se lever et de réclamer ces changements. Comme l’écrivait le philosophe Alain en 1930 : « Une idée que je crois fausse et à laquelle s’attachent souvent les partis les plus opposés, c’est qu’il faudrait changer beaucoup les institutions et même les hommes, si l’on voulait un état politique passable. (…) Or nous vivons de demi-mesures ».