Au milieu des années 1980, le PC vietnamien a lancé des réformes pour intégrer le concert des nations. Dans un contexte bien différent, les militaires birmans en font autant.
En 1986, la direction communiste vietnamienne a compris qu’elle perdait un point d’appui crucial, une Union soviétique en perdition. Au même moment, une décennie de socialisme avait conduit l’économie au bord du gouffre (480% d’inflation en 1985). Le PC a alors inventé un slogan, dôi moi, littéralement « changer pour faire du neuf ». Dans les années qui ont suivi, le « neuf » a été spectaculaire : retrait militaire du Cambodge ; normalisation de relations (jusqu’alors détestables) avec Pékin ; ouverture du pays aux investissements étrangers et aux touristes; dé-collectivisation de l’agriculture…
Ces mesures, accompagnées de minces ajustements dans le domaine des droits de l’homme, ont permis le décollage du Vietnam, où le revenu par tête a quintuplé en l’espace d’un quart de siècle. En 1994, Bill Clinton a levé l’embargo économique américain. L’année suivante, des relations diplomatiques ont été établies avec Washington et le Vietnam a intégré l’Asean. En janvier 2007, soit deux mois après une visite sur place de George Bush, le Vietnam a été admis au sein de l’OMC.
La peur au placard
L’objectif, au Vietnam, était de renforcer un régime à bout de souffle. Pour l’instant, l’opération a réussi : le seul parti autorisé est le PC et le gouvernement continue de protéger le secteur étatique (alors que seul le secteur privé crée des emplois). Le PC s’accommode d’une explosion des médias, d’une extension rapide de la Toile, d’une diffusion croissante de l’information. Tout en organisant la chasse aux blogs dissidents, il conserve le monopole du pouvoir politique.
Si le contexte des changements en cours en Birmanie (Myanmar) est bien différent, l’objectif y paraît, un quart de siècle plus tard, identique: sortir d’une impasse, conserver ses fauteuils ou, du moins, n’en distribuer qu’un minimum à d’éventuels partenaires, locaux comme étrangers.
L’ouverture de la Birmanie s’est dessinée au lendemain du cyclone Nargis, qui a dévasté en mai 2008 le delta de l’Irrawaddy et Rangoon. En autorisant un filet d’aide internationale, la junte a accepté une présence momentanée mais substantielle de l’ONU sur son sol et, surtout, que des avions militaires américains y déposent matériel de secours, médicaments et vivres. Cette opération a marqué la fin de la paranoïa des généraux : leur pouvoir n’en a pas pâti. De surcroît, après son élection fin 2008, Barack Obama a fait comprendre qu’il souhaitait élargir la brèche ainsi ouverte. La fin d’une quarantaine à l’horizon.
La suite a été marquée par l’empirisme. Certes, l’élection d’un Parlement en novembre 2010, alors qu’Aung San Suu Kyi demeurait assignée à résidence, n’a rien eu de démocratique. Mais, avec la mise en place d’autorités civiles, même quand les postes-clés demeurent entre les mains d’anciens généraux, une détente spectaculaire s’est opérée, dont la plus étonnante (et, peut-être, la plus rassurante) expression a été, en décembre 2011, l’accolade entre deux grandes dames, Suu Kyi et Hillary Clinton, sur la terrasse de la demeure de l’icône birmane. Autrefois terrorisés, les Birmans s’expriment désormais plus librement.
Mme Suu Kyi : changement de rôle
Mme Suu Kyi, dont la formation (Ligue nationale pour la démocratie ou LND) a été réintégrée, se présente à l’une des élections partielles organisées le 1er avril (pour remplacer les députés nommés membres du gouvernement). La campagne électorale qu’elle a été autorisée à mener a confirmé son immense popularité. Si elle est élue – et tout le monde s’attend à ce qu’elle le soit largement, de même qu’une poignée de candidats de la LND –, elle se retrouvera en position d’association avec le régime. Il ne s’agira plus de dénoncer une dictature mais de faire avancer les réformes.
Or, les militaires ont pris d’énormes précautions, jusqu’à construire en 2005 une capitale-bunker, Naypyidaw, au milieu de la jungle. Les privatisations opérées avant la tenue du scrutin ont permis de placer en des mains sûres – officiers à la retraite, compagnons de route – les anciens biens publics. Le quart des sièges, au sein du Parlement, est occupé par les représentants des forces armées, ce qui leur donne, de facto, un droit de veto sur toute réforme constitutionnelle.
Le budget des forces armées, de nouveau en augmentation en 2012, est autonome et des crédits militaires supplémentaires peuvent être alloués sans le consentement du Parlement. Une ordonnance autorise les unités en opération à vivre sur le terrain. Les pratiques – portage forcé, impunité – n’ont pas changé. Il y aussi l’argent de la drogue, de la corruption. L’optimisme qui prévaut a beau être réel, il ne remet pas encore en cause les fondations du régime.
Les militaires continueront d’avoir un poids décisif dans les négociations avec les minorités ethniques. Il en ira de même dans les relations avec la Chine, laquelle a déjà été brutalement invitée, en 2011, à mettre un terme à la construction très controversée d’un barrage sur l’Irrawaddy, une décision qui n’a pas pu se prendre sans l’accord de l’état-major.
L’horizon 2014
En troquant l’uniforme contre le longyi (le sarong birman), les généraux de Naypyidaw, à commencer par le président Thein Sein, ont probablement choisi le moindre des maux. Ils ont réalisé une sérieuse ouverture doublée d’une intéressante opération de relations publiques. Les prisons commencent à se vider. Des partenaires politiques sont cooptés. La Banque mondiale et le FMI vont être autorisés à offrir une aide. Le tourisme est promis, à très long terme, à un développement exceptionnel. Les enfants de la nomenclature birmane pourront bientôt poursuivre leurs études dans des universités occidentales.
En bref, après un demi-siècle d’isolement, la Birmanie/Myanmar rejoint le concert des nations. Au prix de nombreux compromis, y compris à venir, la nouvelle direction birmane est devenue fréquentable. Le pays va même sans doute accéder, en 2014, à la présidence tournante de l’Asean et accueillir à Naypyidaw, à cette occasion, un sommet régional auquel participent habituellement les Etats-Unis et la Chine. Séduire la communauté internationale semble en bonne voie. Mais le plus dur reste à faire : réunir assez d’intérêts à domicile (militaires, militants, milieux d’affaires et financiers, minorités ethniques) pour éviter que le navire ne chavire.
Texte : Jean-Claude Pomonti, Photos : Xinhua