Le roi Bhumibol de Thaïlande a quitté pour quelques heures son hôpital pour se rendre dans la province d’Ayuthaya.
C’est une visite immensément significative pour la population thaïlandaise, qui n’avait pratiquement pas vu le roi Bhumibol Adulyadej, âgé de 84 ans, hors de l’hôpital Siriraj où il est soigné depuis septembre 2009. Accompagné de la reine Sirikit et de sa seconde fille, la princesse Sirindhorn, le roi s’est rendu dans la province d’Ayuthaya, à proximité de la rizière Makham Yong, une zone de rétention d’eau qu’il avait initiée au milieu des années 90 pour lutter contre les inondations. Transporté dans une camionnette, puis poussé dans un fauteuil roulant sur un tapis rouge, le roi, vêtu d’un uniforme militaire et son appareil photo à la main, est apparu en relativement bonne forme. Des deux côtés de la route, des dizaines de milliers de Thaïlandais habillés en rose, jaune ou bleu (trois couleurs royales) ont crié «Longue vie au roi !» en agitant des drapeaux nationaux ou à l’emblème de la monarchie. Le prince héritier Vajiralongkorn n’était pas présent.
Arrivé à Ayuthaya, la cheffe du gouvernement Yingluck Shinawatra, en tenue officielle, a remis une guirlande de fleurs au monarque et a lu un message de bienvenue. Une procession d’éléphants chamarrés d’insignes royaux a ensuite été présentée aux membres de la famille royale installés dans un pavillon au bord du fleuve Chao Phraya. Un spectacle de chants traditionnels a également été donné. Le roi n’avait quitté qu’une seule fois l’hôpital Siriraj depuis septembre 2009 pour résider quelques jours dans son palais de Chitrlada à Bangkok, avant de regagner l’hôpital où un bâtiment lui est entièrement consacré. Le souverain avait été hospitalisé en 2009 pour une infection pulmonaire, dont, selon ses médecins, il est maintenant remis.
Le décès en prison d’un retraité accusé d’avoir offensé la famille royale relance le débat entre partisans et adversaires de la loi de lèse-majesté.
La mort dans une prison de Bangkok le 8 mai d’un retraité de 62 ans, condamné en novembre dernier à 20 ans de détention pour insulte envers la famille royale, attise les tensions entre partisans et détracteurs des sévères lois contre le crime de lèse-majesté en Thaïlande. Ampon Tangnoppakul est décédé à l’hôpital de la prison après s’être plaint pendant plusieurs jours de vives douleurs à l’estomac. Accompagnés de plusieurs dizaines de militants Chemises rouges, adversaires de l’establishment traditionnel et monarchiste, sa veuve Rosmalin et deux de ses petits enfants ont récupéré son corps peu après son décès.
Ampon Tangnoppakul avait été condamné pour avoir envoyé quatre texto jugés insultant envers la reine Sirikit de Thaïlande à un haut fonctionnaire gouvernemental en mai 2010, alors que Chemises rouges et militaires s’affrontaient dans les rues de Bangkok. Durant le procès, l’accusé, surnommé «Ah Kong» et «Oncle SMS» par les médias, avait plaidé l’innocence, affirmant qu’il ne savait pas comment envoyer des texto et qu’il n’était pas en possession de son téléphone au moment des faits. Il avait été reconnu coupable de quatre chefs d’inculpation, deux sous la loi contre le crime de lèse-majesté et deux sous la loi contre les crimes informatiques. Sa condamnation avait entrainé la mobilisation des adversaires de la loi contre le crime de lèse-majesté, la plus sévère parmi les monarchies constitutionnelles de la planète.
Dans les heures qui ont suivi sa mort, de très nombreux messages ont envahi les réseaux sociaux. «Nous pouvons faire certaines choses, comme de restituer les droits, l’équité et la dignité – des droits qui auraient dû lui appartenir ainsi qu’à tous les autres Thaïlandais», a écrit sur sa page Facebook le politologue Kasian Tejapira. Les adversaires de la loi ont rejeté la responsabilité de sa mort sur ceux qui justifient les peines très lourdes visant à protéger la monarchie constitutionnelle thaïlandaise.
Ces derniers ont estimé que Ah Kong avait été «puni» pour son ingratitude envers la famille royale et le roi Bhumibol Adulyadej. Les avocats de Ah Kong avait demandé à huit reprises sa libération sous caution pour raisons de santé. A chaque fois, le juge avait rejeté la demande, estimant lors du dernier recours en février que «l’état de santé du prisonnier n’était pas grave au point de menacer sa vie». Une autopsie doit être effectuée par des experts de la police et du ministère de la Justice.
Incidents multiples et ambiance délètère ont entaché récemment l’image du parlement en Thaïlande, une institution qui n’est généralement guère tenue en haute considération par la population…
La première réunion d’un Parlement thaïlandais s’est déroulée au début de 1933 sous les dômes de style baroque de la salle du trône Ananta Samakhom, que le roi Rama V avait fait construire initialement pour célébrer la gloire de la monarchie absolue. En 1974, il a été décidé qu’un Palais était trop luxueux pour les représentants du peuple : députés et sénateurs ont été déménagés dans des immeubles au design vaguement postmoderniste à quelques centaines de mètres de là. Il est maintenant question de les expédier dans une banlieue éloignée. Entre ces deux dates, dix-sept constitutions se sont succédées les unes aux autres. La sacralité de la charte fondamentale et l’opinion des Thaïlandais vis-à-vis de leurs représentants ont dégringolé en proportion.
Chaque Parlement a ses excentricités. La drague des attachées parlementaires est un sport bien connu au Palais Bourbon. Les échanges de coups au sein du Parlement de Taiwan sont légendaires. Les députés (et ministres) thaïlandais ont toutefois produit des efforts considérables pour remonter en haut du listing des chambres de mauvaise réputation. Que le vice-Premier ministre Chalerm Yoobamrung, apparemment ivre, ait failli dégringoler les pas des escaliers de la chambre basse vient peut-être, comme il l’a affirmé, d’un problème de « déséquilibre dans les tympans auditifs ». Qu’un député du Parti démocrate regarde des images érotiques sur son téléphone portable pendant les débats pourrait résulter de ce qu’il a reçu, à sa grande surprise, ces images d’un ami égrillard. Mais quand il est montré que des députés votent à la place de collègues en leur absence, on commence à avoir des doutes. Ceux-ci deviennent aigus en entendant un autre député crier à trois reprises « Heil Hitler ! » en faisant le salut nazi au milieu d’une séance parlementaire. Sans doute, ce député avait-il été échaudé par le fait que le président de la chambre avait coupé son micro. Mais le parlementaire avait tout loisir de piocher dans le registre particulièrement riche et merveilleusement imagé des jurons thaïlandais (un exemple parmi d’autres : « Espèce de pénis décalotté rongé par les écureuils », qu’il est conseillé de tester auprès des gardes de sécurité du métro aérien de Bangkok).
La médiocrité de la classe politique thaïlandaise tient en partie à la primauté absolue des clans liés à un chef personnel sur les familles d’idées. Même si, ailleurs, les « principes » sont souvent un camouflage des intérêts bien compris, ils contribuent néanmoins à « élever le débat » intellectuellement. Mais en Thaïlande, les « idées » ou les théories n’ont guère droit de cité si elles n’aboutissent pas très vite et très concrètement à un résultat pratique.
L’expression thaïe len kan muang – jouer à la politique – pour désigner les activités politiques semble associer la vie démocratique à un soap opera où tout est pardonnable parce que personne ne le prend au sérieux. Sauf bien sûr, les politiciens qui empochent les dividendes de ce casino national. Au final, les élections parlementaires semblent avant tout être une procédure formelle inévitable pour la prise du pouvoir par le chef d’un clan dominant. Ce qui se passe après au sein du Parlement n’est plus que divertissement télévisuel. Même la compétition pour l’acquisition des budgets provinciaux se déroule bien plus en coulisses que sur la scène. Ni Thaksin Shinawatra quand il était premier ministre, ni sa sœur cadette Yingluck qui l’est actuellement, n’ont jugé d’ailleurs utile de donner le change en assistant régulièrement aux débats de la chambre basse, dont les pupitres sont le plus souvent désertés par ses honorables membres.
Max Constant
«Chronique siamoise» porte un regard décalé sur l’actualité politique de la Thaïlande, mêlant des récits d’anecdotes et une lecture culturelle des événements.