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Indonésie : avant tout, le vote de l’insatisfaction

Venu de Java central, réputé bon administrateur, le nouveau gouverneur élu de Jakarta a bénéficié, avant tout, d’un ras-le-bol. De quoi spéculer.

Canaux et cours d’eau sont pollués au-delà de l’imaginable, les embouteillages semblent insurmontables. A force de puiser l’eau dans son sous-sol, Jakarta, dix millions d’habitants, s’enfonce et se retrouvera bientôt sous le niveau de la mer. Les administrations successives ont laissé une impression d’impuissance. Maire de Solo à Java central, une ville moyenne qu’il a réorganisée, plutôt charismatique, Joko Widodo, dit Jokowi, s’est imposé le 20 septembre face au gouverneur sortant, Fauzi Bowo, pourtant soutenu par le gouvernement et l’élite politique. 54% des suffrages : une victoire nette.

Ce vote a traduit une insatisfaction générale. Rien ne dit pour autant que Jakarta soit gouvernable. Jokowi devra d’abord triompher de l’opposition du Conseil législatif, où il ne dispose que de 17 voix sur 94. Ensuite, ce réformateur qu’on dit insensible aux avantages devra trouver quelques difficiles recettes. Comment transformer les bidonvilles en quartiers où l’on peut vivre ? Où trouver les financements nécessaires pour drainer les canaux, limiter la pollution, mettre de l’ordre dans la circulation ? Tout en contribuant de façon substantielle au PNB de l’Indonésie, Jakarta est souvent une négation de l’urbanisme.

Ce vote est également une réaction à ce qui ne va pas en Indonésie. L’économie est solide mais les promesses des gouvernants ne sont pas tenues. Réélu triomphalement (60% des suffrages) en 2009 pour un deuxième et dernier mandat, le président Susilo Bambang Yudhoyono (SBY) s’est révélé bien mou dans sa lutte contre la corruption, pourtant son cheval de bataille électoral. Il ne s’est guère préoccupé de remettre sur pied son Parti démocrate à la direction discréditée. Il n’a pas davantage organisé sa succession en 2014. Le Parlement, l’une des institutions les plus corrompues avec la police et la justice, légifère à toutes petites doses. La classe politique est passéiste.

Cette fois-ci, l’appel d’air ainsi créé a été capté par un politicien apparemment honnête. Mais il n’est pas seul dans cette affaire : le faiseur de roi – et le financier de l’élection de Jokowi – a été Prabowo Subianto, général rayé des cadres, à la fois controversé et assez populaire pour être, en ce moment, le candidat le mieux placé dans la course à la présidence en 2014. Beaucoup de choses peuvent changer dans les deux années qui viennent. Mais Prabowo, un homme d’autorité et dont les méthodes ont choqué quand il était encore militaire, devrait pouvoir continuer de compter sur une opinion publique découragée par l’attitude de la classe politique actuelle. Renouvellement d’une classe politique ou renaissance de l’autocratie ?

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Indonésie : le candidat du changement élu gouverneur de Jakarta

Joko «Jokowi» Widodo a été élu, le 20 septembre, gouverneur de Jakarta contre le candidat du pouvoir, Fauzi Bowo, avec de 53% à 54% des suffrages.

La victoire de Jokowi ne constitue pas une énorme surprise et Bowo a aussitôt reconnu son échec. Réélu triomphalement maire de Solo en 2010, Jokowi a un profil de ‘Monsieur Propre’. Il a remis un peu d’ordre dans sa ville de Java central. Gouverneur sortant de la capitale de l’Indonésie, Bowo n’a guère fait d’étincelles pendant son mandat. Il a été soutenu par le Parti démocrate du président Susilo Bambang Yudhoyono, une formation rongée par la corruption et qui est en passe de perdre sa figure de proue puisque SBY, qui termine son second mandat, ne peut pas se représenter à la présidence en 2014.

Pour la coalition gouvernementale, en dépit de la bonne santé de l’économie, la situation est plutôt délicate. En réduisant ses efforts dans la lutte contre la corruption – son slogan électoral – SBY a perdu une partie de son audience. Allié de SBY, Aburizal Bakrie, patron du mouvement Golkar et son candidat officiel à l’élection présidentielle dans deux ans, se retrouve, du coup, dans une situation plus difficile. Peu populaire, millionnaire qui a, ces temps-ci, des soucis financiers, Bakrie n’est plus certain que le Golkar, censé être une machine électorale efficace, ne renonce pas à tenter de le porter à la présidence.

En revanche, l’opposition se frotte les mains. Jokowi a bénéficié du soutien du populaire Prabowo Subianto, un général à la retraite ouvertement candidat à la succession de SBY, ainsi que du PDI-P, le parti de Megawati Sukarnoputri, ancienne présidente (2001-2004) et fille aînée du père de l’indépendance. Si Jokowi entame bien son mandat de gouverneur, il pourrait se révéler un atout maître pour Subianto, Megawati ayant apparemment renoncé à se représenter à la présidence.

La campagne a été dure et très suivie, les arguments ethniques ou religieux n’ont pas fait grand effet. Le colistier de Jokowi, donc le futur gouverneur adjoint, est un chrétien d’origine chinoise. Les dix millions d’habitants de Jakarta veulent que les choses bougent un peu. La Commission électorale doit publier les résultats officiels le 3 octobre et la prise de fonctions du nouveau gouverneur a été fixée au 6 octobre.

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Indonésie : l’élection cruciale du gouverneur de Jakarta

Le 20 septembre a lieu l’élection du gouverneur de Jakarta. Un ‘Monsieur propre’, soutenu par un général à la retraite ambitieux, est capable de l’emporter.

Fauzi Bowo, le sortant, soutenu par le gouvernement, se retrouve au deuxième tour de l’élection du gouverneur de Jakarta face à Joko ‘Jokowi’ Widodo. Jokowi est appuyé par l’opposition, notamment par Prabowo Subianto, général à la retraite et au passé sulfureux mais qui figure dans les sondages en tête des candidats à la présidentielle de 2014.

De prime abord, Jokowi ne semblait avoir aucune chance : il est maire de la ville de Solo (Surakarta) à Java central alors que Bowo est un Betawi, un natif de Jakarta. Le colistier de Jokowi est un chrétien d’origine chinoise. Les Indonésiens d’origine chinoise ne représentent que 5% de la population d’une capitale dont 85% des dix millions d’habitants sont musulmans.

Pourtant, lors du premier tour en juillet, à la surprise générale, Jokowi a obtenu 43% des suffrages contre 34% seulement à Bowo.  «Sauf miracle, estime l’Economist, le sortant est fini.» Car Jokowi, 52 ans, est un candidat redoutable : il a été réélu par un raz de marée en 2010 à la mairie de Solo pour avoir promu les affaires et la lutte contre la corruption. Il est généralement reconnu comme le meilleur maire d’Indonésie. Il propose aujourd’hui ses services à Jakarta, capitale apparemment ingouvernable et seule mégapole d’Asie du Sud-Est à ne pratiquement pas disposer de transports en commun.

Si Jokowi est élu, et s’il parvient à réduire la corruption à Jakarta – ce qu’il a fait à Solo – la configuration politique en Indonésie pourrait changer. Comme le président Susilo Bambang Yudhoyono ne peut pas se représenter et que, de toute façon, sa popularité est en baisse, la coalition gouvernementale actuelle devra trouver un candidat de qualité pour faire face à l’éventuelle candidature à la présidence en 2014 de Prabowo Subianto, dont Jokowi pourrait être le colistier.

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Prabowo, l’Indonésien qui entend rafler la mise en 2014

Un outsider se prépare à l’élection présidentielle de 2014 en Indonésie : Prabowo Subianto, personnage fort controversé, qui mise sur un vide politique.

Voilà quatorze ans, au lendemain de la chute de Suharto en Indonésie, Prabowo semblait fini. Ses quatre étoiles lui avaient été officiellement et publiquement arrachées après son intrusion, à la tête d’hommes armés, dans le palais présidentiel de Jakarta alors occupé par B. J. Habibie, éphémère successeur du dictateur. Rayé, de façon humiliante, des cadres de l’armée à l’âge de 46 ans. Il était également en instance de divorce (son épouse était l’une des filles de Suharto). Il s’apprêtait à s’exiler en Jordanie, où il résidera six années.

Aujourd’hui, il caracole en tête des sondages en vue de l’élection de 2014. Un sondage réalisé en juillet par le respecté CSIS (Centre for Strategic and International Studies) et publié par le Jakarta Post le 9 août, accorde à Prabowo 44% des suffrages contre 18% au président sortant Susilo Bambang Yudhoyono (SBY) en cas de duel électoral. L’exercice est théorique car SBY, qui effectue son deuxième mandat, ne peut pas se représenter en 2014. Il offre, toutefois, l’avantage de souligner à quel point la chute de popularité de l’actuel président (réélu avec 61% des suffrages en 2009) est récupérée par l’ancien officier rebelle.

Le même sondage indique que Prabowo est le favori face aux autres candidats potentiels en 2014 : il obtient 17,9% des voix contre 15,3% à Megawati Sukarnoputri, 11,5% à Jusuf Kalla et 10% à Aburizal Bakrie. Le précédent sondage du CSIS, en février 2012, plaçait Megawati en tête avec 10% des suffrages contre 6,7% seulement à Prabowo.

En ce qui concerne les partis, la palme revient, avec 18% des suffrages, au Golkar, le mouvement qui a servi de relais sous le régime de Suharto. Le Golkar a déjà choisi on candidat à la présidence, l’homme d’affaires Aburizal Bakrie, qui a fait fortune sous Suharto avant de devenir un partenaire de SBY. Mais si Bakrie dispose de la meilleure machine électorale, il est fort peu populaire. C’est la formule inverse avec Prabowo, dont le parti Gerindra ne recueille que 5,2% des suffrages.

Prabowo, qui s’est enrichi ces dernières années, est partisan d’un régime plus autoritaire, nationaliste. Il est sur la lancée. Mais les militants des droits de l’homme vont lui mener la vie dure. Il a une réputation de brutalité, notamment quand il a été chargé de la répression des dissidents dans les années 1990 alors qu’il était le patron de Kopassus, les forces spéciales à la réputation sulfureuse. Il demeure interdit de séjour aux Etats-Unis. Le rôle qu’il aurait pu jouer également dans les émeutes de 1998 reste à déterminer, y compris dans les exactions commises contre la minorité d’origine chinoise. L’affaire, pour lui, est loin d’être conclue.

Jean-Claude Pomonti