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Analyse Thaïlande

Chronique de Thaïlande : un bouddhisme prêt à la consommation

Un mouvement bouddhique thaïlandais, qui revendique 100.000 fidèles, séduit les classes moyennes urbaines et transforme le bouddhisme pratiqué dans le pays.

Le temple bouddhique Dhammakaya, situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Bangkok, dans la province de Pathum Thani, est revenu récemment sous les feux de la rampe et dans les colonnes des journaux, en diffusant sur sa chaîne cablée et sur son site internet (www.dmc.tv) une bizarre série de sermons sur le thème « Où est Steve Jobs ? ». Comme le souligne Sanitsuda Ekkachai, dans le quotidien Bangkok Post, si cette ahurissante présentation – où l’on apprend que le fondateur d’Apple décédé l’an dernier est aujourd’hui un Thepphabhut Phumadeva (une divinité) de rang moyen, qui habite un immeuble de six étages fait d’argent et de cristal – venait d’un groupement marginal, on pourrait en rire et l’oublier. Mais la plaisanterie, ici, éprouve du mal à passer, quand on sait que le temple Dhammakaya est le mouvement bouddhique le plus riche et le plus influent du pays à l’heure actuelle. Dans son éditorial du 23 août, Sanitsuda Ekkachai, auteure d’un livre sur le bouddhisme thaïlandais, affirme que le mouvement Dhammakaya est sur le point de « prendre le contrôle du clergé bouddhique » de Thaïlande.

Cette mise en garde est peut-être un peu alarmiste, mais il est néanmoins sûr que le temple Dhammakaya, sérieusement ébranlé à la fin des années 1990 par des accusations de spoliation de terres et de distorsion des enseignements du Bouddha, a considérablement renforcé sa position. Le prince héritier de Thaïlande Vajiralongkorn n’a jamais hésité à s’afficher avec les leaders du mouvement. Le temple aurait aussi d’excellents contacts avec l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, exilé depuis 2008. Il s’est rangé du côté des Chemises rouges (adversaires de l’establishment traditionnel) dans la lutte actuelle pour déterminer l’orientation politique du royaume.

Il peut être utile de rappeler quelques données sur l’origine du temple Dhammakaya et sur son histoire pour replacer sa position de force actuelle dans un continuum. Le temple a été fondé en 1969 par une nonne et quelques étudiants qui étaient des disciples du célèbre bonze thaïlandais Phra Mongkol Thep Muni (ou Luang Po Sout) dont on peut voir le portrait dans de très nombreux magasins de Bangkok. Luang Po Sout, décédé en 1959, avait redécouvert une ancienne méthode de méditation, parmi les nombreuses existantes, qui consiste à visualiser une boule de cristal, ou parfois un bouddha de cristal, se déplaçant à l’intérieur de son corps. C’est la méthode Dhammakaya ( » le corps méthaphorique du Bouddha  » ou « la collection des qualités du Bouddha », selon des historiens du bouddhisme), qui s’inspire de l’école bouddhique Mahayana et non du bouddhisme ancien Theravada, lequel est suivi par une majorité des Thaïlandais.

Relativement facile à mettre en œuvre, cette technique de méditation permet d’aboutir avec un entrainement sérieux à un état d’extase que les bonzes du temple disent être un premier pas vers le nirvana (ou nibhan en pali). Cette concrétisation du nirvana, qui est un état de non-existence selon le canon bouddhique, semble différer considérablement avec les enseignements du bouddhisme ancien. « Ils ont complétement dérivé par rapport à l’enseignement de Luang Po Sout. Maintenant, ils font dans la psychologie de masse », notait en 1995 l’universitaire Chatsumarn Kabilsingh, devenue depuis la première moine-femme de Thaïlande.

Quoiqu’il en soit, le temple Dhammakaya a très bien su remodeler le bouddhisme siamois pour créer une formule attractive pour les classes moyennes urbaines, notamment celles de Bangkok. Le haut niveau d’études des bonzes (80 % ont une licence), les équipements du temple – du parking géant souterrain aux supermarchés pour acheter les offrandes – et la gestion ordonnée des lieux (pas de chiens pouilleux ici) séduisent les familles bangkokiennes. Elles viennent, habillées de blanc, méditer le dimanche matin, avant leur sortie de l’après-midi. Surtout, le temple Dhammakaya insiste beaucoup sur les bénéfices matériels et psychologiques immédiats que l’on peut retirer de la méditation, laquelle n’est considérée dans le bouddhisme Theravada que comme un moyen pour accéder progressivement à la sagesse. Pour couronner le tout, des techniques agressives de marketing poussent les fidèles à effectuer d’importantes donations pour garantir leur karma. « Dhammakaya dit à la classe moyenne influencée par la globalisation qu’elle peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Le temple transforme le bouddhisme pour le rendre compatible avec le capitalisme et le consumérisme », expliquait en 1999 l’universitaire Suwanna Satha-Anand au New York Times.

De fait, les transformations apportées par Dhammakaya, qui est implanté dans une douzaine de pays dont les Etats-Unis et envisage de devenir « le centre mondial du bouddhisme », sont profondes. Elles pourraient même constituer les prémisses d’un nouveau mouvement bouddhique, à connotation matérialiste et missionnaire, comme cela a été le cas après les grandes scissions de l’histoire. Le Conseil des anciens, l’autorité ultime du bouddhisme thaïlandais, semble en tous les cas très hésitant à tancer le mouvement Dhammakaya sur les manquements à la discipline et les fautes. Les déclarations de Phra Dhammachayo, l’abbé de Dhammakaya, affirmant être la « tête de Bouddha » et posséder des pouvoirs surnaturels sont, par exemple, une des cinq infractions graves justifiant l’exclusion de la communauté monastique.

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Société Thaïlande

Steve Jobs réincarné en un être divin selon une secte de Thaïlande

Le co-fondateur et PDG d’Apple Inc résiderait dans un univers parallèle, non loin du lieu où il travaillait de son vivant.

Si la question de savoir ce qu’était devenu et où se trouvait Steve Jobs, après son décès causé par un cancer du pancréas en octobre 2011 vous turlupine, le mouvement bouddhiste Dhammakaya, une secte thaïlandaise basée dans un temple de la province de Pathum Thani, au nord de Bangkok, a trouvé la réponse. Et elle l’a diffusée sur sa chaîne de télévision cablée et sur son site internet. Selon Phra Thepyanmahamuni, l’abbé du temple, l’ingénieux ingénieur a récolté les fruits d’un riche karma marqué par deux tendances : sa soif de connaissances scientifiques et sa volonté de les transmettre au public et son tempérament colérique. Dès lors, Steve Jobs serait désormais un être divin « moitié-Withayathorn, moitié-Yak » – le Yak est le gardien géant pourvu de crocs que l’on peut voir à la porte de nombreux temples thaïlandais et Withayathorn est une pure invention de l’inspiré abbé.

L’abbé de Dhammakaya descend à un degré de précision étonnant, permis sans doute par ses supra-facultés, et indique que l’avatar de Steve Jobs réside dans « un immeuble de six étages, simple et bien conçu, bâti à l’aide de grandes quantités d’argent et de crystal et qui se trouve près de là où il travaillait pendant sa période humaine ». Et, comme vous vous en doutez, le Dieu-Steve est assisté de vingt « serviteurs célestes » grâce aux dons généreux qu’il a versés pour diverses causes de son vivant.

Cette dernière indication livre peut être la clé du message de l’abbé de Dhammakaya, lequel peut se résumer comme suit : si vous admirez Steve Jobs, faites des dons au temple Dhammakaya. Fondé dans les années 1970, le temple se démarque du bouddhisme Theravaddha thaïlandais, basé sur la recherche de la dissolution du Soi dans le Nirvana, et s’inspire de l’école du bouddhisme Mahayana, moins stricte et peuplée d’un panthéon coloré de divinités. Mélangeant religion et capitalisme, Dhammakaya pousse ses nombreux fidèles issus des classes moyennes urbaines de Bangkok à faire des dons pour enrichir leur karma et renaître dans de bonnes conditions.