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L’après-Sihanouk au Cambodge : la relative stabilité du trône

La forte émotion populaire suscitée par la disparition de Sihanouk et les intérêts en cause indiquent que l’institution monarchique reste l’objet d’un consensus.

Le rassemblement d’un million de personnes de tous âges, lors du retour de la dépouille mortelle de Norodom Sihanouk au Cambodge, la fière allure d’un cortège, à la fois somptueux et digne, organisé par les autorités à Phnom Penh – le tout baignant dans l’émotion et le recueillement -, laisse penser que le trône, rayé du paysage pendant 23 ans (1970-1993), a encore quelques beaux jours devant lui. Si Sihanouk n’avait pas été présent au début des années 90, avec toute sa tête, l’institution monarchique n’aurait peut-être pas été rétablie. Désormais, elle devrait lui survivre pendant au moins quelque temps.

Le Cambodge est un régime de parti dominant depuis 1998, quand le PPC (Parti du peuple cambodgien du premier ministre Hun Sen) a obtenu la majorité des sièges au sein du Parlement. L’opposition parlementaire est faible, le pouvoir ne lui fait aucun cadeau. Cette opposition a servi au PPC pour faire valoir, quand il en a eu besoin, aux donateurs que le régime n’était pas monolithique. Mais Hun Sen en a moins besoin ces dernières années. L’abondante aide de Pékin lui permet d’envisager la construction du pays sans trop en référer aux Occidentaux.

Les relations du premier ministre, en place au moins nominalement depuis 1985, avec la monarchie sont différentes. Le retour politique des princes exilés a été un échec. Non seulement Sihanouk a été contraint de ne plus se mêler de la gestion du Cambodge mais, ces dernières années, il a lui-même invité les princes – ses fils Ranariddh, Chakrapong, son demi-frère Sirivudh, pour citer les principaux – à se retirer de la politique. La restauration du trône a été un succès, le retour politique des royalistes un échec.

Contrairement à ce qui se dit parfois, la présence d’un roi «qui règne mais ne gouverne pas» ne gêne pas Hun Sen. En outre, la mort de Sihanouk ne libère pas les mains du premier ministre; ces dernières le sont depuis longtemps de ce côté-là. En dépit de quelques sérieux démêlés avec Sihanouk, Hun Sen ne s’en est pris à lui que lorsque ce dernier a tenté de reprendre une parcelle de pouvoir, notamment en 1994 et dans les années suivantes. Sinon, pour être parfois grinçante, la cohabitation n’en a pas moins été gérable.

Quant à Sihamoni, le roi actuel, qui a succédé à son père en 2004 et qui n’est pas un politique, sa présence offre l’avantage de rassurer les Cambodgiens (une éventuelle abdication paraît exclue tant que la reine-mère sera présente). Dans la tradition khmère, le Palais et la pagode se marient étroitement. En outre, les Cambodgiens n’aiment pas les bouleversements, ce qui se comprend, compte tenu de ce qu’ils ont subi. Hun Sen n’a donc pas de raisons de se débarrasser d’une institution monarchiste marquée par le bénévolat, ce qui contribue, par ailleurs, à adoucir un peu des mœurs politiques parfois brutales.

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M. Ayrault en Asie du Sud-Est : quid de l’adieu à Sihanouk?

Après une escale à Singapour, le premier ministre passe le week-end à Manille. Au programme : contrats commerciaux. Fera-t-il, au retour, le détour par Phnom Penh ?

Fixé bien avant l’annonce du décès de Sihanouk, le voyage en Asie du Sud-Est, du 18 au 22 octobre, concerne deux pays intéressants, Singapour et les Philippines. La cité-Etat est le troisième partenaire commercial asiatique de la France, derrière la Chine et le Japon. Singapour est le QG régional de nombreuses sociétés françaises et la communauté française, essentiellement des cadres supérieurs, y a doublé en cinq ans pour atteindre les dix mille expatriés.

Le dernier membre d’un gouvernement français à visiter officiellement les Philippines a été, en 1991 ou 1992, Edwige Avice, ministre de la coopération et du développement dans le cabinet d’Edith Cresson. Au passage, elle était alors accompagnée de Paul Jean-Ortiz,  membre de son cabinet et aujourd’hui sherpa à l’Elysée. Renouer avec cet archipel oublié semble donc judicieux.

Le président Noynoy Aquino, élu en 2010, a donné une chance à son pays de redémarrer. L’expansion économique a repris et, pour la première fois, la corruption officielle y recule. Manille vient de signer un accord-cadre de paix avec des rebelles musulmans. Les investissements étrangers reprennent, y compris les français qui ont augmenté, pour leur part, de 90% en 2011. On ignore souvent que la communauté française de Manille compte déjà 3.000 membres et ne cesse de gonfler.

Jean-Marc Ayrault est accompagné d’hommes  d’affaires (Alstom, EADS, RATP, PSA et Eiffage) qui participent, le 20 octobre, à un forum d’affaires franco-philippin à l’occasion duquel plusieurs contrats commerciaux doivent être signés. Doit être notamment annoncé l’achat par Philippines Airlines de dix Airbus pour un total de 2,5 milliards d’euros. On parle aussi d’équipement militaire dont l’armée philippine a besoin pour se refaire une santé. Le président Aquino devrait se rendre en visite officielle en France en 2013. Tout cela est de la «diplomatie économique», comme l’on dit aujourd’hui, dans une région où les Français sont de plus en plus nombreux.

Mais ces initiatives, de bon aloi à l’occasion du premier voyage hors d’Europe du premier ministre français, ne peuvent faire oublier que la France officielle se doit d’aller s’incliner, à moins de trois heures de vol de Manille et sur le chemin du retour, devant la dépouille de Norodom Sihanouk, celui qui a été l’asiatique francophone le plus francophile. A la fin de 1990, une fois Sihanouk en meilleure santé et remonté sur son trône, Jacques Chirac lui avait offert une dernière visite d’Etat à Paris, qui l’avait bouleversé. L’absence, en ce moment, de la France à Phnom Penh doit être, d’une manière ou d’une autre, comblée.

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Le Cambodge et la Chine après Sihanouk : le beau fixe

La disparition de Norodom Sihanouk, grand protégé de la Chine, ne changera rien aux relations entre Pékin et Phnom Penh. Elles sont au beau fixe et le resteront.

En 1970 se nouent des relations privilégiées entre Sihanouk et la Chine. Après sa destitution,- il est alors chef de l’Etat et le trône du Cambodge est vacant -, le prince n’hésite pas longtemps à quitter la France, où il est de passage, pour gagner Pékin via Moscou. De la capitale chinoise, où il est accueilli les bras ouverts et où un palais est mis à sa disposition (il y résidait encore lors de son décès, 42 ans plus tard), il appelle frénétiquement à la résistance contre Lon Nol qui proclame assez rapidement une République khmère portée à bout de bras par Washington.

Dans les pagodes du Cambodge rural, les bonzes branchent sur haut-parleur radio Pékin à l’heure des dithyrambes du demi-dieu qui appelle à marcher sur Phnom Penh. Ils seront massacrés. Sihanouk accepte également de parrainer une alliance lâche entre les partisans de la monarchie abolie et ses ennemis jurés, les Khmers rouges.

La suite est connue : décidés à mettre fin à l’impasse américaine sur le régime communiste chinois, Richard Nixon et Henry Kissinger négocient le retrait du corps expéditionnaire américain du Vietnam. Les Khmers rouges s’installent à Phnom Penh le 17 avril 1975, moins de deux semaines avant la chute de Saigon entre les mains des communistes. Sihanouk commet alors une erreur de jugement en regagnant Phnom Penh : Pol Pot ne veut pas de lui et le laisse croupir dans son palais au milieu d’une capitale vide et fermée.

Entre-temps, le divorce est vite consommé entre Hanoi et Phnom Penh, avec les incessantes incursions frontalières des Khmers rouges, qui veulent récupérer le delta du Mékong. Les communistes vietnamiens s’inquiètent également et tardivement des activités chinoises au Cambodge, notamment de la construction discrète d’une immense piste d’aviation à Kompong Chhnang. Ils réagissent en occupant le pays. Mais ils ne parviennent pas à saisir Sihanouk qui, évacué à temps par les Chinois, a retrouvé son palais à Pékin.

Ulcéré par ce qu’il a jugé comme un écart de l’ancien vassal vietnamien, Deng Xiaoping a entendu lui donner une leçon, avec une attaque ponctuelle en janvier 1979 sur la frontière terrestre avec le Vietnam, opération qui n’a été, au mieux, qu’un demi-succès. Avec l’appui de Moscou, le corps expéditionnaire vietnamien au Cambodge a mis en place un nouveau régime, le seul gouvernement cambodgien à l’égard duquel l’hostilité de Pékin a été totale. Mais quand les troupes vietnamiennes ont évacué le Cambodge, permettant ainsi l’aval par la Chine de la négociation de l’accord de paix signé à Paris en octobre 1991, Pékin a progressivement changé d’attitude.

La réconciliation officielle entre les autorités chinoises et Hun Sen en février 1999, à l’occasion d’une visite du premier ministre cambodgien à Pékin, est intervenue à la suite d’une série d’évènements : le renoncement de Sihanouk à se faire entendre par Hun Sen ; l’échec du mouvement royaliste aux élections de 1998 ; la mort de Pol Pot et le ralliement des  derniers rebelles khmers rouges la même année.

Depuis cette date, et surtout depuis que Sihanouk a renoncé à toute influence en abdiquant une deuxième fois en 2004, le Cambodge a retrouvé son rôle traditionnel de tremplin chinois en Asie du sud-est. Pour Phnom Penh, la présence chinoise de plus en plus importante au Cambodge (investissements, aide) est une garantie face aux deux grands voisins, la Thaïlande et le Vietnam. Les relations entre Pékin et Phnom Penh sont au beau fixe et le resteront.

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Sihanouk n’est pas blanc sur la question khmère rouge, selon un documentariste

Lors d’un débat au Club des correspondants de Thaïlande, un documentariste français évoque la responsabilité de l’ancien chef d’Etat dans la tragédie khmère rouge.

« La responsabilité de Sihanouk est énorme. Sans doute devrait-il être jugé. Il est responsable de l’avènement des Khmers rouges, il s’est allié à eux par deux fois (1) dans le seul but de reprendre le pouvoir après le coup d’Etat de 1970 », a estimé Bruno Carette, lors d’un débat qui suivait la projection de son documentaire « Khmers Rouges Amers » au Club des correspondants étrangers de Thaïlande (FCCT). Ce film d’une heure et demie, réalisé avec Sien Meta, témoigne de la perspective des Khmers rouges, des hauts dirigeants aux simples soldats, sur la tragédie qui a provoqué la mort de près de deux millions de Cambodgiens (un quart de la population de l’époque) entre la chute de Phnom Penh, le 17 avril 1975, et l’invasion vietnamienne qui a provoqué l’effondrement du régime totalitaire en janvier 1979.

Le documentaire inclut de nombreux extraits d’entretiens avec deux des anciens dirigeants du Kampuchea démocratique, l’ex-numéro deux du régime Nuon Chea et l’ex-chef d’Etat Khieu Samphan, actuellement en cours de jugement devant un tribunal composé de juges cambodgiens et internationaux à Phnom Penh. Il présente aussi de rares témoignages comme celui de Suong Sikoeun, un proche de l’ex-chef de la diplomatie Ieng Sary, et de son épouse française de l’époque, Laurence Picq, la seule Occidentale à avoir vécu durant toute la durée du régime khmer rouge au Cambodge.

Sceptique mais tempérant les nombreuses critiques faites à l’encontre du « procès à caractère international » en cours à Phnom Penh, Bruno Carette a souligné le fait que le premier procès, lequel a abouti en février 2012 à la condamnation de Kaing Guek Ieuv, alias Duch, l’ex-chef du centre de torture S- 21 à la prison à perpétuité, avait permis « à quelques victimes et parents des victimes de s’exprimer ». « Depuis un an des livrets retraçant l’histoire de la tragédie khmère rouge sont aussi distribués dans toutes les écoles du pays », une période de l’histoire auparavant occultée a-t-il ajouté.

(1) Le 23 mars 1970 Sihanouk, renversé par un coup d’Etat cinq jours plus tôt, appelle le petit peuple à soutenir les Khmers rouges dans leur lutte pour le pouvoir ; en 1982, Sihanouk préside à la formation d’une « coalition de résistance anti-vietnamienne » qui inclut les Sihanoukistes, les partisans de Son Sann et les Khmers rouges.