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Chronique siamoise : l’insoutenable légèreté de la non-responsabilité

En Thaïlande, l’art de l’esquive prévaut sur la reconnaissance de ses fautes, laquelle risquerait d’entrainer une perte de face difficile à digérer

A la question d’un journaliste lui demandant s’il se sentait responsable des morts lors des manifestations anti-gouvernementales d’avril-mai 2010, l’ancien Premier ministre Abhisit Vejjajiva répondit : «Nous sommes tous un petit peu responsables». Habile répartie qui a permis au politicien diplômé d’Oxford de se sortir d’une situation potentiellement embarrassante. En thaï, le mot «responsabilité» se traduit littéralement par quelque chose comme «accepter le mal avec le bien qui va avec». Souvent, après une crise ou un incident, les personnes affectées diront qu’il «faut que quelqu’un accepte de prendre la responsabilité». Le problème est que dans le pays du matin bruyant, les candidats ne se bousculent pas au portillon de la perte de face.

Chaque culture a sa propre façon de confronter cet inconfort. Les ministres ou les PDG japonais semblent presque jouir intérieurement dans l’humiliation publique, dans l’acceptation totale de la faute y compris si c’est celle des autres, une sorte de culte de l’autosacrifice bien dans les mœurs de cette nation adulant la discipline. Aux Etats-Unis, le système judiciaire fera plus ou moins le travail : les vautours des banques d’investissement et les escrocs de haut vol savent bien qu’ils ne pourront pas échapper éternellement au bras armé du glaive. La Thaïlande, elle, a privilégié l’opportunisme par rapport à l’héroïsme. L’important est de «s’en tirer» ou de «sauver sa peau» : ao tua rot. Avez-vous entendu parler dans les quarante dernières années d’un ministre thaïlandais proposant sa démission après avoir été impliqué dans un scandale de corruption ? La phrase sibylline «le conducteur a fui la scène de l’accident» que l’on trouve à la fin de presque tous les articles narrant de graves accidents de circulation peut être transposée à tous les niveaux de la société. Qu’un incident survienne, et chacun se hâtera d’assurer qu’il «n’était pas là» (mai ju) ou «qu’il ne sait pas» (mai ru). La reconnaissance et la pleine acceptation de la faute prendra une forme amollie ; elle se perdra dans les brumes de l’être collectif : «un autre», «eux», «nous».

Cette faculté d’esquiver les coups a son penchant positif : la compassion. Telle Chemise rouge qui risque sa vie en mai 2010 pour sauver un journaliste touché de plusieurs balles, tel résident d’un bidonville se faisant à moitié brûlé pour protéger une famille lors de l’incendie qui ravage son quartier… des exemples qui montrent qu’il existe aussi une conception individuelle du devoir moral, mais celle-ci semble curieusement plus vivace parmi les gens de condition modeste que dans les cercles du pouvoir politique et économique. Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que la compassion au sens bouddhique suppose que l’on n’ait pas eu sa part dans la création du problème et que l’on n’agit pas dans le but de bénéficier soi-même de son geste.

Cela nous ramène au discours prononcé par l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra le 19 mai, lors de la commémoration de la répression de 2010, dans lequel il a demandé aux dizaines de milliers de Chemises rouges présentes d’oublier ce qui s’était passé il y a deux ans et de renoncer à la justice en faveur de paix et de la réconciliation. Visiblement empreint d’une intense compassion envers sa propre personne, Thaksin n’a pas eu l’élégance d’évoquer sa «petite part de responsabilité» pour avoir poussé les Chemises rouges à la provocation, puis les avoir abandonnées à leur destin sanglant.

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Chronique siamoise : Thaksin cherche la brèche

Regard sur la tactique employée par l’ancien Premier ministre thaïlandais pour revenir au pays…

Les Thaïs de la plaine centrale utilisent deux expressions pour parler d’un fils renvoyé par son père. La première, ko rua, évoque le fils honni « agrippé à la barrière » de l’enceinte familiale et quémandant au père sa réintégration. La seconde, ro rua, décrit le chenapan en train de « tourner autour de la propriété » dans l’intention apparente de préparer un mauvais coup. Les escapades de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra au Laos et au Cambodge relèvent plus de cette dernière tactique d’intimidation. Thaksin ne veut plus implorer, mais s’imposer.

A Vientiane et à Siem Reap, cet homme vieilli, au bilan si controversé, condamné en 2008 à deux ans de prison pour abus de pouvoir, a péroré plus qu’il n’a parlé. Evoquant la volonté supposée de ses partisans de le ramener en Thaïlande à l’occasion de son anniversaire le 26 juillet prochain (Thaksin s’est exilé pour fuir la justice depuis 2008), il a estimé à Vientiane que ceux-ci voulaient lui faire ce « cadeau », parce qu’ils savaient « combien il avait bénéficié au pays ». Les épaules voutées, le regard plus fatigué que par le passé, son habituel sourire satisfait aux lèvres mais avec un je ne sais quoi d’artificiel, Thaksin ne semble pas avoir fondamentalement changé. Jamais depuis son éviction du pouvoir en 2006, il n’a prononcé une parole pour dire s’être trompé, ne serait-ce qu’une fois, par le passé. On devine sa soif de vengeance.

Cet encerclement de la Thaïlande par Thaksin est une injonction. Il s’agit de faire pression sur ses alliés pour que ceux-ci activent le processus de réforme constitutionnelle qui permettrait de lever sa condamnation. Il montre aussi sa ténacité, qu’il faut reconnaître hors du commun. Sa sœur cadette, Yingluck, à la tête du gouvernement, a parfaitement joué son rôle d’innocente, parcourant Bangkok à l’arrière d’un pick-up pour participer aux festivités du Nouvel an Thaï : «Mon frère, à Siem Reap ? Vraiment ?». Placée à la tête du pays avec pour seul but de faire rentrer son frère au bercail, elle ne peut que vouloir hâter le processus : l’exercice du pouvoir l’épuise. Son sourire désarmant, un peu bébête, s’est depuis peu crispé. Même la solidarité familiale a ses limites.

D’autant plus que la réaction du père reste la grande inconnue. Si, comme il le semble, lui ou ceux qui disent parler en son nom n’acceptent pas la rentrée du « mauvais fils » – c’est-à-dire s’ils ne permettent pas la levée de la condamnation de Thaksin -, un « retour élégant » de ce dernier ne sera pas possible. En tout état de cause, qu’il revienne en vengeur masqué en franchissant le pont entre Vientiane et Nongkhai, comme le lui a suggéré un de ses lieutenants Kwanchai Praipana , ou par la grande porte de Suvarnahbumi, son retour fera exploser le calme latent qui prévaut depuis les élections de juillet 2011 et pulvérisera le verbiage inconsistant sur la «réconciliation».

Nouvelle chronique du site infoasie, «Chronique siamoise» porte un regard décalé sur l’actualité politique de la Thaïlande, mêlant des récits d’anecdotes et une lecture culturelle des événements.

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L’étrange fonctionnement du gouvernement thaïlandais

Curieux jeu politique en Thaïlande. La scène est actuellement, et de nouveau, dominée par les gesticulations de Thaksin Shinawatra, aux frontières du royaume.

Depuis le tournant du siècle, sous une dénomination ou une autre, les partisans, alliés, serviteurs et fanatiques du premier ministre limogé lors du coup d’Etat de septembre 2006 emportent toutes les élections. La dernière fois, en juillet 2011, ils l’ont fait avec, pour tête d’affiche Yingluck, la jolie et souriante sœur cadette de Thaksin, lequel reste sous le coup d’une condamnation à deux ans de prison pour abus de pouvoir (et ne peut donc, pour l’instant, regagner la Thaïlande que pour se rendre, d’abord, en prison).

Un peu à la manière populiste de Juan et Evita Peron dans les années 1950 en Argentine, la popularité de Thaskin ne se dément pas, tant s’en faut, même au bout de douze ans. Comme le soulignent les manifestations du week-end, celui du Nouvel an au Laos, au Cambodge et en Thaïlande, les «chemises rouges» continuent d’être au rendez-vous.

Il s’en suit un étrange fonctionnement du gouvernement. Au lendemain du dernier succès électoral et malgré les démentis, l’avis de Thaksin a été déterminant dans le choix des ministres. Il prodigue conseils et instructions pendant les réunions de cabinet auxquelles il est associé par vidéo. Thaksin intervient sur écran géant lors des meetings des «rouges» en province. Et, ces derniers jours, il est passé à une vitesse supérieure, dans ses pressions sur Bangkok, en profitant des appuis officiels dont il dispose dans deux pays voisins, le Laos et le Cambodge, pour y organiser des meetings de politique intérieure thaïlandaise au cours desquels il a rencontré des membres du gouvernement et des députés thaïlandais.

Tout se passe comme si le frère et la sœur s’étaient entendus sur une répartition des tâches. Yingluck est le gant de velours, Thaksin la main de fer. Elle ne manque aucune occasion de manifester son respect pour la monarchie. Lui place ses pions, peu à peu, avec l’espoir d’écarter progressivement le leadership militaire actuel, lequel a bénéficié d’un relatif regain de popularité à la suite de l’intervention des soldats lors des catastrophiques inondations de 2011. Mais les conditions d’un accord sur une amnistie générale – dont Thaksin pourrait également bénéficier – ne semblent pas réunies.

Thaksin est riche et se déplace à bord d’un avion privé. Le gouvernement de Yingluck lui a rendu son passeport thaïlandais. Son réseau d’influence s’élargit : la condamnation à la privation de droits civiques de 111 politiciens (ses alliés) prend fin en mai. Thaksin veut obtenir sa réhabilitation et, dans la foulée, récupérer les avoirs financiers confisqués en Thaïlande, l’équivalent de centaines de millions d’€. Mais il ne paraît pas avoir un tempérament à forcer le destin. Il ne rentrera pas en Thaïlande pour se retrouver en prison. Il veut, également, des garanties sérieuses concernant sa sécurité personnelle. En attendant que ces conditions se réalisent, ce qui peut prendre du temps, l’étrange fonctionnement du gouvernement thaïlandais risque de se poursuivre.

Jean-Claude Pomonti

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Confusion dans le Sud thaïlandais

Dans la foulée des attentats dans le sud à majorité musulmane de la Thaïlande, des politiciens d’opposition dénoncent la tenue de discussions entre les rebelles et l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra. Ce dernier s’en défend…